SUR LE « DICTIONNAIRE NKO » Valentin VYDRINE St. Petersbourg, Russie Nkó k¢d¡-y
SUR LE « DICTIONNAIRE NKO » Valentin VYDRINE St. Petersbourg, Russie Nkó k¢d¡-yidalan wála fàsarilán háman k¢d¡f¡lan Màndén fòdobakan yíriwan¥n d¢, àní Fàdafinna Télebe jàwo kán n'à kán sádamaba d¢, Kánt¥ Sùlemana bólo, Kánkan. 11/24/1962 lá. A báyÞl¥man dá Bàba Jàane bólo 6/10/1992 tªla lè d¢ Mísìran kánb¥n [Le dictionnaire Nko en langue manding commune dévéloppée, la langue de commerce de l’Afrique de l’Ouest et sa langue charmante]. fait par Soulemana Kantè à Kankan, le 24 novembre 1962. Edité par Baba Jaanè de 10 juin à 14 juillet 1992 en République d'Egypte]. 1. On peut recenser jusqu'à maintenant au moins une cinquantaine de publications en Maninka en écriture Nko. Ces écrits représentent une source extraordinaire de données linguistiques, ethnoculturelles et historiques ; en fait, il s'est créé sous nos yeux (et pourtant, presque sans qu'en soient conscients les mandinguisants occidentaux !) une tradition écrite originale, d'envergure tout à fait inattendue en ce qui concerne les sphères des connaissances traitées par le créateur de Nko et ses élèves. Née dans le milieu de l'intelligentsia musulmane maninka, "l'école Nko" s'inspire beaucoup du savoir arabe classique et de la tradition populaire manding ; l'influence du savoir occidental sur "l'école Nko" se ressent beaucoup moins. Cela ne veut pas du tout dire que les Nkoïsants soient "antimodernistes" : les centaines de néologismes créés par Soulemana Kantè pour de nombreux objets technologiques témoignent du contraire ; ses activités font plutôt penser à celles des Lumières. La comparaison entre l'inventeur du Nko et les Lumières se justifie par la profondeur de ses connaissances et par sa prolixité. C'est dans les méthodes concernant les recherches historiques, linguistiques et ethnologiques que le "traditionalisme" de cette école se fait le plus sentir. Le dictionnaire monolingue maninka représente le compendium des connaissances accumulées par cette tradition. Dans cette brève présentation, je ne prétends aucunement à une analyse exhaustive de tous les aspects de la forme de présentation des mots, de l'élaboration de leur sémantisme, de l'apport de ce dictionnaire aux études mandinguisantes – tout cela demanderait, pour le moins, 60 autant de pages que compte le dictionnaire lui-même. Il s'agit ici juste de donner un petit préliminaire des caractéristiques les plus remarquables de cet ouvrage. 1.1. Selon ce qui est écrit sur la couverture, ce dictionnaire a été achevé par le créateur de l'écriture, Soulemana Kantè, le 24 novembre 1962. Il n'a pu être publié que trente ans plus tard, en 1992, après avoir été complété et recopié par un élève de Soulemana Kantè, Baba Jaanè. Le dictionnaire a été imprimé au Japon par Laminin Kaba et Lamininfin Kaba, en deux variantes qui ne diffèrent que par le calibre des caractères, le poids et le prix : la version "livre de poche" co–tait en ao–t 1994 à Conakry à peu près 10 dollars (10 000 FG), et la version "de table" – deux fois plus chère. 1.2. Ce dictionnaire est unique en son genre. Tout d'abord, parce qu'il n'y a pas aujourd'hui d'autres dictionnaires maninka de volume comparable déjà publiés : les seules disponibles sont ou bien des vocabulaires assez rudimentaires, qui comportent peu de mots composés (qui abondent dans les langues manding) et des lexiques spécialisés (noms de plantes, d'oiseaux, etc.), ou des dictionnaires de missionaires, où, de plus, ni les tons, ni même les oppositions des voyelles o : ý, e : ÿ ne sont indiquées. En outre, "Le dictionnaire Nko" (DNK) a été fait dans le cadre d'une tradition linguistique autochtone. Cela est certain, même si Sulemana Kantè comme ses disciples avaient l'expérience des enseignements islamique et français, ce qui implique qu'on ne peut pas exclure une certaine influence de la linguistique occidentale ou arabe, mais de cela il en sera question plus loin. Dans tous les cas, il est évident que l'interprétation des données maninka par les "Nkoïsants" ne doit rien ou presque aux écoles linguistiques africanistes existantes. 2. "Le dictionnaire Nko" compte 536 pages. Le nombre de vocables, déclaré dans le petit resumé français sur la dernière page de couverture, est de 32 500. Dans la postface en maninka il est précisé : 32 083 mots dans la version de Sulemana Kantè et 32 347 dans la version publiée (donc, après le travail fait par ses élèves). Ce chiffre dépasse de loin celui de tous les dictionnaires disponibles dans les langues manding : ainsi, le dictionnaire du dioula d'Odienné de Cassian Braconnier (980 pages), pourtant très bien fourni, compte 5095 entrées, et le plus grand dictionnaire bambara, celui de Gérard Dumestre, n'aura, le plus probablement, qu'à peu près 10-12 mille entrées (aujourd'hui, seulement 9 fascicules sont publiées, de A à N). D'où vient un tel écart ? 