0 PLAIDOYER IN EXTREMIS POUR UNE ZÉTÉTIQUE 1 2 Les mots, comme les verres, obsc
0 PLAIDOYER IN EXTREMIS POUR UNE ZÉTÉTIQUE 1 2 Les mots, comme les verres, obscurcissent tout ce qu’ils n’aident pas à voir. Joubert If art were linguistic we would dream in letters & numbers? If art were linguistic it could not touch the deep structure of the unnamable. Carl Andre C’est là où il n’y a rien de trop écrit que le peintre peut se donner carrière. Paul Signac PLAIDOYER IN EXTREMIS POUR UNE ZÉTÉTIQUE 0.0 Soit cet énoncé exemplaire de M. Alain Menand, directeur de la Section des formations et des diplômes de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), variante ou variation parmi tant d’autres de l’abcès de fixation normatif auquel donne désormais lieu la reconnaissance du DNSEP au grade de master dans le cadre de la réforme académico- européenne de nos établissements supérieurs d’enseignement artistique (français) : […] « L’enjeu est important : la recherche universitaire n’épuise pas le champ général de la recherche, pas plus que l’université ne remplit la totalité de l’espace des enseignements supérieurs. Il n’en reste pas moins que l’université est la principale référence, avec des normes bien établies. Les autres domaines, connexes ou non, ne pourront revendiquer l’existence d’une recherche spécifique qu’au prix d’un effort exigeant de définition et de clarification. » […]1 0.1 Prenons au mot M. Menand, par ailleurs Professeur des Universités. Enjoignons-le à notre tour de bien vouloir nous définir et clarifier en quoi la préséance de l’université en matière de recherche (en art) irait de soi ; primauté universitaire – voire privauté à l’égard des écoles d’art – dont il s’autorise au titre de « principale référence », elle-même inférée de la seule normativité universitaire ; et prenons-le donc au mot, non seulement eu égard à la spécialité qu’il professe dans un des quelconques départements de physique de l’université (« Milieux denses et matériaux ») mais encore, au regard des enseignements en général et de l’enseignement des arts (plastiques) en particulier. 0.1.1 N.B. : Nous nous proposons ici de le prendre d’autant plus au mot que M. Menand nous tend tout bonnement la perche. Et plutôt deux fois qu’une : primo, son énoncé est structuré comme une dénégation ; secundo, cet énoncé prête le flanc à la critique d’un certain discours universitaire interne à l’université même ; aussi passerons-nous ce qu’il décrète ci-dessus, au crible du discours dissensuel sinon dissident d’universitaires de diverses obédiences. 1- « L’AERES et l’enseignement supérieur Culture », Culture et Recherche, n° 120, Eté 2009, p. 7 ; cet énoncé est confirmé – quoique apparemment nuancé ? – via un compte-rendu de la réunion du « Groupe pédagogique » (11 décembre 2009) émanant de l’ANDEA ; d’après ce dernier, le ministère de la Culture et de la communication aurait indiqué que « les relations sont de plus en plus étroites, presque conviviales entre le MCC et l’AERES » ; on y rapporte en effet qu’un « entretien informel » serait intervenu entre Alain Menand, la MIPEA et le DERI au cours duquel l’AERES aurait admis – informellement en tout état de cause – « l’idée d’une recherche qui ne soit pas strictement universitaire ou académique. Elle affirme aussi le primat de l’université en la matière, rappelant que la loi donne à l’université la compétence en matière de recherche. / L’AERES admettrait de même l’existence d’une recherche création [sic]. » 3 0.2 Dénégation. D’entrée de jeu, M. Menand concède d’une part, que recherche et université ne sont pas synonymes, de la même manière que d’autre part, université et recherche ne sont pas coextensifs ; autrement dit, « champ de la recherche » et « espace des enseignements supérieurs », c’est pas blanc bonnet et bonnet blanc. Cette double concession se ‘’triple’’ néanmoins d’une restriction : « il n’en reste pas moins – décrète subséquemment M. le professeur Menand – que l’université est la principale référence. » Autrement dit, « Oui et oui, mais certes non… » Car entre oui et non, il y aurait un tiers reste dont l’AERES s’autorise sans ambages pour légitimer la préséance ou la prééminence de l’université, en matière de recherche notamment. Et c’est en vertu de ce tiers qu’elle n’en reste pas – ni plus ni moins – « la principale référence » ; si l’université ne recouvre, ni quantitativement toute la recherche ni qualitativement rien que la recherche, il n’en reste pas moins cependant que, hors de l’université, point de recherche ; réciproquement, hormis la recherche, point d’école supérieure d’arts plastiques digne de ce nom. 0.2.2 Ergo : Point d’école supérieure d’art sans référence universitaire ; inversement, point de ‘’supériorité’’ de l’enseignement artistique sans "référence’’ à l’université. Référence vaudrait là