2017­6­5 Une réponse aux tensions post­féministes : l’empowerment de Grey’s Ana

2017­6­5 Une réponse aux tensions post­féministes : l’empowerment de Grey’s Anatomy http://rfsic.revues.org/784 1/11 Revue française des sciences de l’information et de la communication 4 | 2014 : Recherches au féminin en Sciences de l’Information et de la Communication Émergences : le genre dans la communication et les médias Une réponse aux tensions post­ féministes : l’empowerment de Grey’s Anatomy B㘶㘶㘶㘶㘶㘶 D㘶㘶㘶㘶㘶 Résumés Français English À travers une analyse qualitative de la série télévisée américaine Grey’s Anatomy, cet article vise à distinguer et à analyser les éléments qui font de cette émission un exemple notable d’empowerment féminin. En effet, à travers différentes stratégies narratives, visuelles et discursives, Grey’s Anatomy répond souvent de façon particulièrement constructive aux impasses et aux enjeux posés par le courant post­féministe actuel. Cet article tente donc de souligner la pertinence de cette série dans une perspective d’appropriation positive et émancipatoire du discours (post­)féministe. Through a qualitative analysis of the American TV series Grey’s Anatomy, this article aims at highlighting and analyzing the elements that make this broadcast a striking example of feminine empowerment. Indeed, through different narrative, visual and discursive strategies, Grey’s Anatomy often responds in a particularly constructive way to post­feminist’s stakes. This article thus attempts to underline the relevancy of this series in order to promote a positive and emancipatory appropriation of the (post­)feminist discourse. Entrées d’index Mots­clés : Grey’s Anatomy, série TV, genre, post­féminisme, émancipation Keywords : Grey’s Anatomy, TV series, gender, post­feminism, empowerment Notes de l’auteur 2017­6­5 Une réponse aux tensions post­féministes : l’empowerment de Grey’s Anatomy http://rfsic.revues.org/784 2/11 Cet article s’inspire de mon premier mémoire de fin d’études complété et actualisé, intitulé Grey’s Anatomy comme exemple d’empowerment féminin, présentée à Bruxelles (IHECS) en 2011, sous la direction de Mathieu de Wasseige. Texte intégral Alors qu’elle présente actuellement sa dixième saison, la série sentimentalo­médicale Grey’s Anatomy (2005­, ABC) aura oscillé, au cours de ses dix saisons, entre intrigues amoureuses et casse­têtes médicaux. En suivant un groupe de jeunes internes au Seattle Grace Hospital, Grey’s Anatomy nous emmène dans un monde où la rage de la compétition rencontre les aléas amoureux dans une hybridité typique du paysage sériel actuel. Mais sous cette couche de soap­opera aux émotions savamment distillées, la série de Shonda Rhimes (scénariste afro­américaine dans une industrie majoritairement masculine et blanche1), révèle à qui veut bien s’y plonger une version alternative de notre société qui propose à chacun des moyens d’appréhender notre culture patriarcale d’une façon critique et engagée. C’est le point de vue de cet article, dont le cadre d’analyse se place à l’intersection des cultural studies et des gender studies. Il s’agit de proposer différentes clés de lecture de la série qui mettent en lumière son potentiel émancipatoire, ici utilisé dans son acception anglophone plus précise d’empowerment. Cette riche notion se rapporte, dans son sens le plus large, à l’acquisition d’une plus grande liberté de choix et d’action2. Dans le cadre de cette recherche, nous utiliserons la définition de Jo Rowlands, qui inclut le concept dans une perspective féministe, et définit l’empowerment comme « les processus qui mènent à se percevoir capable et habilité à prendre des décisions [et à] maximiser les opportunités disponibles sans contraintes »3. Elle ajoute que l’analyse des représentations médiatiques est centrale, « pour que les personnes concernées finissent par voir leur capacité et leur droit à agir et à avoir de l’influence »4. 1 C’est notamment sur la base de ce postulat que les gender studies perçoivent l’importance cruciale de la lecture attentive de textes culturels afin de pouvoir dégager des clés de compréhension pour le lecteur. Celui­ci devient ainsi consciemment actif dans le processus de production de sens5. En effet, pour reprendre l’expression de Teresa de Lauretis, les textes culturels peuvent être compris comme des « technologies du genre », dans le sens où ils sont non seulement marqués par le genre, mais ils produisent également du genre : « La construction du genre est à la fois le produit et le processus de sa représentation »6. Parmi ces textes culturels, de façon de plus en plus manifeste, le monde académique francophone reconnaît, soutient même, la remarquable complexité des univers sériels et l’impact de ces représentations médiatiques sur nos modes de pensée7. En proposant une version alternative de notre société, issue de la subjectivité de ses créateurs, la série télévisée invite le spectateur dans un jeu d’interprétation, de positionnement, de négociation avec ses propres perceptions8. Ainsi, le monde fictionnel de la série établit un rapport incessant de réciprocité avec le réel : il s’en inspire autant qu’il le façonne. Et c’est précisément là que se situe son potentiel critique et émancipatoire. Pour Jean­Pierre Esquenazi, il est d’ailleurs évident que « l’appui pris par les séries sur une réflexion critique à propos des évolutions de la société est un invariant de la production télévisuelle de fictions et appartient à ses qualités constitutives »9. 