Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique Le message du peuple hébre
Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique Le message du peuple hébreu (2e partie) Thomas Romer Citer ce document / Cite this document : Romer Thomas. Le message du peuple hébreu (2e partie). In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°50, 1996. pp. 34-44; doi : https://doi.org/10.3406/chris.1996.1870 https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1996_num_50_1_1870 Fichier pdf généré le 26/03/2019 OUVERTURES LE MESSAGE DU PEUPLE HÉBREU (2e partie) Thomas Rômer La catastrophe de l'exil à Babylone Nous ne revenons pas ici sur les circonstances détaillées de la chute de Jérusalem et de l'exil à Babylone. On sait que la déportation eut lieu en deux fois, une première fois en 597, après que Jérusalem eut dû ouvrir ses portes à l'assiégeant babylonien ; une seconde fois dix ans plus tard, en 587, après la révolte de Sédécias, qui entraîna la destruction de la ville et du Temple. Le royaume de Juda cessa alors d'exister et se trouva intégré à la province babylonienne de Samarie. La déportation ne toucha sans doute pas plus du cinquième de la population, essentiellement celle de la ville, l'élite politique, religieuse, intellectuelle et artisanale. Les paysans restèrent et bénéficièrent même d'une redistribution des terres, ce qui contenait en germe un futur conflit entre les exilés et les non-exilés. Tel qu'il fut, l'exil constitue une crise sans pareille de la conscience judéenne. Tous les piliers sur lesquels s'établissait l'identité du peuple et de son Dieu étaient détruits : — le roi, détrôné, exilé à Babylone, sans descendance ; — le Temple, symbole de la souveraineté de Yahvé, incendié et détruit ; — le pays, sous une souveraineté étrangère ; — la population, pour partie déportée au loin. Thomas Rômer est professeur d'Ancien Testament à la Faculté de théologie de l'Université de Lausanne (Suisse). La première partie de cet article est parue dans Autres Temps n° 49. 34 L'identité nationale ne pouvait donc plus s'affirmer par les institutions politiques et cultuelles traditionnelles, ni par la référence à un territoire précis. Il fallait chercher d'autres voies pour définir les notions d'Israël et de Yahvé ; il fallait dépasser le concept d'une identité nationale, et donc aussi celui d'un dieu national. En effet, si l'on avait continué à penser ainsi, cela revenait nécessairement à admettre que Yahvé avait été battu par un autre dieu national, en l'occurence Mardouk, le dieu de Babylone. Bien que certains aient pu être tentés de se rallier à Mardouk, dont les festivités se déroulaient sous leurs yeux à Babylone, la nécessité s'imposa qu'il fallait repenser la foi en Yahvé. La plupart des réponses à la crise vinrent des déportés en Babylonie, puisque, on l'a dit, c'est là que se trouvait l'intelligentsia. Quelle était leur situation ? Ils n'avaient pas été dispersés et se trouvaient même regroupés, dans la région de Nippour. Ils jouissaient d'une certaine autonomie, la gestion de leurs communautés étant confiée aux anciens. Ils pouvaient faire du commerce et purent s'enrichir. Leurs problèmes n'étaient donc pas économiques, mais essentiellement idéologiques : il s'agissait de trouver de nouveaux fondements à leur identité ju- déenne et à leur foi en Yahvé. Parmi les exilés trois groupes proposèrent des réponses assez différentes. 1) La réponse prophétique Le premier groupe est centré sur des écrits prophétiques. Certains prophètes pré-exiliques, Amos, Osée, Michée, avaient annoncé le jugement de Dieu et exhorté le peuple à ne vénérer que Yahvé, le seul Dieu pour Israël. En leur temps ils avaient été peu écoutés et étaient restés très marginaux. Après la chute de Jérusalem ils devinrent « actuels » : leurs paroles, confirmées par les événements, prirent valeur sacrée et des scribes, sans doute proches de l'école deutéronomique, se mirent à les éditer, en même temps qu'ils publièrent les prophéties de Jérémie. Le discours prophétique fut adapté aux circonstances et complété : si le jugement de Yahvé était inévitable, cela ne signifiait pas pour autant la fin de l'histoire de Yahvé et de son peuple ; dans les écrits prophétiques, les oracles du jugement sont donc contrabalancés par des oracles de salut. 