CNED TERMINALE HUMANITÉ-LITTÉRATURE-PHILOSOPHIE 1 SÉQUENCE 2 ÉTAPE 2 : APPRENDR
CNED TERMINALE HUMANITÉ-LITTÉRATURE-PHILOSOPHIE 1 SÉQUENCE 2 ÉTAPE 2 : APPRENDRE/PRATIQUER Partie B - Les expressions de la sensibilité : « hors de l’esprit, sans une pensée »… La Lettre dans le cartable ! Comme vous le savez, cette étape B est entièrement consacrée à l’étude d’une œuvre intégrale : Ein Brief – Une lettre ou Lettre de Lord Chandos 1. Durant votre lecture, vous avez peut-être déjà compris les raisons de ce choix mais celles-ci ne vous apparaîtront que plus nettement encore au fil de cette étude. Les « expressions de la sensibilité » sont au centre de la réflexion de Hugo von Hofmannsthal, à travers Lord Chandos. Cependant – et sans attendre – quelques éclairages sont nécessaires. Cette brève œuvre de fiction reste tout de même, pour un format épistolaire, un texte long, et donc complexe. C’est dans l’environnement fertile de la « Vienne 1900 » que le jeune Hugo von Hofmannsthal s’illustre par son talent qui lui vaut la dénomination énigmatique mais significative de « génie ». Faisant partie de cette « Jeune Vienne », il en retire d’abord l’effervescence puis très vite le doute, celui d’un siècle qui se termine, bousculé par la naissance du suivant. Comme souvent dans ces moments charnière, se met en place un spectacle vertigineux où entrent en concurrence ce qui a été et ce qui sera. Résistant à toute prise de position exclusive et à toute classification, Hofmannsthal est pour beaucoup le symbole d’une « modernité classique », à la fois novateur et conservateur et ce pour tous les genres littéraires : poèmes, pièces de théâtre, contes et romans. Une lettre, composée en 1902, ne fait déjà plus partie de ses œuvres de jeunesse mais ne peut pour autant être incluse, à l’aube du XX e siècle, dans celles de la maturité. Derrière le masque du personnage de Lord Chandos, Hofmannsthal se fait le témoin et l’acteur d’un paradoxe : face à un monde qui lui apparaît pourtant éminemment poétique, le langage est en crise. Cette lettre peut alors se lire comme l’ultime formulation de ce qui ne peut plus être dit ; un désenchantement des mots qui passera par un enthousiasme des sens. Dans un premier temps, nous étudierons la forme épistolaire choisie où s’exprime une double sensibilité ici en osmose – celle de Chandos et celle de Hofmannsthal. Dans un deuxième temps, nous suivrons de plus près le parcours poétique du personnage Chandos, un être sensible qui part de l’espoir du Tout pour parvenir au doute sur tout : l’expression artistique est en état de crise et elle doit évoluer. Bien que fictive, l’histoire contée aboutit à une réelle proposition de Hofmannsthal et c’est avec cette nouvelle perspective que nous terminerons notre étape. Ou plutôt que « vous » la terminerez, ce troisième et dernier temps ayant subi, à sa manière, une autre crise du langage ! Vous l’avez compris : cette longue Lettre de Lord Chandos est donc beaucoup plus qu’un court récit… Prêt à embarquer ? 1 Lettre de Lord Chandos, Hugo von Hofmannsthal, 1902, Payot-Rivages, 2000, à partir de 7.15 €. Promenade de Julie et Saint-Preux sur le lac de Genève – Charles Édouard Le Prince, 1824. CNED TERMINALE HUMANITÉ-LITTÉRATURE-PHILOSOPHIE 2 1. Une Lettre décachetée : lire l’intimité Pouvant prendre différentes formes, toujours en équilibre instable entre le factuel et le fictif, le genre épistolaire est à l’origine de divers travestissements littéraires et regorge de multiples significations. Mais quelle que soit l’option prise, la lettre est un échange entre deux sensibilités. Les exemples littéraires sont nombreux – citons-en quelques-uns en préambule. Dans la langue allemande, ce sont les lettres du jeune Werther qui viennent immédiatement à l’esprit, ces missives fictives composées par Goethe en 1774 qui retranscrivent de manière sensible les Souffrances du personnage éponyme. Quelques années auparavant, en France, Jean-Jacques Rousseau a imaginé les lettres de Julie dans sa Nouvelle Héloïse (1762) tandis qu’en 1782, Choderlos de Laclos construira ce roman polyphonique qui le rendra célèbre : Les Liaisons dangereuses. Au XIX e siècle, le réalisme français s’empare également du genre épistolaire ; c’est le cas de Balzac avec les Mémoires de deux jeunes mariés (1840), œuvre de fiction. Enfin, pour revenir au plus près de Hofmannsthal, dans l’Autriche du XX e siècle, les Lettres à un jeune poète (1903- 1908) de Rainer Maria Rilke offrent, comme l’œuvre étudiée, une réflexion sur la création poétique. Mais, cette fois, les lettres sont réelles. — — Le pouvoir du leurre : une vraie sensibilité ? Une lettre propose