Cahiers de l'Association internationale des études francaises Introduction à l'

Cahiers de l'Association internationale des études francaises Introduction à l'érotique valéryenne P.-O. Walzer Citer ce document / Cite this document : Walzer P.-O. Introduction à l'érotique valéryenne. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, n°17. pp. 217-229; doi : https://doi.org/10.3406/caief.1965.2289 https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1965_num_17_1_2289 Fichier pdf généré le 20/04/2018 INTRODUCTION A L'EROTIQUE VALÉRYENNE Communication de M. Pierre Olivier WALZER (Université de Berne) au XVIe Congrès de Г Association, le 29 juillet 1964. A l'origine de la conception que Valéry tente de se faire de l'amour, on trouve toujours le souvenir de l'ébranlement initial éprouvé dans l'aventure de Montpellier. Il a fait là connaissance avec l'irrationnel, avec le vertige, et avec la honte de se conduire comme n'importe qui. Ce souvenir apparaît presque constamment dans les Cahiers en corrélation avec le choc provoqué par la découverte de Mallarmé, c'est-à-dire la découverte de sa propre infériorité par rapport à une poésie achevée. Dans ces deux expériences, qui lui firent toucher cruellement et concurremment sa propre faiblesse, tant sur le plan sentimental que sur le plan intellectuel, il puisa le courage de vouloir se hausser au-dessus des forces déroutantes du sentiment et atteindre à une universalité spirituelle qui ne laissât plus de prise aux puissances du hasard. A l'âge de vingt ans, alors qu'il pouvait déjà se croire devenu un rare esprit, et s'être approprié quelques-uns des secrets de Léonard dans le sens de la généralisation des pouvoirs, voici que Mallarmé lui apprend que le Système a des failles, et Mme de R., qu'il se conduit comme un collégien. Cette 2l8 PIERRE OLIVIER WALZER dernière pensée est particulièrement insupportable à son orgueil, et les lettres à ses confidents de l'époque (Gide, Fourment, Louys) trahissent le scandale que fait naître en lui cette constatation irrecevable pour un jeune Moi Pur. Par la suite, il attachera de plus en plus d'importance, en méditant sur son drame, à ce refus du déjà vu, déjà fait ou déjà connu. « Je me vomis si ce que je croyais être mon exception me paraît une épidémie » (II, 199*). Pourquoi aimer, si aimer c'est imiter. Un esprit ne peut pas aimer ce qu'il n'a pas inventé (Mél., 58). D'où la guerre farouche déclarée aux idoles, dont la nuit de Gênes marque comme la déclaration. « Ceci devait se rattacher à mon sentiment si profond de 189... qui m'éloi- gnait de tout ce qui me paraissait déjà fait, déjà exploité, — comme d'avance — parmi quoi l'amour du type décrit partout, — et duquel les expressions habituelles me semblaient clichées — que ces expressions fussent les mots usités, ou les expressions-sensations intérieures » (XXII, 200-201). Revenant, bien plus tard, sur la résistance qui s'est développée en lui, vers la vingtième année, contre les sentiments naturels, et qui fut surtout « marquée contre les sentiments collectifs », il la trouve composée d'ingrédients divers. C'est d'abord « une défense contre tous les tourments affectifs, dont j'ai souffert en 91 etc. et contre le pouvoir affreux des images (choc) ». En effet, autre idée insupportable pour l'homme de l'esprit, c'est celle d'être obsédé ou persécuté par une image, c'est-à-dire un reflet, c'est-à-dire rien. Deuxième ingrédient : l'opposition vie — esprit : « L'intellect, fonction d'égalité et de pureté — Tout le Je puis d'un côté, tout le Je suis — de l'autre et ce je suis refusé par le premier qui tend à se faire MOI pur » (XXII, 410). Les propriétés de ce Moi pur, définies par l'Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, par Monsieur Teste ou par la Note et digression, sont mises une nouvelle fois en rapport, dans une note encore plus tardive, avec l'ébranlement fondamental qu'a constitué le drame de Montpellier. La réaction de l'esprit reçoit ici des * Les références de ce type renvoient évidemment aux Cahiers. INTRODUCTION A b' EROTIQUE VALÉRYENNE 219 déterminations qui n'apparurent pas au poète sur le moment, mais qu'il éclaire par rapport à tout son développement spirituel oostérieur : X rituel postérieur : « Ceci était le fruit de mes luttes intestines exaspérées contre l'obsession anxieuse 91/92 (Mme de R. et la sensation d'infériorité intellectuelle due à telles volontés de poésie. D'ailleurs, j'étais venu à considérer non la seule poésie, mais toute force de l'esprit, et c'est la capacité, le pouvoir de faire en tout qui m'apparaissait — la fabrication poétique devenant une application particulière.) [...] Tout