Revue théologique de Louvain Problèmes herméneutiques dans l'interprétation du

Revue théologique de Louvain Problèmes herméneutiques dans l'interprétation du Cantique des cantiques Jean-Marie Auwers, André Wénin Résumé Cet article rend compte d'une vingtaine de publications récentes consacrées à l'interprétation du Cantique des cantiques, depuis les Pères de l'Église et les Médiévaux (monographies sur l'exégèse patristique, traductions de commentaires patristiques et médiévaux, anthologies) jusqu'aux exégètes modernes (O. Keel, A. LaCocque, Tr. Longman III, G. Barbiero, Y. Zakovitch et Y. Simoens) en passant par le Targum du Cantique (récemment traduit en anglais). Le panorama des interprétations ainsi offert est très contrasté. Le Cantique offre un terrain d'observation idéal du rapport entre un texte biblique et son lecteur. Abstract This article reviews about twenty recent publications devoted to the interpretation of the Song of Songs, from the Church Fathers and Mediaeval writers (monographs on patristic exegesis, translations of patristic and mediaeval commentaries, anthologies) up to modem exegetes (O. Keel, A. LaCocque, Tr. Longman III, G. Barbiero, Y. Zakovitch and Y. Simoens) with a look at the Targum of Canticles (recently translated into English) on the way. The panorama of interprétations is very varied. The Song of Songs offers an ideal observation ground for the relationship between the Biblical text and its reader. Citer ce document / Cite this document : Auwers Jean-Marie, Wénin André. Problèmes herméneutiques dans l'interprétation du Cantique des cantiques. In: Revue théologique de Louvain, 36ᵉ année, fasc. 3, 2005. pp. 344-373; http://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2005_num_36_3_3453 Document généré le 16/02/2017 Revue théologique de Louvain, 36, 2005, 344-373. J.-M. Auwers, A. Wénin Problèmes herméneutiques dans l'interprétation du Cantique des cantiques For the Bible reader, the interprétation of the Song ofSongs is the hermeneutical challenge par excellence1 Le Cantique des cantiques continue de susciter recherches et débats en tous sens. Dans les dernières années, plusieurs études ont été publiées touchant à divers aspects de cet écrit biblique, de son interprétation et de l'histoire de sa réception. Des anthologies de textes sur le Cantique ont vu le jour; plusieurs commentaires patristiques et médiévaux du Cantique ont connu des traductions - travail qui est de nature à nourrir la réflexion sur l'herméneutique de l'écrit biblique; dans le même sens, des travaux sur l'exégèse patristique se développent. La tradition juive ancienne n'est pas en reste, avec une nouvelle version anglaise du Targum, tandis que plusieurs commentaires ont également été récemment édités, montrant que la tendance actuelle est à la réhabilitation du sens littéral du Cantique. Ce sont ces divers types d'études que nous allons présenter ici. I. Un colloque sur le Cantique En septembre 2001, l'Association Catholique Française pour l'Étude de la Bible (ACFEB) a organisé un colloque autour du Cantique des cantiques. Les Actes ont été publiés sous le titre Les nouvelles voies de l'exégèse2. Diverses approches du poème sont proposées à titre d'illustration de la multiplicité des lectures auxquelles peut se prêter un texte biblique. Ils forment néanmoins un bel ensemble, permettant au lecteur de prendre la mesure de la beauté mais aussi de la complexité de la lecture de ce livre ainsi que de l'intérêt de l'approcher par des biais différents. Auteure d'une thèse remarquée sur la réception du Cantique3, Mme Anne- Marie Pelletier introduit la question du Cantique en posant quelques points de repère essentiels: «Le Cantique des cantiques: un texte et ses lectures» 1 André LaCocque, Romance She Wrote. A Hermeneutical Essay on Song of Songs, Harrisburg, 1998, p. 6. 2 Jacques Nieuviarts et Pierre Debergé (éd.), Les nouvelles voies de l'exégèse. En lisant le Cantique des Cantiques. XIXe congrès de l'A.C.F.E.B. (coll. Lectio Divina 190), Paris, Cerf, 2002, 374 p. 21,5 x 13,5. 29 €. Isbn 2-204-06932-9. 3 Anne-Marie Pelletier, Lectures du Cantique des cantiques. De l'énigme du sens aux figures du lecteur (coll. Analecta Biblica, 121), Rome, Pontificio Istituto Biblico, 1989. INTERPRÉTATION DU CANTIQUE DES CANTIQUES 345 (p. 75-101). Livre profondément paradoxal, le Cantique pose bien des problèmes à l'exégèse. Tout y est objet de discussion, en effet: datation, structure, objet, personnages et locuteurs supposés, sources, influences culturelles, liens intertextuels, canonicité. Quant à l'histoire de son interprétation, elle est tout aussi complexe. Si les lectures allégoriques ont longtemps prévalu sur celles qui privilégient le sens littéral, de nos jours, beaucoup approchent le Cantique comme un poème d'amour, même si cela n'interdit pas une possible relecture théologique; peu soutiennent encore une interprétation allégorique, mais d'autres lectures voient le jour. Un tel état de choses peut se comprendre: qu'est-ce que le Cantique, en effet, sinon