éruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Unive
éruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.éruditoffre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Vols d’aveugle autour d’une librerie » Hélène Cixous Études françaises, vol. 38, n°1-2, 2002, p. 263-275. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/008404ar DOI: 10.7202/008404ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 10 March 2016 11:19 Vols d’aveugle autour d’une librerie SON SOUFFRIR aura commencé à l’instant de sa naissance, au premier pas de vie, dans l’hospitalité brève accordée à l’arrivant pour la vie, sa vie, une vie. « Comme la vie aura été courte », murmure-t-il souvent la voyant depuis toujours finie, finissante, promise qui promet par définition la brièveté. Courte, curta, coupée. La vie, oui, est donnée coupée ; tronquée; courte donc trop courte, raccourcie. Racine curt-, cor-t, cer, cor, car, car-o, carnis. Courte est la chair vie, la vie n’est jamais qu’un morceau de la chair, la part de viande découpée dans les sacrifices, et il ne s’en console pas. Que nous soyons nés pour être retranchés. De cette cruauté origi- naire, il ne cesse de s’indigner, c’est la cause, la surprise jamais atté- nuée, il n’en revient pas, et c’est en cela qu’il est révolutionnaire: il n’est pas habitué, il n’en finit pas de découvrir la violence de la fatalité, il en débusque les innombrables figures cachées, il les dénonce, il leur fait cracher le morceau, il pense de façon belliqueuse, il dévaste les apories, il ne décolère, ne décolore pas, ne désarme pas, insoumis qu’il est aux encerclements. Il aime Montaigne mais ne l’imite pas. Apprendre à mourir n’est pas son idée, il ne signe pas cette pétition-là. Il ne demeure pas dans la parenthèse du temps. Il y en a un qui reprend l’infini par le dedans, par les profondeurs, dans le déploiement sans limite d’un écrire qui se sauve, déjoue tous les termes, il y en a un en lui qui ne consent pas au verdict, et qui sait comment fausser compagnie au dis- cours de la peine de mort, comment organiser les fuites dans la langue, • , - le poète. Il sait filer. C’est-à-dire filer. Je veux dire filer. En français. C’est-à-dire en franchise. C’est-à-dire en arrachant au français, à la lan- gue française, ses lettres de franchise. La franchise — pas l’aveu. Tout ce qu’un poète fait à la langue sa mère sa fille son fils son dieu son amante, il le lui fait, toutes les scènes, tous les tours, coups, trous, enfants, comme il le décrit en riant par exemple dans Le monolinguisme de l’autre, Parce qu’il n’y a pas de propriété naturelle de la langue, celle-ci ne donne lieu qu’à de la rage appropriatrice, à de la jalousie sans appropriation. La langue parle cette jalousie, la langue n’est que la jalousie déliée. Elle prend sa revanche au cœur de la loi. De la loi qu’elle est elle-même, d’ailleurs, la langue, et folle. Folle d’elle-même. Folle à lier. La langue sa folle alliée : L’« écriture», oui, on désignerait ainsi, entre autres choses, un certain mode d’appropriation aimante et désespérée de la langue, et à travers elle d’une parole interdictrice autant qu’interdite (la française fut les deux pour moi), et à travers elle de tout idiome interdit, la vengeance amou- reuse et jalouse d’un nouveau dressage qui tente de restaurer la langue, et croit à la fois la réinventer, lui donner enfin une forme […]. […] la dernière volonté de la langue […]. Comme si j’étais son dernier héritier, le dernier défenseur et illustrateur de la langue française. (J’entends d’ici les protestations, de divers côtés: mais oui, mais oui, riez donc!). Comme si je cherchais à jouer ce rôle, à m’identifier avec ce héros-martyr- pionnier-législateur-hors-la-loi […] qui n’hésiterait donc pas à violer toutes ces instructions, à tout brûler pour se rendre à la langue, à cette langue-ci. Car toujours, je l’avoue, je me rends à la langue. Mais à la mienne comme celle de l’autre, et je me rends à elle avec l’in- tention, presque toujours préméditée, de faire qu’elle n’en revienne pas: ici et non là, là et non ici, non pour rendre grâce à rien qui soit donné, seule- ment à venir, et c’est pourquoi je parle d’héritage ou de dernière volonté1. Il la rend folle-de-lui il l’approlifère, il l’écoute avec un écoutement savant et prophétique tout ce qu’elle ne sait pas qu’elle dit et qu’elle se dit, il l’entend, il en recueille les minuties modalisatrices, les innombra- bles singularités idiomatiques, les palpitations tonales, le murmure de ses confessions inadvertantes, partout où il y a huis il a une oreille. — Je n’ai pas dit le père — auquel, non, il ne fait pas l’amour. Au nom duquel — Aimé — il fait l’amour. Dans la filature fabuleuse il y a . Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’autre ou La prothèse d’origine, Paris, Galilée, coll. «Incises », , p. , , , . tous les fils sauf le père. Tous les fils, en tous genres, en tous sexes. (Il faut un livre pour décrire la scène de famille où chacun figure à sa place et à une autre, scène tournante et hantée. Je ne l’écrirai pas ici. Une brève indication en attente : on le verrait si l’on avait le temps voir sa mère devenir sa fille, son nourrisson, voir ses fils le surveiller de haut, jeunes pères surmoïques de son enfantasme, mais de purpère, non.) L’aveugle Tout de suite après sa naissance, huit jours après, on le lie, on l’élie, on l’élit malgré lui à une alliance signée à sa place, on fait de lui l’aveugle à sa propre scène primitive, on le prévient, on le prémature. On lui vole l’anneau de chair. On dit qu’on lui donne l’anneau du Dieu. Der- rière le rideau on entrevoit l’agneau du sacrifice. Histoire des rempla- cements et des substitutions. Lui-même est un substitué, substitut d’enfants morts, avant, après, tout autour. Substitut à lui-même, d’un autre lui-même. Je n’écris pas ici le livre des Circoncisions, il faudrait des volumes. Mais tout son œuvre est le résultat de ce quart d’heure daté, crime, dit-il dans «Circonfession», crime inaugural, crime inno- cent et cruel, cause de tous ses maux, graveur de sa mémoire. De ce moment, il ne pourra plus s’arrêter de se souvenir paradoxalement sans souvenir, de se nonsouvenir, de pleurer (il pleure les pleurs, écrit- il, par écrit, il écrit par déploration), il pleure les larmes perdues pour sa mémoire qui n’était pas encore consciemment éveillée, il pleure sa mémoire, il pleure le contretemps qui l’aura initié par division, il parle à sa mémoire et lui dit tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi ou bien c’est le contraire, il pleure sa mémoire aussi perdue par ce coup d’anachronie, il dit la mémoire, car elle n’est pas la sienne, […] aussi loin que s’étende la mémoire, la mort de deux enfants, Jean- Pierre Derrida, le cousin, un an de plus que toi, écrasé par une automobile devant sa maison de Saint-Raphaël, à l’école on te dit ton frère est mort, tu le crois, un temps d’anéantissement dont tu n’es jamais ressuscité […] […] que jamais tu n’écris comme sA, le père d’Adéodat dont la mère est sans nom, ni comme Spinoza, ils sont trop marranes, trop « catholi- ques», eût-on dit rue d’Aurelle-de-Paladines, trop loin du verger, ils disent le discours, comme le signe de circoncision, extérieur ou intérieur, non, non, tu as plus de deux langues, la figurale et l’autre, et il y a au moins rabbins, au moins […] […] S. dit «signe » et «rite extérieur», pourquoi? Revenir à l’original, plus tard, suite du texte, revoir: « signe de circoncision» et d’élection étranger à enten- dement et à vraie vertu » (--), malgré ton désaccord avec lui sur ce ’ ’ • , - point, et tu te rends toujours au-delà d’un désaccord, ose donc comparer la schechina de ton corps, celui du verger, à sa substance, et cela te réjouit, car tu penses alors à ce jeune homme […] je suis sûr que tu lui ressembles de plus en plus à ta mère2. Il se tutoie lui-même, il veut se prendre à témoin, mais lequel de lui mais comment, de son premier événement: il n’a pas vu le jour de la circoncision il n’était pas encore là, de ce jour décisif reste la cicatrice et le récit la cicatrice comme récit et le récit comme cicatrice. Tout lui est déjà écrit, lu, uploads/Litterature/ vols-d-x27-aveugle-autour-d-x27-une-librerie.pdf
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- Publié le Mai 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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