ceci procédait d'une volonté de défense contre Moi trop sensible. Peur de Moi. On n'a peur que de Soi. Rares étaient les individus que j'épargnais en moi. Je les classais selon ce qu'ils savaient faire et moi pas. Les résultats extérieurs m'importaient peu, c'était la capacité, le pouvoir que j'enviais » (XXIV, 595). On touche donc ici à quelque chose de central dans la genèse du génie de Valéry. C'est bien son refus contre un sentiment dévorant, son refus du vague en existence et du vague en littérature, qui ont fait de lui un si rare Robinson intellectuel. Dire que le génie a pour conditions d'aimer Mallarmé et d'être amoureux aurait évidemment quelque chose d'excessivement simplificateur, néanmoins les Cahiers n'hésitent pas à faire découler de ces deux désespoirs le salut même de l'être : « Toute ma « philosophie » est née des efforts et réactions extrêmes qu'excitèrent en moi de 92 à 94, comme défenses désespérées, i° l'amour insensé pour cette dame de R. que je n'ai jamais connue que des yeux — 2° le désespoir de l'esprit découragé par les perfections des poésies singulières de Mallarmé et de Rimbaud, en 92 — brusquement révélées. Et cependant je ne voulais pas faire un poète — mais seulement le pouvoir de Г être. C'est le pouvoir seul qui m'a toujours fait envie, et non son exercice et l'ouvrage et les résultats extérieurs. C'est bien moi. Tout ceci, en présence des 2 ou 3 idées de première valeur que je trouvai dans Poe. (Self-consciousness.) Dieu sait quelles nuits et quels jours ! Cette image de Mme de R. etc. L'arrivée. Paris en nov. 92. Le concert. J'ai donc lutté, me suis consumé, et le résultat fut la bizarre formule : Tout ceci sont phénomènes mentaux... Je voulais réunir et mépriser en bloc tout ce qui vient à l'esprit. Je voulus m'en faire une idée quantitative. Comme de l'énergie totale d'un système... 22О PIERRE OLIVIER WALZER Trait essentiel de cette époque, Insularismes, despotisme absolu. Rien d'assez moi, et ce moi — était une extrême puissance de refus appliquée à tout — et surtout à ce qu'il pouvait véritablement être, faire, ou espérer ! » (XXII, 842-843). Si l'amour est capable de produire dans l'esprit des effets aussi remarquables, et aussi remarquablement bienfaisants, il représente donc une des composantes de l'existence qu'il convient de ne pas ignorer. Dans l'ensemble de la production littéraire de Valéry, l'amour, effectivement, n'est pas oublié. Mais il y apparaît le plus souvent sous son aspect négatif, comme une espèce de folie incompréhensible attachée à l'espèce humaine, pour en assurer la reproduction, mais au prix de la déperdition de la conscience. (« II faut perdre la tête, ou perdre la race »). Mme Teste est un charmant animal qui n'a pas d'existence aux yeux de son mari. Les amants des Fragments du Narcisse n'illustrent de l'amour que son mensonge et sa caducité. Et pour tout viatique Faust confie au disciple la formule ambiguë : « Prenez garde à l'Amour. » Non, l'amour n'a pas bonne presse dans l'œuvre de Valéry, qui apparaît comme un écrivain plutôt misogyne, fabricant de maximes sur les femmes, à la française : « Femmes sont fruits. Il y a des pêches, des ananas et des noisettes. Inutile de poursuivre : cela est clair. L'amateur ne peut se résoudre à ne cueillir que ceux d'une seule espèce. Il veut se connaître soi-même dans la diversité du jardin » (Mél., 57/58). Mais, dans le secret des Cahiers, l'amour est pris beaucoup plus au sérieux et constitue un sujet de méditation très constant. Parmi les sigles que Valéry utilise pour s'y retrouver dans l'amoncellement de ses notes (HP : histoire, politique ; S : le Système ; <p : philosophie ; ф : psychologie, etc.) le sigle ep = Ïçxùc, revient avec une remarquable régularité. Une page des Cahiers, relative aux problèmes de la vie sentimentale, et une fois encore expressément greffée sur le л sentiment si profond de 189... », se termine par cette notation qui résume assez bien les lignes générales d'une erotique valéryenne : INTRODUCTION A L'EROTIQUE VALÉRYENNE 22 1 « En somme, connaissance ; épuisement de la précision ; refus du déjà fait ou connu — désir des limites. » (XXII, 201.) C'est sous ces quatre chefs qu'il faudrait procéder à de longs développements pour illustrer toute la richesse de la pensée de Valéry sur les problèmes de 1 amour. Passons rapidement sur le refus du déjà fait, jusqu'ici suffisamment évoqué, non toutefois sans relever une parenté avec un autre pessimiste célèbre, La Rochefoucauld, qui a dit : « II y a des gens qui n'auraient jamais uploads/Litterature/ valery-introduccion-a-la-erotica-pdf.pdf

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