Romantisme Puissances du roman : George Sand Françoise van Rossum-Guyon Citer c
Romantisme Puissances du roman : George Sand Françoise van Rossum-Guyon Citer ce document / Cite this document : Rossum-Guyon Françoise van. Puissances du roman : George Sand. In: Romantisme, 1994, n°85. Pouvoirs, puissances : qu'en pensents les femmes? pp. 79-92; doi : https://doi.org/10.3406/roman.1994.6233 https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1994_num_24_85_6233 Fichier pdf généré le 02/04/2018 Françoise van ROSSUM-GUYON Puissances du roman : George Sand "Un haut talent entraîne une grande responsabilité, c'est un bénéfice à charge d'âmes, c'est une puissance dont on doit demander compte à ceux qui en sont investis". Le Journal des femmes, 1er nov. 1834. Monstre sacré pour les uns, "fléau du génie national" pour les autres, "ange ou démon" \ George Sand se place très vite, et pour longtemps, au premier rang des écrivains du XIXe siècle. Or je voudrais souligner d'emblée que cette position lui est acquise par ses romans. Elle est d'abord et avant tout, pour ses contemporains, l'auteur Cl Indiana, de Valentine, de Jacques et de Lélia, des contes vénitiens, avant d'être celui à' Horace, du Compagnon du Tour de France, du Meunier d'Angibault et de Consuelo, comme plus tard celui de La Mare au diable ou de La Petite Fadette. Certes, son œuvre multiforme ne se limite pas à sa production romanesque et c'est plutôt aujourd'hui grâce à sa Correspondance 2, aux Lettres d'un voyageur, et plus généralement à ses Œuvres autobiographiques 3, dans leur diversité de formes, que l'on découvre George Sand, son talent, son génie, l'actualité de ses idées, l'ampleur de son champ d'action, la variété de ses intérêts, la portée de son impact sur "le siècle", les prestiges de son écriture aux innombrables facettes. Et ces œuvres en effet suffiraient à sa gloire. N'oublions pas non plus, à côté de ces textes et de ses quelque quatre-vingts romans, contes et nouvelles, l'intérêt de ses écrits "polémiques", sur des questions sociales et politiques 4. Mais c'est en tant que faiseur de romans que George Sand prend place au rang des "grands écrivains". C'est là un point important que l'histoire littéraire, pour de multiples raisons qu'il faudrait étudier de près, s'est comme ingéniée à occulter. Il est évident en particulier que le triomphe des théories marxistes avec sa contrepartie, le rejet des socialismes utopiques, y est pour beaucoup. Dans le domaine plus étroit de la critique littéraire, la valorisation extrême du "réalisme critique" avec en corollaire la dévaluation systématique du "romantisme révolutionnaire", n'en est qu'un des avatars récents, mais des plus pernicieux, quant à l'intérêt que l'on pouvait reconnaître à des formes littéraires différentes, qualifiées d'"idéalistes" et comme telles disqualifiées. Notons que sur ce point la "recanonisation" partielle de Sand, à la fin du siècle, par la mise en exergue de ses romans champêtres, n'a fait qu'aggraver son cas. Il est clair en tous cas, comme l'a bien montré Naomi Schor 5, que la dévaluation de l'œuvre romanesque de Sand reste liée à l'essor extraordinaire du réalisme et du naturalisme, et au succès d'une esthétique qui a réussi à s'imposer jusqu'à nos jours, en dépit de toutes les "crises du roman", des modernismes et avant-gardes... La promotion spectaculaire de Balzac, ou plus exactement du modèle balzacien du roman en font preuve. Il suffit aujourd'hui de relire dans cette perspective n'importe quel manuel d'histoire littéraire pour déceler par quelle illusion rétrospective l'importance accordée au réalisme, que celui-ci soit balzacien, flaubertien ou zolien, conduit à l'escamotage pur et simple du rôle joué par George Sand dans l'essor et le renouvellement du genre romanesque au Romantisme n°85 (1994-3) 80 Françoise van Rossum-Guyon XIXe siècle. Ce n'est pas que l'on n'accorde pas une place ou du moins une certaine place, à l'auteur ď Indiana, mais ce n'est jamais à titre de rénovateur, ni a fortiori ď "inventeur" du "roman moderne". Or ce fut pourtant bien là son rôle. Le dossier critique établi par Marguerite Iknayan dans son livre important : The Idea of the Novel in France 6, à condition bien sûr de le lire dans cette optique, suffirait déjà à en fournir la preuve. On peut se rendre compte en effet que les critères mis en place, et mis en jeu, par les critiques entre 1815 et 1845 pour évaluer, définir, légitimer le roman, sont applicables - et ont été appliqués - aux différents romans de Sand. On peut constater également, qu'au cours des années, les romans de George Sand (comme ceux de Balzac) servent de nouveaux modèles de référence, se substituant aux exemples jusque-là canoniques de Gil Bias, Clarisse Harlowe, Manon Lescaut. Il