2 C’est pourquoi cet article propose de s’intéresser aux représentations présentes dans la série Grey’s Anatomy, à la lumière de ce qui constitue le féminisme contemporain, le post­féminisme. À l’image de son berceau post­moderne, le post­féminisme ne peut être compris à l’aune d’une définition simple et univoque. Il s’agit d’un courant complexe, multiple et souvent contradictoire. Dans le cadre de cette analyse, nous retiendrons la définition large et inclusive de Rosalind Gill10, pour qui le post­féminisme englobe l’ensemble des réactions à la deuxième vague féministe des années 1960 et 70, qu’elle résume en trois courants majeurs. Premièrement, le backlash11, soit un rejet des discours féministes de la seconde vague, principalement sous l’effet des médias de masse. Ensuite une prise de distance avec le féminisme de la deuxième vague, caractérisée par des enjeux et des intérêts nouveaux qui conservent certains apports 3 2017­6­5 Une réponse aux tensions post­féministes : l’empowerment de Grey’s Anatomy http://rfsic.revues.org/784 3/11 La valorisation des personnages féminins féministes mais en délaissent d’autres (Angela McRobbie12 parle de « double enchevêtrement » pour désigner ce croisement de valeurs féministes et néo­ conservatrices) ; et enfin, un tournant épistémologique, la seconde vague étant jugée trop homogène. Le post­féminisme (comparable à ce que les Anglo­saxons nomment la troisième vague13 dans ce contexte) représente ici l’intersection des idées de la seconde vague et de nouvelles sources d’influence capables de représenter les minorités14 (en commençant par le post­colonialisme). À travers cette typologie se dessinent en filigrane les enjeux et questionnements centraux du post­féminisme tels que les envisage Oana Crusmac15, à savoir l’interdépendance du mouvement avec les médias de masse et la culture populaire, la célébration de la féminité, et la liberté économique et sexuelle. À l’aide d’une analyse qualitative et de contenu de Grey’s Anatomy, appréhendée comme un texte culturel16, cette recherche s’intéresse au sens dont est chargé la série, en s’appuyant exclusivement sur le discours verbal et les représentations visuelles portées par les personnages principaux17 au cours de leurs trajets narratifs respectifs. Afin d’éclairer le corpus à la lumière de la question ici investiguée, l’attention a été focalisée sur les arcs narratifs relatifs aux trois points de tension distingués par Crusmac, qui démarqueront également les trois sections de cette recherche : la valorisation des femmes dans la série, les mécanismes de célébration de la féminité qui y sont déployés, et les représentations de la conciliation d’une carrière et d’une famille. Bien que l’entièreté des épisodes diffusés ait été visionnée (dans l’ordre chronologique et en version originale18), afin d’assurer une analyse approfondie tout en travaillant sur une période assez longue pour être représentative, le corpus de cette recherche couvre les deux premières saisons (soit 61 épisodes). En tant que série de network (en opposition aux chaînes dites premium, accessibles par abonnement payant, et aux chaînes câblées), Grey’s Anatomy se doit d’attirer un public aussi large que possible en tentant d’établir un subtil équilibre entre la ligne idéologique qu’elle entend délivrer, les intérêts d’un public diversifié et les exigences des annonceurs publicitaires dont dépend son financement19. Ainsi, les premières saisons d’une série sont davantage susceptibles de traduire cette négociation en illustrant à la fois la volonté de ses créateurs et ce que ceux­ci pensent être la volonté du public. Les saisons suivantes ne sont référencées que lorsqu’elles renseignent sur le prolongement ou la réapparition d’un fil narratif présent dans l’une des saisons étudiées. 4 Après une analyse approfondie du paysage médiatique actuel, Rebecca Collins indique que les femmes y sont encore largement sous­représentées et généralement cantonnées à des rôles stéréotypés et/ou sexualisés20. Si Grey’s Anatomy constitue un exemple post­féministe notable, c’est premièrement à travers une sur­représentation des femmes dans le monde très masculin de la chirurgie : si l’univers médical se féminise progressivement, le domaine spécifiquement chirurgical reste très majoritairement masculin21. Comme le résume Cristina, l’une des internes, la chirurgie « c’est macho, c’est hostile, c’est violent » (S.1, ép.1). 5 Dès l’épisode pilote, l’héroïne Meredith constate (et explicite pour le spectateur) le nombre très peu élevé de femmes parmi les nouveaux internes (« Il n’y a que six femmes sur vingt », S.1, ép.1). Or, cette constatation se voit simultanément compensée par un casting largement féminin uploads/Litterature/ une-reponse-aux-tensions-post-feministes-l-x27-empowerment-de-grey-x27-s-anatomy.pdf

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