1 UN ACHEMINEMENT VERS LA PAROLE Estello dei gavots 18 Juillet 2008 Louis TREBU

1 UN ACHEMINEMENT VERS LA PAROLE Estello dei gavots 18 Juillet 2008 Louis TREBUCHET « Le questionnement en quête de la parole et de l’être, voilà peut-être un présent du rayon de Lumière qui vous a atteint. » Cette citation de Martin Heidegger pourrait aussi bien être extraite d’un rituel du premier degré tant elle me paraît illustrer une des visions possibles de l’initiation maçonnique. Le questionnement en quête, quelle meilleure manière de décrire le chemin sur lequel s’ouvre la porte basse de l’initiation, chemin semé de doutes sur lequel chaque étape ne peut être abordée que par une nouvelle question, par une nouvelle mise en question de soi-même sans se donner de limites à la recherche de la Vérité, mais chemin sur lequel en permanence les Frères, la Loge, le Rituel, nous rappellent l’Orientation, le but, transformant ce qui pourrait devenir une désespérante décomposition de soi en une Voie de questionnement en quête… La quête de l’être que nous portons en nous-mêmes, la quête des états multiples de l’être, en correspondance avec l’unité de l’Être dont nous sommes porteur d’un reflet, voilà qui pourrait bien s’appliquer à l’ensemble de la progression à laquelle nous convie le Rite Écossais Ancien et Accepté, mais l’acheminement vers la parole me paraît particulièrement convenir comme définition de l’accomplissement en Loge Symbolique. En effet, à notre époque où, dans la civilisation occidentale à tout le moins, le pouvoir n’est plus au bout du fusil, selon l’expression du grand timonier, mais dans le poids des mots et le choc des photos, pour reprendre le slogan d’un de nos magazines grand public, à une époque ou le faiseur de mots, qu’il soit artiste, journaliste, publiciste ou politique, a souvent plus de pouvoir et gagne plus d’argent que le producteur de nourriture ou le fabricant de machines, il me semble que paradoxalement chacun est de plus en plus isolé, que l’échange véritable par une vraie parole est de plus en plus rare, qu’en quelque sorte cette parole est perdue, mais que la Franc-maçonnerie en est une des dépositaires dans sa Tradition initiatique, et que le chemin initiatique qu’elle propose est aussi un acheminement vers la parole, vers cette capacité d’échange en profondeur qui manque à notre société occidentale postindustrielle. Sans doute convient-il d’approfondir ici ce que l’on entend par la parole, et en particulier la Parole initiatique à laquelle nous entraîne la Franc-maçonnerie quand elle ouvre ses travaux sur le Livre de la Loi sacrée au prologue de l’Évangile de Saint Jean : « Dans le principe était la Parole… » La parole, ce n’est bien entendu pas seulement une voix, aussi caressante soit-elle. Certes la voix, comme d’ailleurs l’ensemble du corps et de la gestuelle, est essentielle à l’expression de la parole, mais la voix seule, sans parole à exprimer est un leurre ou un piège. La parole ce n’est pas non plus le mot, outil de séduction de la rumeur qui monte de notre civilisation moderne, mot choisi pour perdre la foule dans ses faux-sens ou doubles sens, répété à l’envie par les média, puis par la foule elle même qui ne se rend pas compte que le mot ne décrit pas la réalité, mais au mieux le caricature, et au pire la travestit : Rigueur, Mondialisation, France d’en bas, bling-bling… La parole, ce n’est 2 pas non plus uniquement l’idée qu’il faut chercher derrière le mot, cette idée qui dans le bouillonnement de vie et de conscience qu’est l’être humain n’est pas toujours rationnelle, mais bien souvent proche du lieu virtuel de notre ressenti et de nos sentiments que nous appelons notre cœur, avec toute sa charge d’intuition, de conscient et d’inconscient, fruits de notre histoire personnelle. L’essence d’une vraie parole, faite de voix, de gestes, de mots, d’idée, d’image, c’est qu’elle touche l’être au plus profond de sa globalité et de son individualité, en même temps qu’au plus haut de sa perception de la transcendance, et qu’elle y est comprise dans sa globalité, parce qu’elle aussi est issue à la fois du plus profond et du plus élevé de l’être. L’apprenti Pour nous acheminer vers cette vraie parole, quoi de plus efficace, de plus évident, que de commencer par éradiquer le bruit, l’échange imparfait de la parole profane ? Comme on taille une vigne ou un arbre fruitier, la Franc-maçonnerie commence donc par ôter la parole à l’apprenti qu’elle initie. Jusqu’à son élévation au degré de compagnon il ne prendra pas la parole en loge. Le Rite Écossais Ancien et Accepté apporte