s'avère, en outre, qu'un grand nombre des auteurs cités à l'appui de la thèse d'un essor du roman dans cette première moitié du siècle et de sa promotion au premier rang des genres littéraires, par sa capacité à intégrer les autres genres (épopée, histoire, drame, poésie), par sa valeur éducative et par son ouverture aux grandes questions du temps, ont été également des thuriféraires, ou du moins des critiques éclairés, de l'auteur de Lélia. C'est le cas, pour ne citer que les plus connus, d'un Sainte-Beuve, Gustave Planche, Emile Souvestre, Jules Janin, Chaudes-Aiguës, Hippolyte Fortoul. Le roman sandien devient même pour beaucoup le modèle par excellence du "nouveau roman" de l'époque, celui du présent : ainsi Indiana salué pour son nouveau réalisme : "science de la société actuelle" 7 et "histoire du cœur" 8, mais aussi et surtout roman de l'avenir 9. Depuis le succès foudroyant ďlndiana, la notoriété, le prestige, la célébrité de George Sand n'ont cessé en tous cas de croître et ce en dépit du scandale, des attaques et des polémiques suscitées par Lélia, comme des réticences ou du rejet, par certains, de ses idées sociales et politiques. La presse quasiment unanime salue "la femme illustre", accorde à l'écrivain une place au tout premier rang des gloires littéraires du temps et reconnaît à ses productions une "puissance sur les esprits" tout à fait exceptionnelle. "Voilà un talent désormais classé parmi les talents de tout premier ordre", ce jugement de Sainte-Beuve, lors de la parution de Valentine 10, se retrouve sous la plume de la majorité des critiques qui, les années suivantes, rendent compte de ses ouvrages. Classée dès 1834, et comme romancier, parmi les "royautés littéraires" n, George Sand, à l'instar d'un Victor Hugo, est non seulement un écrivain qui compte, mais avec qui il faut désormais compter et auquel, pour cette raison même, on ne manque pas de demander des comptes. Un article d'Hippolyte Lucas sur Les Maîtres mosaïstes et La Dernière Aldini, dans Le Charivari du 18 mai 1838, est caractéristique à cet égard. On y trouve l'ensemble des topoï de la critique contemporaine de Sand : le plus grand penseur du temps se trouve être une femme, "aucune plume actuelle n'a autant de vigueur que la sienne" ; il salue la nouveauté et l'importance de ses dernières productions romanesques - le fait qu'il ne s'agit pas là ď œuvres que l'on a l'habitude de considérer comme des œuvres majeures me paraît d'autant plus significatif-, il analyse en détail les romans, sans oublier de souligner la portée sociale de ces contes vénitiens n et, en guise d'exorde, il fait appel à la responsabilité de l'écrivain. Au-delà du cliché - la "vigueur" de la plume -, l'insistance sur les "mâles accents" de l'écriture sandienne s'inscrit dans une stratégie dont il dévoile rapidement les finalités : il s'agit d'inciter l'auteur à faire bon usage de la "puissance dont elle est douée", de pousser l'écrivain à orienter son énergie vers des buts "utiles aux hommes de ce temps". Puissances du roman : George Sand 81 Or ces appels à la responsabilité de l'écrivain et aux devoirs qui découlent de sa position ne sont pas l'apanage des critiques favorables aux idées de l'auteur. On les retrouve dans la plupart des journaux et périodiques de l'époque, quels que soient leur genre ou leur obédience politique. Conséquences de ce "sacre de l'écrivain", décrit par Paul Bénichou, mais qui, cette fois, phénomène nouveau, si l'on excepte le cas exemplaire de Mme de Staël, à qui George Sand ne cesse d'être comparée, concerne une femme et, qui plus est, un romancier. Certes, Le Charivari est favorable aux idées républicaines et cela explique en partie l'enthousiasme d'un Lucas qui, lapsus significatif, désigne le roman sous le titre des "ouvriers mosaïstes". On ne s'étonnera pas non plus du soutien appuyé que George Sand reçoit de la part de la Revue de Pans et de la Revue des Deux Mondes dont elle sera la vedette, jusqu'à la rupture avec Buloz, à propos & Horace, en 1841. A fortiori, les éloges souvent dithyrambiques qui lui sont décernés plus tard, dans La Réforme et La Revue indépendante, font partie d'une stratégie globale destinée à promouvoir, en même temps que son coryphée, les idées nouvelles de progrès et de démocratie dont ils sont les fervents propagandistes. Mais cette reconnaissance de l'auteur de Lélia comme un des plus grands écrivains de l'époque a été, semble-t-il, quasiment générale 13. Ce n'est pas en effet la supériorité de Sand, son talent, son actualité, la force de ses idées, uploads/Litterature/ george-sand-commentaires.pdf
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- Publié le Sep 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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