un audacieux mélange entre fiction et réalité et Hofmannsthal mène l’illusion à son paroxysme en constituant une lettre en tout point véritable. L ’« enveloppe » de la lettre est parfaite : enchâssée par la formule de politesse « il est aimable à vous... », on trouve à la fin une signature qui nous renseigne sur la date et sur l’identité du scripteur. De plus, sont évoquées d’autres lettres, de la plume de l’actuel destinataire – « et de m’écrire comme vous le faites » – dont les mots seront aussi cités – « Vous concluez... ». C’est donc une réponse motivée par un sentiment de reconnaissance, de devoir et de politesse. Le lecteur est introduit au cœur d’un échange épistolaire dont il ne possède qu’un fragment. Ainsi, Hofmannsthal capte toute notre attention. De plus, la lettre est semblable à un document réel. Une formule, dont nul ne sait qui est l’auteur potentiel, l’introduit : « Voici la lettre que... », laissant croire à un manuscrit retrouvé et ici retranscrit au lecteur potentiel. Ce mystérieux narrateur, extérieur à l’histoire mais omniscient, connaît l’identité précise des deux protagonistes que sont le « fils cadet du comte de Bath » – le fameux Lord Chandos – qui écrit à son ami Francis Bacon – « futur Lord Verulam et vicomte de saint Alban ». La raison de cette lettre d’excuse ? Le renoncement de Chandos à toute activité littéraire. De prime abord, on pourrait donc croire à l’intervention directe de Hugo von Hofmannsthal qui aurait été en possession de cette lettre d’un autre siècle. En réalité, il en est lui-même l’auteur. L’auteur d’une expression instantanée, bien qu’ici mensongère. Le transmetteur direct, bien qu’ici masqué, d’une pensée sur le papier. — — Le pouvoir de la fiction : une sensibilité de papier Cette Lettre nous raconte bel et bien une histoire avec sa situation, son intrigue et ses personnages. De manière habile, Hofmannsthal manie tous les codes fictionnels. Nous sommes en Angleterre, en 1603. Un poète prend la plume pour exprimer son mal-être artistique. Une question se pose alors, d’emblée : quelle en est la raison ? La Lettre y répondra en nous plongeant dans l’esprit même de cet artiste qui remonte le temps pour nous raconter ses espoirs créateurs, ses déceptions effectives et finalement sa résolution à interrompre tout travail littéraire, sans alternative possible. Ainsi se termine notre lecture, l’intrigue résolue. Si les deux personnages s’intègrent dans le récit en « êtres de papier », ils sont animés par une précision biographique réaliste ; pour Hofmannsthal, l’être-poète ne pouvait se détacher de l’être-homme en société. Des éléments matériels de la vie de Lord Chandos nous sont livrés. Si l’on prend seulement le CNED TERMINALE HUMANITÉ-LITTÉRATURE-PHILOSOPHIE 3 patronyme du poète, il nous indique un rang social, celui de « Lord ». Cette étiquette va être consolidée par une série de détails incluant Chandos dans la société aristocratique anglaise : son lectorat royal avec l’évocation d’« une reine sublime et [de] quelques Lords et Seigneurs », sa généalogie représentée par « [s]on grand-père, le duc d’Exter », son domaine et ses serviteurs (« ma demeure », « mes terres », « mes fermiers ou employés ») et enfin ses connaissances : Francis Bacon, bien sûr, mais aussi « les éminentes personnes cultivées rencontrées lors de [s]es voyages ». Mais Chandos ne se réduit pas à son nom, il est aussi un père – « ma fille Katarina Pompilia » – et un époux – « ma femme ». Si le cinquième Lord Chandos a bien existé, il ne se prénommait pas Philippe comme c’est le cas dans la Lettre : il y a donc bien invention. En revanche on attribue à un certain chevalier de Bath, cette fois réel, des essais très intéressants composés dans sa prime jeunesse, ce qui correspond à la situation du locuteur. Quant à Francis Bacon c’est un philosophe anglais du début du XVII e siècle. En réintégrant le récit dans un contexte temporel précis, période durant laquelle la situation sociale de l’écrivain est encore instable, on peut saisir les doutes de Chandos comme ceux d’un poète effrayé par sa paralysie artistique et qui se doit de répondre aux inquiétudes d’un mécène qu’il admire. Sous cet angle, le personnage n’est pas sans rappeler celui du Tasse dans Torquato Tasso (1790). Goethe y montrait un génie maladif – comme Chandos – qui inquiétait son protecteur, le riche duc de Ferrare. Hofmannsthal exploite de manière hyperbolique le champ lexical de uploads/Litterature/7lp06te0220-etape-2-partie-b.pdf
Documents similaires










-
20
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 18, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3112MB