Quelques remarques à propos d'Hermès-Idrîs A. A. « Le monde de la Nature : des

Quelques remarques à propos d'Hermès-Idrîs A. A. « Le monde de la Nature : des formes dans un miroir unique... Non ! Plutôt une forme unique dans des miroirs multiples. » (Ibn Arabî, Kitâb fuçûç al-hikam, ch. sur Idrîs). À l'occasion d'une précédente étude1, nous avons été amené à citer l'article de René Guénon intitulé « Hermès » paru dans le Voile d'Isis en 19322. Ce texte participe du véritable « miracle » qui s'opère à ce moment dans la ligne éditoriale de la revue grâce à l'action à distance de celui qui vient alors de rejoindre cette contrée éminemment « hermétique » de Miçr, au pied de la Grande Pyramide dont il est parfois dit, comme lui-même l'a rappelé, qu'elle est le « tombeau d'Hermès »3. Nous n'ignorons pas, naturellement, que Guénon a insisté en permanence dans son œuvre sur la prééminence de la métaphysique pure, et que par conséquent pour lui l'essentiel n'est pas du domaine de l'hermétisme proprement dit. Dans le cas qui nous occupe, cela signifie entre autres que son rattachement à une tariqa shadilite et à une baraka akbarienne (et cela depuis 1912 au moins) est incomparablement plus important que des coïncidences de lieu dans lesquelles il n'est sans doute pas interdit de voir un signe, mais dont il ne faut pas non plus exagérer la signification, ce qui reviendrait à se placer à un point de vue plus proche du Voile d'Isis ancien style (occultiste) que des Études traditionnelles encore à venir à l'époque que nous évoquons. Néanmoins, l'hermétisme envisagé à sa juste place et dans une perspective traditionnelle est évidemment un objet de science légitime, et ses rapports avec la « science sacrée » sont même des plus étroits, comme nous le verrons ; et si Guénon a jugé pertinent d'écrire au sujet d'Hermès et de l'hermétisme, ce n'est certainement pas sans raison. Ces prémices peuvent donc nous suggérer deux directions d'étude : la première consisterait à préciser le point de vue de Guénon sur l'hermétisme en général et sur l'alchimie en particulier. Ce ne serait peut-être pas tout à fait original, mais sans doute pas tout à fait inutile non plus, au vu des nombreux malentendus auxquels cette question a souvent donné lieu. Ce pourrait être, à l'occasion, l'objet d'un autre travail. La seconde, à laquelle nous nous consacrerons dans ce qui suit, consiste à développer et à approfondir certaines des indications données par René Guénon, et en particulier à examiner de plus près l'assimilation entre Hermès et Idrîs, ainsi que le rôle joué par ce prophète dans la tradition islamique. Cette étude nous permettra de faire connaissance avec quelques textes de chroniqueurs musulmans et de nous arrêter sur certains points symboliques relatifs à Hermès-Idrîs. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la matière est très vaste, et nous serons obligés par la force des choses de nous limiter à un nombre restreint de références ; nous espérons néanmoins pouvoir donner par là au moins un « avant-goût » de cet aspect de l'hermétisme relativement peu connu en Occident. 1 « Dante et l'énigme du 515 », Le Miroir d'Isis n° 17. 2 « Hermès », Le Voile d'Isis, 1932, repris dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques, p.128-137 (dans la suite, simplement H suivi du numéro de la page dans cette édition). 3 « Le Tombeau d'Hermès », Le Voile d'Isis, 1948, repris dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques, p.138-148 (dans la suite, simplement TH). * Le prophète Idrîs est mentionné deux fois dans le Coran : en (21; 85), où il est simplement cité en même temps que Dhû-l-Kifl, que certains identifient avec Élie ; et surtout en (19; 56-57) : « Et mentionne Idrîs dans le Livre. C'était un véridique et un prophète. Et nous l'avons élevé en un lieu éminent (makânan 'aliyyan). » Les histoires rapportées par les chroniqueurs musulmans à propos d'Idrîs ne sont pas toujours concordantes et présentent différentes variantes. Il est toutefois constant qu'Idrîs est assimilé au prophète biblique Énoch (en arabe Akhnûkh), qui fut emporté au ciel sans passer par la mort physique. Cette identification est attestée par un traditionniste aussi ancien que Wahb ibn Munabbih, mort vers 730. Notons que jusqu'à preuve du contraire, il semble que les textes connus en français sous le titre de « Livre d'Énoch » et de « Livre des secrets d'Énoch » soient restés inconnus dans le monde musulman. Relevons aussi dès à présent que selon d'anciennes traditions, dont le Traité sur le mystère des lettres