dans son rituel des éclairages en profondeur sur la signification de ce silence. «On n’entendit ni marteaux, ni pics, ni aucun outil de fer dans le Temple pendant sa construction.» L’apprenti qui frappe à la porte du Temple le jour de son Initiation doit au préalable se dépouiller de tous les métaux dont il est porteur. « Les métaux, dont on vous a demandé la remise avant d’entrer dans ce Temple, symbolisent tout ce qui brille d’un éclat trompeur » nous dit le rituel d’initiation au premier degré. On imagine bien que parmi les fausses valeurs de la société profane dont l’apprenti se dépouille avant d’entamer la construction de son Temple intérieur, il y a justement ce bruit des mots infondés et trompeurs du verbiage moderne. En lieu et place de la multitude de mots changeants et superficiels, l’apprenti va en recevoir un, et un seul, mais un mot stable dans sa transmission depuis des siècles, et riche d’une signification profonde : BO‘AZ, pour la transmission duquel le rituel lui fait dire : « Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler. » Je ne sais ni lire ni écrire, comment mieux exprimer que l’initié repart ainsi au B+A = BA, au principe du mot et de l’échange, qu’il reprend au point de départ l’expression de la parole, qu’il abandonne les phrases et les constructions du monde d’avant son initiation pour reconstruire son langage lettre par lettre : je ne sais qu’épeler. Lettre par lettre c’est à dire étape par étape, bien sur, au cours de son chemin initiatique, mais aussi signification par signification, en s’appuyant sur un travail d’approfondissement à chaque pas. Lettre par lettre, consonne par consonne, c’est aussi le mode de compréhension en profondeur des mots Hébreux, qui permet de mieux appréhender leur signification ésotérique, et qui nous conduit à mieux comprendre BO‘AZ, ce mot hébreu gravé sur la colonne du nord du temple de Salomon : la première consonne, BETH, c’est la maison, l’intérieur; la deuxième, ‘AÏN, c’est la source, et ZAÏN, Z, le chiffre 7, chiffre de la perfection, et si BOAZ, signifie bien en force on voit qu'il ne s'agit pas de la force brute, mais de la force profonde qui vient d'une descente en soi-même, en quête de la source de lumière intérieure qui nous conduira à la perfection. Associé au Fil à Plomb, insigne du deuxième surveillant chargé de l’éducation 3 des apprentis, symbole « qui dirige l’esprit vers les profondeurs, l’amenant à ne pas s’arrêter à l’aspect extérieur des choses et à pénétrer le sens caché des allégories et des symboles », mais aussi symbole de la verticale qui relie ce qui est en bas à ce qui est en haut, BO‘AZ fait bien percevoir à l’apprenti que son œuvre sur lui-même, la taille de sa pierre brute, consiste à se dépouiller des préjugés, mots et significations superficielles et trompeuses pour accepter de retrouver au fond de lui-même ce qu’il est vraiment, la pierre cachée de V?I?T?R?I?O?L?, en même temps que « la petite étincelle » qui l’appelle à la transcendance. C’est de ce lieu, et de ce lieu seulement, que pourra être issue une vraie parole, une parole initiatique. « Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler, donnez-moi la première lettre je vous donnerai la suivante. » De la deuxième partie de cette phrase du rituel, l’instruction du premier degré nous dit qu’elle décrit la méthode pédagogique de la Franc-Maçonnerie : chaque F? apporte à son F? les éléments de progression nécessaires à la poursuite de son cheminement, ne lui apportant la lettre suivante que lorsque la lettre précédente est assimilée. C’est toute la justification de l’écoute, car savoir à quelle lettre en est arrivé son F? dans son cheminement nécessite une écoute attentive. C’est ce à quoi s’entraîne l’apprenti par son silence en loge, silence qu’il apprécie toujours car il lui permet de découvrir une meilleure qualité d’écoute, et par là un sentiment profond de participation à l’égrégore de l’atelier. Là encore, cet apprentissage de l’écoute est essentiel pour la parole. Si la parole initiatique doit être issue du plus profond de l’être, elle doit aussi s’adresser là où l’autre peut l’entendre, et pour cela quelles qualités d’écoute, de perception et de tolérance ne faut-il pas développer ! Mais créer un lien de tout soi-même vers la profondeur de l’autre, on sent bien que le mot seul, et l’expression cartésienne, n’y suffiront pas. La communication serait trop sèche, pas assez profonde, comme la uploads/Litterature/ un-acheminement-vers-la-parole-louis-trebuchet-2008-pdf.pdf

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