Un nihilisme libanais Ecrit par Nafiss Mesnaoui En feuilletant les recueils de
Un nihilisme libanais Ecrit par Nafiss Mesnaoui En feuilletant les recueils de la poésie libanaise de langue arabe et francophone, une poétique du nihilisme, qui est passion pour le néant et négation du monde ainsi que de son créateur avec tout ce qui en suit, est vite tangible. Pourquoi, dans un pays où se côtoient plusieurs religions, surgit en poésie le l’incroyance ? Il ne s’agit pas bien effectivement d’une poésie qui assure, mais plutôt qui dérange semant le doute et les incertitudes, brisant les clichés et les verrous, jouant sur les surprises les plus culminantes, transgressant les lignes rouges et tabous. Elle est refus parce qu’elle n’est pas certitude et affirmation d’un monde quand règne un despotisme universel. Il ne faut pas chercher le confort dans la poésie. Le poète bat, gifle, secoue son lecteur et ne le satisfait pas forcément. Certains poètes libanais confirment leur passion pour le Néant et leurs refus de dieu, donc une grande majorité de la poésie libanaise qui confirme cela. Il s’agit toujours de créer, de proliférer, notamment à partir du vide cette fois. Ces poètes n’y adhèrent pas parce que tout simplement plusieurs, n’ont pas vécu la Paix, la Justice, la Miséricorde, la Pitié et l’Amour. La poésie non plus ne les bénit pas, mais ouvre les chemins de la vérité, sur l’universel et l’homme, les plus suprêmes et les plus secrets. 1. Une poésie à l’encontre de Dieu 1.1. Une négation de la religion Hormis une minorité de poètes qui se proposent comme chrétiens gnostiques manifestant une foi religieuse à partir d’une poésie mystique illuminée dont la prose est riche et ample, la majorité des poètes libanais prend ses distance à l’égard de la religion : c’est une poésie de la négation. Pour qu’il y ait véritable création poétique, il faut renoncer à la croyance. La poésie libanaise se veut aux antipodes de la religion. Ce que veut dire la poésie, ce n’est pas ce que veulent dire les religions. Les religions ne déchirent-elles pas la carte géographique du Proche-Orient aux yeux des poètes ? Le Liban n’était-il pas envahi cruellement en 1982 puis occupé au nom d’une religion et au nom d’un Dieu Eternel ? Le peuple de Dieu de l’ancienne alliance ne persécute-t-il pas la Palestine puis le Liban au nom de Dieu et de la religion ? Adonis déclare sur France-Culture : « Les deux grandes forces du monde arabe, et qui finiront par se retrouver seules pour finir face à face, c’est la religion, d’un côté, et la poésie de l’autre – qui, là-bas, remplit des stades entiers. »1 La poésie s’oppose à la religion parce que cette dernière n’est pas liberté, mais soumission, servilité et devoir. Le poète mène, bon gré mal gré, un combat irréligieux. Le poète athée est libre et autonome, le croyant par contre est soumis et obéissant. Or la vraie créativité ne peut être qu’indépendance. La poésie est cette sortie du gouffre, de la coquille, et des clichés. La religion qui postule l’existence d’un Dieu projette en lui toutes les valeurs, ce qui revient à dévaluer le monde réel. Ce que dit la religion est clos, ce que dit la poésie est ouvert. La poésie est questionnement ouvert, alors que la révélation se présente comme parole ultime et achevée. La poésie qui est expérimentation ne redit pas, elle est quête continue de la vérité et du sens dissimulé. La poésie est comme la philosophie, recherche de la vérité et non sa détention immédiate. « Religions et dieux se mettent à table Et s’entre-dévorent »2 Déjà Adonis prenait parti pour le mouvant, qui est création, contre le fixe qui est religion, en l’occurrence l’Islam. Or tout ce qui n’adhère pas à l’Islam est considéré sans valeur, sans importance. L’islam est religion définitive et système total, cause d’immobilité en limitant le pouvoir et la liberté au sein du groupe. Il est l’Etat également. Adonis remarque la régression périlleuse de la poésie et de sa valeur avec la religion musulmane. Il souligne la problématique de l’écriture coranique qui selon lui « a mi fin à l’écriture »3 puisqu’elle veut conserver la vérité absolue, du coup elle va à l’encontre de l’esprit de la recherche délimitant les horizons de la connaissance. 1 Daniel Aranjo, Salah Stétié, poète arabe, p. 63. 2 Adonis, Mémoire du vent, « Ismaël », p. 155. 