61 2.1. Cela s'explique, tout d'abord, par l'abondance des formes dérivés dans le "DNK", dont chacune est donnée comme une entrée à part. En fait, presque chaque verbe est doté de toute une série de formes dérivatives tout à fait régulières, dont le sémantisme est absolument prévisible, si on connaît le sens du mot de base et celui de l'affixe. Et la partie explicative d'une telle entrée en témoigne clairement, cf p.ex. les dérivés à partir du mot gbaØsiá "battre" (entre parenthèses je donne la traduction de l'interprétation du DNK) : gbaØsibaÉa1 – mÿÉn gbaØsiliá kÿÉ laÉ, buØobaÉa2 (celui qui fait le battre) gbaØsibaatýÉ – mÿÉn gbaØsinÿÉn (celui qui est battu) gbaØsitýÉ – mÿÉn kaÉ kaÉn kaÉ gbaØsi (celui qui doit être battu) gbaØsilaÉ – gbaØsibaÉa (cf ci-dessus – V.V.) gbaØsilaÉn – gbaØsiliá kÿÉ laÉ feÉn mÿÉn naÉ (la chose avec laquelle on fait le battre) gbaØsiliá – gbaØsi kÿÉli týÉý (le nom de l'action de battre) etc... Si on reste dans le cadre de la tradition lexicographique européenne, toutes ces formes dérivées régulières et prévisibles ne devraient pas être incluses. Le nombre de verbes sans préfixes en maninka devrait être de l'ordre de 2000, et si on rajoute les formes à préfixes maÝ-, laÉ- et dýÉ-, il peut atteindre 3 ou même 4 mille ; chaque verbe (ou presque) accompagné de 4-5 (et parfois plus) dérivés, le chiffre de 30 000 est facilement atteint. 2.2. L'autre raison qui fait augmenter le nombre des entrées est l'attitude de l'auteur du dictionnaire par rapport au problème éternel de la distinction entre 1 Dans ma transcription je suis l'orthographe courante guinéenne ; les notations des tons sont conformes à ceux dans les textes en Nko (sauf les cas où on trouve dans ceux-ci des erreurs évidentes), à une exception près : je ne marque pas le ton sur-haut qui n'a pas en Maninka du statut phonologique. 2 buØobaÉa est aussi un nom d'acteur, synonyme de gbaØsibaÉa. 62 polysémie et homonymie – surtout en ce qui concerne les emplois verbaux et nominaux des mots, qui sont toujours considérés comme des vocables différentes, cf : boØriá – taÉama bÿÉÿ dýÉ kaÉliyaman ("le courir" – marche le plus vite possible) boØri° – k.tÿ. boØriliá kÿÉ, k.t. laÉboØri (v.i. courir, v.t. faire courir). Ce choix a ét, évidemment favoris, par le fait qu'en Nko les tons sont marqués en réalisation, ce qui voile l'identité du ton sous-jacent du mot dans ces deux fonctions. En fait, dans certains dictionnaires manding faits par les Européens on trouve la même solution à ce dilemme, mais les ouvrages les plus récents donneraient plutôt boØriá et boØri° dans une seule entrée. 2.3. Cependant, il serait injuste de tirer la conclusion que ce dictionnaire ne contient que de l'information "vide" et des renvois. En fait, c'est un document lexicographique maninka très important contenant énormement de mots qu'on ne trouve nulle part ailleurs (pour ce qui est des publications scientifiques existantes) et un source incomparable pour les études ethnologiques et anthropologiques. 3. L'introduction de 7 pages est écrite par Baba Jaane. Il traite de l'histoire de la création du dictionnaire, du principe de son organisation et de sa vision de l'histoire de la langue manding, de la situation sociolinguistique actuelle et de ses perspectives. 3.1. La majeure partie est consacrée à l'ordre alphabétique de Nko, qui est assez complexe à cause de l'abondance des signes diacritiques pour la longueur vocalique et les tons. Curieusement, à la fin du compte il apparaît que, malgré tous les efforts des adeptes du Nko à refuser les influences extérieures, le principe sous-jacent de l'arrangement des entrées dans le dictionnaire est en fait inspiré par l'écriture latine. Ainsi, dans le Nko il y a 8 marques diacritiques pour les tons – 4 pour les voyelles brèves et 4 pour les voyelles longues ; ainsi, la longueur vocalique et le ton sont considérés comme des phénomènes du même ordre. Il s'avère cependant qu'une voyelle avec un signe diacritique pour la longueur est comptée, en fait, comme une lettre double. Il en va de même pour le signe de nasalisation de la voyelle (un point sous la lettre) qui est en fait considérée comme égal à une lettre. 63 Ce n'est pas le seul exemple où l'influence occidentale (ou arabe ?) a laissé des traces. Un autre exemple : chez les peuples Manding, comme chez les Peuls, la uploads/Litterature/ vydrin-31 1 .pdf
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- Publié le Mai 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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