Du même auteur Une femme de rien roman Mazarine, 1987 Les Bateaux-Feux récits A
Du même auteur Une femme de rien roman Mazarine, 1987 Les Bateaux-Feux récits Alinéa, 1988 Les Chambres nouvelles Blandin, 1992 La seiche roman Seuil, coll. « Fiction & Cie », 1998 et « Points », n° P679 Anchise roman Prix Femina Seuil, coll. « Fiction & Cie », 1999 et « Points », n° P787 Le Petit col des loups roman Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2001 et « Points », n° P939 Amanscale roman Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2002 et « Points », n° P1094 Le Goinfre roman Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2004 Vous Melville, 2004 Manger avec Piero Mercure de France coll. « Le Petit Mercure », 2004 Primo roman Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2005 Les corbeaux pièce Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2007 C’est pourtant pas la guerre 10 voix + 1 recueil Seuil, coll. « Fiction & Cie » Les draps du peintre Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2008 La scène Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2010 Je vais faire un tour Créaphis éditions et Fondation Facim, 2010 Une femme drôle Éditions de l’Olivier, 2010 Des pétales dans la bouche livret Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2011 Dans la route Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2012 COLLECTION « Fiction & Cie » fondée par Denis Roche dirigée par Bernard Comment ISBN 978-2-02-113487-2 © Éditions du Seuil, septembre 2013 www.seuil.com www.fictionetcie.com Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo Pour Denis Roche Table des matières Couverture Du même auteur Copyright Dédicace Corpus Parmi les souvenirs les plus vifs que j’ai de mon enfance, il en est un, le plus difficile à dire parce qu’il ne concerne ni papa maman la bonne et moi (nous n’avions d’ailleurs pas de bonne) ni la mort du petit cheval. Je me demande même s’il n’est pas le souvenir le plus vif. Une révélation. Ou plutôt une anti-révélation. Quelque chose apparaissait pour ce qu’il n’était pas et non pour ce qu’il était. Voici les faits : un soir, à la tombée de la nuit, on dut m’envoyer acheter une bricole à l’épicerie juste en face de la maison, il n’y avait que la route à traverser, très peu de voitures. Nous habitions en effet un petit village, et plus exactement, en contrebas, le quartier des Traverses d’où on voyait à la fois le village perché et la Condamine composée de friches, d’oliveraies, de quelques villas déjà, limitée au loin par les ruines d’un aqueduc romain, et bien plus loin encore par la mer, devinée, abstraite, sauf la nuit lorsque clignotait le phare du cap d’Antibes que j’apercevais par la fenêtre de ma chambre. Je ne sais plus quel âge j’avais (mais c’était dans l’enfance puisque notre départ du village signa la fin de l’enfance), je ne sais plus s’il s’agissait de la vieille épicerie ou, juste à côté, de celle, beaucoup plus grande, avec deux pompes à essence pour couronner le tout, dont la construction combla le fossé où il m’était arrivé de me brûler en glissant dans les orties, et où croupissait Rip, l’énorme chien noir. C’était justement l’heure entre chien et loup, mais il ne devait pas être tard, peut-être était-ce au sortir de l’hiver, il faisait un peu moins froid. En quittant l’épicerie j’étais allée traîner aux abords de la Condamine, pas bien loin, juste en face du lavoir où les femmes ne lavaient jamais plus le linge, je tenais mon sachet d’une main, les pièces de monnaie serrées dans l’autre. Il y avait un peu de vent et, oui, l’air était presque doux. Tout allait pour le mieux. Rien ne troublait l’harmonie de la scène. Et puis cette promesse de printemps. Rien n’arriva en effet. Pas de tremblement de terre, un ogre ne surgit pas de derrière un fourré. J’avais fait juste un pas de côté et déjà je m’en retournais. Il y avait un arbre, un peu esseulé sur le bord de la route. Peut-être un olivier, ce n’est pas sûr. J’étais passée mille fois à côté de lui. Dans la nuit qui s’avançait mais n’avait pas encore tout envahi, à la croisée de nos solitudes respectives, celles de l’olivier et la mienne, je vis l’arbre comme jamais. Il n’allait pas de soi, il était déplacé, tout autant que s’il était fait du plastique des lanières devant la porte de l’épicerie, et il entraînait le monde à sa suite, les maisons, le lavoir, l’asphalte, la terre du fossé, les herbes, la colline violette, les premières étoiles qui trouaient le ciel, le ciel, et