un chassé-croisé de paroles vives donnant voix à l'amour, une écriture métaphorique où le sens obvie est sans cesse retravaillé comme pour interdire une interprétation univoque, une sorte d'énigme qui attend qu'on la décrypte. Mais, comme tout écrit de sagesse, le Cantique requiert du lecteur qu'il renonce à savoir, pour entrer dans une incessante recherche. Les lectures actuelles caractérisées par une redécouverte de la lettre du Cantique retiennent l'attention de Michel Berder: «La lettre retrouvée? Lectures actuelles du Cantique et sens littéral» (p. 103-128). Ses réflexions portent sur les questions actuelles autour de la notion de sens littéral, une problématique renouvelée aujourd'hui par les recherches herméneutiques. Pour ce qui est du Cantique, parallèlement à la recherche historique, se développent de nouvelles exégèses essentiellement synchroniques qui compliquent l'approche du sens littéral du Cantique et de sa portée pour ses premiers lecteurs. Les nombreuses interprétations modernes qui tentent de rendre compte de ce sens montrent que la lecture a tout avantage à garder une certaine ouverture à ce propos, d'autant que la notion d'intention de l'auteur est aujourd'hui questionnée. Quant au chercheur, il restera attentif à la complexité du texte du Cantique, à son caractère poétique et à la sur-interprétation que permettent la langue hébraïque et le monde poétique. Sans négliger l'exégèse historique classique, il ne dédaignera pas de prêter l'oreille aux voix multiples qui s'expriment dans d'autres types d'approches, sans demander à celles-ci ce qu'elles ne peuvent donner. Dans l'article suivant, le co-signataire de ces lignes Jean-Marie Auwers montre l'ampleur et la variété de la réception du Cantique chez les Pères grecs: «Lectures patristiques du Cantique des cantiques» (p. 129-157). Visitant les commentaires sur base du bilan qu'en dresse Théodoret de Cyr vers 430, il montre que la lecture littérale de Théodore de Mopsueste - apparemment isolée dans le panorama des lectures spirituelles recourant à des typologies variées et exploitant les détails du texte en des sens divers - n'est pourtant pas l'unique approche non religieuse du Cantique à l'époque. L'éclatement de l'interprétation typologique des détails a poussé, à partir du milieu du Ve siècle, à la constitution de chaînes exégétiques regroupant, verset par verset, les avis de divers commentateurs: ceux-ci sont juxtaposés, fondés et paraphrasés, ou parfois encore résumés. Ces chaînes - comme le montre celle de Procope à propos de Ct 1,2 - apportent la preuve que, loin de se répéter l'un l'autre, les Pères ne craignent pas de se contredire. Au-delà de cette diversité, ils développent néanmoins une attitude commune: tous interprètent 346 J.-M. AUWERS & A. WÉNIN le Cantique selon une typologie qui s'enracine dans le canon des Écritures, car tel est le contexte dans lequel ce livre peut déployer tout son sens, au- delà du sens littéral qui reste superficiel. Quant à l'objet du Cantique, il n'est autre que l'expérience chrétienne. Pour l'exégèse actuelle, le Cantique est d'abord le plus beau poème biblique. C'est à la découverte de l'atelier du poète que nous emmène Jean- Pierre Sonnet: «Le Cantique: la fabrique poétique» (p. 159-184). Caractéristique de la poésie hébraïque, le parallélisme n'est guère utilisé dans le Cantique que pour souligner l'alternance entre la femme et l'homme en dialogue. C'est par la parole que ceux-ci s'unissent, dans leur chant alterné où les corps deviennent poèmes grâce aux vertus de la métaphore. Trait le plus marquant de la poétique du Cantique, l'usage constant de la métaphore est une émanation de l'amour en butte à l'opposition. Aussi, tout est matière à métaphore: la nature, la terre, les produits du savoir-faire humain. Ce recours à la métaphore, et à la métonymie qui en explore les ramifications, est unique dans l'univers biblique par sa façon de faire basculer le monde des amants dans celui de leurs images. Une telle façon de faire tient de la rhétorique onirique, avec ses associations d'images, leur déplacement et leur condensation; mais elle garde un lien avec la réalité qui modifie celle-ci en invitant à agir, sans cesser le dialogue dont la structure du Cantique suggère qu'arrivé à son terme, il est à reprendre da capo, mais doit aussi se prolonger hors texte dans la réponse du lecteur. Deux lectures du Cantique sont ensuite proposées. Armand Abécassis évoque d'abord comment le Cantique est lu dans le monde juif: «Espaces de lecture du Cantique des cantiques en contexte juif» (p. 185-196). Ce livre unique, pure çoésie où la forme est tout, n'a pas été accepté sans débat dans le canon des Écrits. Si on n'a pas osé l'exclure, c'est qu'il offre un commentaire des premières lois de la Genèse: fructifier et multiplier (1,28), mais aussi «coller à» sa femme dans un échange entre deux altérités, entre uploads/Litterature/ problemes-hermeneutiques-dans-l-x27-interpretation-du-cantique.pdf

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