3 Adonis, La Prière et l’épée, « L’écriture coranique », tr. Leïla Khatib et Anne Wade Minkowski,p. 124. C’est ainsi qu’Adonis rejette directement le Coran, dans ce paragraphe de La Prière et l’épée, recueil d’essais sur la culture arabe : « Si l’Islam est la religion parfaite et si son message scelle définitivement toutes les révélations – dont il est le couronnement -, les musulmans ne peuvent être que parfaits. Un verset les désigne comme : « la nation la plus parfaite jamais créée par le Dieu ». Puisque la perfection du message suppose la perfection des destinataires, elle annule, sur le plan religieux, le principe même de l’évolution et du changement. »4 L’écriture de la poésie en arabe, langue sémitique auquel l’Islam s’est identifié depuis la descente du Coran, est bien évidemment une désacralisation puisque la langue du Coran a régné avec la religion et son pouvoir absolu despotique qui censure et réprime. Ecrire en arabe de la poésie, c’est désacraliser cette langue, la vider de sa valeur sacrée. Le combat s’avère double pour le poète de langue arabe. La création dans la religion relève du pouvoir céleste, l’homme ne peut qu’acquérir l’acte crée, il ne découvre pas l’inconnu par lui-même mais reçoit la vérité par la seule action volontaire de Dieu. En poésie, la création dépend des facultés mentales et intellectuelles de chaque poète. Il n’y est nullement de sacré dans la poésie, elle est liberté totale en-deçà des périls de la liberté. Il faut attaquer la pratique religieuse par conséquent : « Prier, c’est à défaut de changer de corps changer de chemise »5 Le poète grec Dimitri T. Analis affirme à son ami Adonis dans une lettre écrite le 27 juin 1998 : « Aller contre Dieu a été notre vin et nous en sommes encore ivres. »6 Toute la méditerranée, remarque Analis, souffre d’avoir délaissé ses dieux de lumière pour un Dieu unique masqué, imperceptible, insaisissable, de fureur et de foudre, qui interdit, opprime et asservit. Dieu est dépourvu d’un sens saint et vénérable, il n’est pas sacré pour le poète. Dieu est ennemi même du poète avant tout. Encore nous pouvons être face au mythe du poète maudit, solitaire, né sous de mauvais auspices, accablé par les malheurs et les afflictions du cœur. Il s’agit de renier l’existence afin d’inverser ses lois et ses canons, puis renier donc l’existence du Créateur : 4 Ibid., « Le Fixe et le mouvant », p. 30. 5 Salah Stétié, Signes et singes, p. 26. 6 Adonis et Analis Dimitri, Amitié, Temps et Lumière, Lettres de la méditerranée, p. 12. « Se venger de Dieu est une des grandes manières de la parole et c’est splendeur : humaine et vulnérable splendeur. »7 Le Dieu est contesté : « La nostalgie de Dieu prend racine dans notre pourrissement. Dieu est, à la fin des fins, notre naïveté proclamée. »8 Salah Stétié contrairement à ce que dit Daniel Aranjo, dans Salah Stétié, poète arabe, n’est pas « un bon musulman. » Il conteste même dans un entretien récent qu’il soit surnommé bizarrement « Le poète de l’Islam en occident. » Stétié, poète francophile ne cesse d’attaquer Dieu dans son recueil Signes et singes. Maintes fois, il s’agit pour lui de vivre le poète en soi, vivre sa vie en poète. Dieu est touché par les mots, dévalorisé, l’indignation du poète est vivement manifestée contre la Bible qui place Dieu dans les cieux et Jésus son fils unique à sa droite : « Pourquoi plaçons-nous Dieu au ciel ? Parce que le ciel est ennui. »9 Stétié désacralise dans un autre aphorisme de Signes et singes, les livres saints qui pourraient mentir : « L’idolâtrie, c’est de croire que Dieu habite l’homme. Dieu ne fait que le traverser. J’appelle « Dieu » ce trajet. »10 Un peu plus loin dans le même recueil, Dieu foudroie l’homme: « Dieu est tonnerre. On en fit un paratonnerre. »11 L’anathème est lancée contre le pouvoir despotique qui utilise le Dieu : « ô tyran, est-il vrai que la main de Dieu était avec toi ? »12 Voilà un refus de toute autorité qui n’émane pas d’un jugement égalitaire. Dans Portes de Beyrouth, Abbas Beydoun est parmi ces poètes qui supposent l’idée de Dieu puisqu’il le renie. On ne peut évaluer Dieu que s’il existe vraiment, Encore s’il existe, Dieu est accusé. Du coup le poète s’en prend à Dieu pendant plusieurs fragments du recueil. Dieu est vacuité : « Le trou qui devient une blessure divine, ne trouvera rien pour le vaincre. Rien pour le remplir de gélatine ou de dureté. Dieu est présent, assurément, mais cela est terrifiant, lorsque uploads/Litterature/ un-nihilisme-libanais.pdf
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