grecques4, par exemple, se fait l'écho, l'origine de la langue « syriaque » primordiale remonte à Énoch ; cette attribution se retrouve donc de même dans le cas d'Idrîs. D'autre part, l'identification d'Idrîs avec Hermès est également constante ; comme l'indique Reinaud : « dans les traités orientaux des sciences occultes, on se sert indifféremment des noms d'Hermès et d'Édris »5. Enfin, certains assimilent également ce dernier à Thoth, « qui représente la source de laquelle le sacerdoce égyptien tenait ses connaissances, puis, par extension, ce sacerdoce lui-même en tant que continuateur de la même fonction d'enseignement traditionnel » (TH, p.142) ; toutefois, il s'agit « plus spécialement (d') un certain aspect de Thoth, correspondant à une certaine partie de la tradition, celle qui comprend les connaissances se rapportant au “ monde intermédiaire” » (H, p.131). Comme Thoth, il passe pour celui « qui le premier inventa le nombre et le calcul, la géométrie et l'astronomie... enfin précisément les lettres de l'écriture »6. Nous verrons cependant que si l'hermétisme se rapporte par définition à Hermès, la figure prophétique d'Idrîs assume en Islam une fonction qui va bien au-delà, semble-t-il, du « monde intermédiaire » proprement dit. Mais commençons par faire connaissance avec quelques textes relatifs à Idrîs. Citons tout d'abord Maqdisî (Xe siècle7) : « Les personnes qui s'occupent de cette science prétendent qu'Idrîs n'est autre qu'Énoch, fils de Yared, fils de Mahalaléel, fils de Qênan, fils d'Énos, fils de Seth, fils d'Adam; sa mère était Bérékia, fille d'Aldermasîla, fils de Méhujaël, fils d'Hénoc, fils de Caïn, fils d'Adam. Il fut appelé Idrîs à cause de son instruction développée8; il fut le premier prophète qui reçut une mission après Adam ; car il avait reçu de ses devanciers l'héritage de la prophétie, mais non celui de la mission9. Il est le premier qui traça des caractères au moyen de la plume après Adam, le premier qui cousit des vêtements et les revêtit, car avant lui on s'habillait de peaux de bêtes. Les enfants d'Adam étaient encore vivants ; Dieu l'appela à la prophétie après la mort d'Adam, lui révéla la connaissance de l'astronomie et de la médecine. Son nom, chez les Grecs, est Hermès. Son travail, chaque jour, équivalait à celui de tous les hommes pris ensemble, ce qui lui valut la satisfaction de Dieu qui l'éleva à un rang sublime. Mais les avis sont partagés sur la manière dont cette élévation eut lieu. 4 Voir l'étude citée à la note 1 pour des références plus complètes. Saisissons cette occasion pour signaler que la revue Science sacrée a réédité la première partie de ce traité dans son n° 6, et que la suite est annoncée pour un n° 8 qui devrait en principe paraître après une interruption de plusieurs années. 5 M. Reinaud : Description des monuments musulmans du cabinet de M. le duc de Blacas, Paris, Imprimerie Royale, 1828, t.I, p.139. 6 Platon : Phèdre, 274c. 7 Il n'est pas indifférent de situer les chroniqueurs sur la ligne du temps, les plus tardifs ayant tendance à citer les plus anciens tout en les mélangeant sans que les références soient toujours très explicites. Pour la commodité du lecteur, nous donnerons toutes les dates par rapport à l'ère chrétienne. 8 Comme la plupart des autres commentateurs, Maqdisî rapproche le nom d'Idrîs de la racine DRS, dont le sens se rapporte à l'étude, à l'enseignement ; cette étymologie est cependant loin d'être sûre. 9 Il s'agit de la différence entre la prophétie au sens général (nubuwwa) et la mission (risâla). Il est dit, dans le livre d'Abou-Hodhaïfa, que...l'ange du soleil demanda la permission de rendre visite à Idrîs, ce que Dieu lui permit. Or, Idrîs lui demanda de l'enlever au ciel, afin d'y adorer Dieu avec ses anges ; Dieu donc l'enleva, et il se trouva dans le quatrième ciel. On rapporte, d'après 'Abdallah ben el 'Abbâs, qu'Idrîs demanda à l'ange du soleil de lui enseigner le nom au moyen duquel on peut monter au ciel, ce qu'il fit, et Idrîs s'éleva au quatrième ciel au moyen de ce nom ; Dieu envoya l'ange de la mort qui l'y saisit. Une autre autorité dit qu'il fut enlevé dans le ciel le plus proche de nous10, comme l'a été Jésus. »11 Relevons l'attribution, selon la tradition généralement admise, du ciel du Soleil à Idrîs. Quelques variantes font état d'une montée au ciel de Mercure (ce qui se comprend aisément puisqu'il est le même qu'Hermès) ou de Saturne (le ciel le plus élevé, en écho au uploads/Litterature/ hermes-idris 1 .pdf

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