moi pour finir bien entendu, par-dessus le marché, ni plus ni moins. Plus qu’exilés, plus qu’étrangers, l’arbre et le monde à sa suite étaient illégitimes. En trop. C’était violent. D’une violence qui faisait crisser les dents. Il ne fallait pas vaciller, pas envoyer tout valdinguer, mais au contraire se tenir bien droite et, dents serrées, partir de ce constat, aussi violent fût-il. Ce n’était pas triste, pas gai non plus. C’était sans appel. Dents tellement serrées que jamais je n’en parlai. L’enfance, l’adolescence. Je vis alors une peinture, des peintures peut-être de Félix Vallotton. Ce fut comme si j’apprenais que quelqu’un s’était tenu là silencieusement, dans le crépuscule de naguère, non loin du lavoir et de l’arbre seul, comme si l’impartageable avait été partagé, comme si on me prenait par l’épaule, sans effusion, sans aucune des lourdeurs du sentiment. * Je ne sais pas non plus quelle fut cette première peinture. Il se pourrait que ce soit une reproduction, il se pourrait que ce soit la reproduction du Ballon de 1899 que je verrai plus tard au musée d’Orsay (j’ai une vingtaine d’années quand je vais pour la première fois à Paris), et où je confonds le petit garçon au chapeau de paille jaune avec le narrateur de La Recherche que je découvre au même moment, au sortir de l’adolescence. Confusion renforcée par la vision de haut qui pourrait être celle du lecteur au-dessus de la page où serait saisi le petit garçon en plein élan, courant dans la lumière vers la balle rouge. Courant dans la lumière ou tout aussi bien fuyant le flot menaçant de la pelouse, l’ombre dangereuse des grands arbres, l’ombre dévorante dans laquelle se tiennent au loin, déjà avalées, deux femmes, l’une en bleu, l’autre en blanc, et, plus près, à l’orée de l’ombre, un ballon abandonné. L’enfant, quant à lui, est un concentré de soleil, le chapeau de paille, le canotier jaune et son ruban rouge, les longs cheveux blonds, la brassière et les collants blancs, les bottines ocre. L’enfant tend les bras, prêt à attraper la balle désirée, mais son ombre à lui, l’ombre qui lui est attachée, le pique au sol comme une épingle, le papillon. Je ne peux m’empêcher d’associer ce coin de parc au jardin des Champs-Élysées où le narrateur, plus âgé que l’enfant au canotier, joue aux barres avec Gilberte dont il est amoureux, et au bois de Boulogne où il se promène un peu après avec Odette. L’ultime tableau est d’ailleurs Paysage de neige au bois de Boulogne que Vallotton peint quelques jours avant de mourir en 1925. Neige tant redoutée par le narrateur parce qu’elle le prive de sortie (et signe la sortie définitive de Vallotton), parce qu’elle le prive de Gilberte et l’exclut un peu plus du bonheur que la présence de la fillette aimée ne lui donne pourtant pas. Car si le narrateur et l’enfant au canotier ont de l’appétence pour le monde, ils en sont pareillement bannis. L’enfant soleil est saisi dans l’ardeur de son désir pour la balle rouge. Il n’y a là nulle mélancolie. L’enfant ne fait pas moins pièce rapportée. Aussi inadmissible que le point rouge avec lequel jamais il ne coïncidera. Le ballon qui donne son titre au tableau, lui, est dans l’ombre, pour un peu on ne l’aurait pas vu. Et le bout d’allée encore éclairé est un curieux arc de cercle. Il semble le détail d’une sphère (le vrai ballon du titre ?) prête à rouler sous l’enfant qui court vainement comme l’écureuil dans sa tournette. Il n’y a pas de trajet, pas de cible, pas de coïncidence espérée, le temps n’est ni perdu ni retrouvé, il est hors champ, comme si le tableau en avait été essoré. Ce que je ne pouvais pas savoir, au sortir de l’adolescence, c’est que ni Proust ni Vallotton ne seraient des passades, et que, pour moi, leur contemporanéité ne serait pas qu’ils aient vécu tous deux à la même époque, mais qu’ils m’accompagneraient la vie durant. * Je retrouve un cahier ancien où sont collées des cartes postales en vis- à-vis desquelles j’ai tenté d’écrire des sortes de poèmes en prose. J’avais l’ambition, je crois, d’être à la hauteur du peu de poids des cartes postales, de cultiver pour ce faire une disposition à la vitesse, au trait, à la surface. (En collectionnant des cartes postales, on possède des riens, des bouts de uploads/Litterature/ vallotton-est-inadmissible-by-desbiolles-maryline-z-lib-org.pdf
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- Publié le Mar 27, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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