supériorité tandis qu’ici, supériorité équivaudrait à référence. Et comment donc notre Professeur s’y prend-il pour nous faire avaler la couleuvre ? Par dénégation expresse : en concédant d’abord que l’université n’est pas tout sans être rien, il en rajoute cependant : « il n’en reste pas moins que… » Bref, l’université reste l’ultime référence… princeps : c’est un primat ; à tout seigneur tout honneur. Et pourquoi et comment et d’après qui donc ? Réponse : ni plus ni moins que par principe ; mais d’où, ce principe, cette principauté ou au nom de quel prince ? Réponse et réponse corroborée en différé et/ou en catimini cette fois-ci : « la loi donne à l’université la compétence en matière de recherche.2 » De quoi il résulte que la référence à… n’est plus maintenant révérence à la seule Universitas de l’université en tant que telle, mais bien subordination de celle-ci à certaine « loi », c’est-à-dire à l’Universitas en tant qu’elle est désormais référée à une « compétence » exclusive, elle-même inférée d’une « loi » extrinsèque à son indépendance de droit3. 0.2.3 « Il n’en reste pas moins… » se dédit-t-il donc, que les écoles d’art sont par trois fois en reste : et de la recherche et de la compétence et de la loi. C’est ainsi que M. Menand et ses acolytes de l’AERES entendent – a priori et sans autre forme de procès4 – dénier aux écoles d’art une recherche digne de ce nom, au motif proprement académique que celles-ci seraient dépourvues de « normes bien établies ». 2- Nous soulignons ; notons en effet que cette invocation de la loi intervient dans un 2e temps : Cf. note de bdp précédente. 3- Nous entendons par Universitas l’université de droit en tant qu’elle ne se confond pas tout à fait avec l’université de fait, comme l’indique Jacques Derrida : « Je dis bien "l’université", car je distingue ici, stricto sensu, l’université de toutes les institutions de recherche qui sont au service de finalités et d’intérêts économiques de toute sorte, sans se voir reconnaître l’indépendance de principe de l’université. Et je dis "sans condition" autant que "inconditionnelle" pour laisser entendre la connotation du "sans pouvoir" ou du "sans défense" : parce qu’elle est absolument indépendante, l’université est aussi une citadelle exposée. Elle est offerte, elle reste à prendre, souvent vouée à capituler sans condition. Partout où elle se rend, elle est prête à se rendre. Parce qu’elle n’accepte pas qu’on lui pose des conditions, elle est parfois contrainte, exsangue, abstraite, à se rendre aussi sans condition. » L’Université sans condition, Paris, Galilée, 2001, p. 18. 4- …comme l’atteste entre autre la méthode d’évaluation des écoles d’art pour le moins expéditive adoptée par l’AERES (http://www.aeres-evaluation.fr/IMG/pdf/Evaluation_DNSEP.pdf) dont on trouvera là, les contre-offensives : http://blog.cneea.fr/tag/mobilisation 4 0.3 Ce discours dénégatif est exemplaire à trois titres : il est à la fois autoritaire, arbitraire et (faussement ?) naïf. Et comme tout discours (institutionnel) d’Etat, il est fatalement économique ou budgétaire, administratif ou bureaucratique, disciplinaire ou professionnel, normatif ou prescriptif, c’est-à-dire nécessairement et unilatéralement transitif. Or, c’est précisément en vertu même de son caractère fondamentalement réflexif, que l’enseignement des arts (plastiques), supérieur ou non, se distingue de la plupart des autres enseignements. Et c’est de cette réflexivité généralisée ou endémique que nos établissements d’enseignement artistique tirent, bon an mal an, leur autonomie, soit leur spécificité pédagogique. Nous n’en voudrons pour preuve historique entre autre, que les statuts de l’Académie royale des Arts de Peinture et de Sculpture – dont, rappelons-le, la fondation est à l’initiative exclusive d’artistes (et non pas de fonctionnaires culturels ou universitaires) ; ces statuts lui garantissent expressément son autonomie discursive et pédagogique : « L’on ne parlera dans la dite Académie des Arts de Peinture et de Sculpture et de leurs dépendances, sans qu’on y puisse traiter d’aucune autre matière.5 » Même le roi de France, sous l’égide duquel l’Académie était placée, n’aura osé réclamer des artistes d’alors ce que le complexe de ‘’supériorité’’ de l’AERES s’empresse aujourd’hui d’imposer aux écoles d’art sans autre forme de procès. 0.3.1 A la différence du discours unilatéralement transitif et a fortiori dénégatif de ces universitaires qui fort heureusement, « n’épuisent pas le champ général de la recherche », les langages des artistes sont – hélas pour eux – constitutivement réflexifs et autotéliques. Et comme l’atteste à divers degrés le uploads/Litterature/ zetetique1-pdf.pdf
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- Publié le Jui 22, 2022
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