35 Il faut aussi mentionner le livre d'Ezéchiel, qui est vraisemblablement une production commune des groupes deutéronomique et sacerdotal et dans lequel on relève de nombreuses influences babyloniennes. Selon le livre d'Ezéchiel, la chute de Jérusalem signifie un déplacement de Yahvé vers la Babylonie symbolisé par le départ de la Gloire de Yahvé vers l'Est (Ez 10). La restauration viendra, mais elle ne concerne que la Golah, c'est-à-dire les exilés babyloniens qui, pour les éditeurs d'Ezéchiel, constituent seuls le vrai Israël. C'est donc un livre centré sur la Golah. Une autre voix enfin fut celle du second Esaïe (le prophète anonyme en Esaïe 40-55), le premier auteur de l'Ancien Testament à affirmer un monothéisme fondamental. Il se moque ouvertement des autres dieux, ceux contre lesquels les premiers deutéronomistes avaient seulement mis en garde. Pour lui, hors Yahvé, il n'est pas d'autre dieu et les divinités des peuples ne sont qu'idoles et bois à brûler. Jamais le monothéisme biblique ne fut affirmé avec autant de verve ni autant de force et ce, malgré les apparences du moment. Le second Esaïe annonce la fin de l'exil. Le retour sera à la fois un nouvel exode et une nouvelle création, ce qui donne à l'auteur l'occasion de reprendre les vieux mythes correspondants. Dans ce contexte on voit naître l'annonce d'une nouvelle alliance à venir, dépassant celle des Pères de 1' Exode (cf. Jérémie 3 1,3 1-34). Yahvé, parce qu'il est souverain de l'univers, peut utiliser Cyrus, le roi des Perses, comme son messie pour mettre fin à l'empire babylonien. Yahvé est le Dieu qui préside au destin de l'univers entier. 2) La réponse sacerdotale Le deuxième groupe est celui des prêtres. Ils entreprirent l'édition d'une histoire qui commence à la création (Gn 1) et se termine avec le refus de la génération du désert d'entrer dans le « pays » (Nb 14). Or dès le début, cette histoire offre aux exilés deux possibilités de trouver leur identité : le sabbat et la circoncision. Le premier récit de la création (Gn 1) s'inspire - on l'a vu - des récits babyloniens, tout en les transformant radicalement : Shamash, par exemple, le dieu soleil, devient un simple luminaire sous les ordres de Yahvé. Or précisément, dans le récit sacerdotal, l'aboutissement de la création est l'institution du sabbat, alors que la plupart des cosmogonies courantes se terminent par la construction d'un sanctuaire. Cela veut dire que pour les auteurs sacerdotaux, l'espace 36 Yahvé est donc le seul Dieu et les autres ne sont que phénomènes de la nature sacré se transforme en un temps sacré et que l'on peut donc vénérer Yahvé en tout lieu, par une liturgie qui s'incrive dans un rythme temporel. D'autre part, la version sacerdotale de l'alliance avec Abraham (Gn 17) insiste fortement sur la circoncision comme signe d'alliance. On peut donc se passer du roi comme médiateur de l'alliance : le pouvoir royal peut se muer en pouvoir patriarcal et surtout, on va le voir, en pouvoir sacerdotal. Notons enfin que, dès le début de l'œuvre sacerdotale, en Genèse 9, les commandements de Dieu à Noé évoquent les principales règles d'alimentation, institutions facilement applicables par des exilés (et plus tard par la diaspora). Cette histoire sacerdotale est donc en réalité une histoire des institutions. Puisque celles de la monarchie sont devenues caduques, il faut en proposer d'autres. Les auteurs sacerdotaux restent convaincus que la présence de Dieu n'est accessible que par des institutions et par une médiation qui appartient au clergé. Au centre de l'œuvre sacerdotale on trouve donc une loi qui, à l'inverse de ce que l'on va voir pour la loi deutéronomique, s'intéresse essentiellement aux thème cultuels : les sacrifices, les règles cultuelles, le pouvoir des prêtres... et les impôts ecclésiastiques. On peut également remarquer que, dans cette histoire sacerdotale des origines, le lieu stratégique du Temple est transformé en un sanctuaire mobile qui peut accompagner le peuple partout où il va. En résumé, le courant sacerdotal, durant l'exil, a participé activement à la redéfinition de l'identité juive, en des termes encore valables dans le judaïsme d'aujourd'hui. Les auteurs sacerdotaux ont proposé de nouvelles institutions remplaçant celles de la monarchie : le sabbat, la circoncision, la Pâque, des lois alimentaires de base. La caractéristique commune de toutes ces institutions est de régler le rapport entre Yahvé et Israël sur le plan de la mobilité. C'était bien toute la question pour un peuple en exil. Ces institutions sont applicables autant dans le pays qu'en dehors, en exil ou en diaspora. 3) La réponse deutéronomiste Le troisième groupe fut peut-être celui dont l'influence prédomina dans la reformulation de la foi en Yahvé. Il s'agit du milieu dit deutéronomiste, c'est-à-dire des successeurs du mouvement autour de Jo- sias. Tout se centra pour eux sur un livre : le livre de la loi - la Torah — 37 C'est déjà un pas : Yahvé n'est plus vénérable seulement dans le temple Séparation de l'ordre politique du spirituel lieu du contact privilégié entre Yahvé et Israël, qui est devenu par uploads/Litterature/ tres-bon-voir-l-x27-autre-fichier-chris-0753-2776-1996-num-50-1-1870.pdf
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- Publié le Mai 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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