Littérature Les écoles normales : une liquidation de la rhétorique ? (Littératu
Littérature Les écoles normales : une liquidation de la rhétorique ? (Littérature et grammaire dans les programmes de l'école normale de l'an III) Claude Désirat, Tristan Hordé Citer ce document / Cite this document : Désirat Claude, Hordé Tristan. Les écoles normales : une liquidation de la rhétorique ? (Littérature et grammaire dans les programmes de l'école normale de l'an III). In: Littérature, n°18, 1975. Frontières de la rhétorique. pp. 31-50; doi : 10.3406/litt.1975.1095 http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1975_num_18_2_1095 Document généré le 01/06/2016 Claude Désirât et Tristan Horde, Tours. LES ÉCOLES NORMALES : UNE LIQUIDATION DE LA RHÉTORIQUE? Littérature et grammaire dans les programmes de l'École normale de l'an III 0.1. Projet Notre travail porte sur la première apparition de la littérature comme titre d'une matière d'enseignement dans une institution scolaire d'état, l'Ecole normale de l'an III. Ce premier établissement de formation des maîtres est une pièce essentielle dans les projets d'éducation de la Convention post-thermidorienne- Les cours qui y furent donnés ont fait l'objet d'un compte rendu sténographique 1. A cette date, un univers pédagogique se défait et un autre ensemble scolaire se met en place. Quels choix sont opérés dans des domaines scientifiques pour constituer des objets pédagogiques ? Quelle hiérarchie s'établit entre les disciplines, déjà constituées ou encore en formation ? Quelles relations se construisent entre cette répartition des branches de la connaissance d'une part, et, d'autre part, la difficile mise en place d'un nouvel appareil d'état, les mouvements des fractions de la bourgeoisie sur le point d'établir son hégémonie politique et 1' « élaboration d'une idéologie à la fois manichéenne et fortement intégratrice » 2 ? Ensemble de questions dont la réponse supposerait que soit élaborée une théorie des idéologies, et qui restera donc suspendue 3. Nous ne retiendrons ici que l'organisation des études littéraires. On peut lire dans les Séances des Ecoles normales (cf. note 1) comment la littérature tend à recouvrir les « sciences morales », à investir le territoire des sciences humaines à venir, à préparer son futur domaine universitaire et scolaire, au moment où se modifient les formes de sa diffusion extra- 1. Séances des Ecoles normales recueillies par des sténographes et revues par les professeurs, à Paris, chez L. Reynier, Imprimeur-Libraire, rue du théâtre de l'Egalité, n° 4. Cette édition sans date et incomplète fut éditée en 1795 pendant la session des E.N. Une seconde édition, complète, est datée 1800/1801 et porte l'origine : Imprimerie du Cercle Social, rue du Théâtre Français, n° 4 ; c'est celle que nous citons sous la référence Leçons : L, Débats : D, accompagnée de la tomaison en chiffres romains et de la pagination en chiffres arabes. En 1808, une nouvelle et dernière publication des textes de 1800/1801 est titrée : Cours de Sciences et Arts par des professeurs célèbres, chez Testu, Imprimeur de l'Empereur, rue Hautefeuille, n° 13. Nous emploierons indifféremment Ecoles normales ou Ecole normale, comme on le faisait à l'époque. 2. F. Furet, le Catéchisme de la révolution française, in Annales (E.S.C.), mars- avril 1971, p. 288. 3. Eliseo Veron, « Linguistique et sociologie, vers une " logique naturelle des mondes sociaux " », in Communications n° 20, p. 246 sqq. 31 scolaire. Grammaire et littérature ont partie liée : toutes deux vont prendre leur place à l'école en imposant un nouvel éclatement au dispositif rhétorique. 0.2. L'événement : l'École normale de l'an III L'Ecole normale de l'an III a été fondée par le décret du 2 brumaire ; en 1895, une plaque commemorative apposée au 45 de la rue d'Ulm établit une filiation entre l'école de 1795 et l'Ecole normale supérieure. Parenté équivoque puisque les écoles normales de l'an III furent conçues pour donner des instituteurs aux futures écoles primaires : « Qu'avez-vous voulu, en effet, en décrétant les écoles normales les premières, et que doivent être ces écoles ? » lance Joseph Lakanal aux membres de la Convention nationale, « Vous avez voulu créer à l'avance, pour le vaste plan d'instruction publique qui est aujourd'hui dans vos desseins et dans vos résolutions, un très grand nombre d'instituteurs capables d'être des exécuteurs d'un plan qui a pour but la régénération de l'entendement humain dans une république de vingt-cinq millions d'hommes que la démocratie rend tous égaux 4. » Dans les écoles normales, la Ire République prétendait rassembler les citoyens les plus sûrs sous la direction des savants les plus célèbres ; en même temps que l'institution forme une élite intellectuelle d'un nouveau type, dépendant directement de l'Etat, elle redécoupe le champ du savoir scolaire, le réorganise à d'autres fins. Le législateur ne crée pas de toutes pièces ; bien des projets de réforme ont, au cours du xviif siècle, déclaré que « l'éducation doit être l'apprentissage de ce qu'il faut savoir et pratiquer dans le commerce de la société* », et de là modifié la distribution des matières d'enseignement6. Le législateur ne calque pas la division des disciplines sur une répartition préétablie des sciences existantes. Il institue un nouvel ordre en imposant la cohabitation de sciences et d'arts, certains exclus des établissements d'ancien régime (analyse de l'entendement, économie politique, agriculture qui avait déjà été proposée par les réformateurs), et dont les frontières externes et internes vont être négociées et discutées, pour répondre aux impératifs d'une nouvelle pédagogie. 0.3. Sciences, littérature et caetera Les séances des écoles normales s'ouvrent sur un Arrêté des représentons du peuple près les écoles normales. L'article 2 fixe la liste des professeurs 4. Rapport sur l'établissement des Ecoles normales, par Lakanal, séance du 2 Brumaire an III de la république, imprimé par ordre de la Convention nationale. Les instituteurs reçurent leur formation entre le décret du 27 Brumaire an III, qui supprimait l'obligation scolaire, et la loi Daunou du 3 Brumaire an IV, qui instituait la rétribution des enseignants par leurs élèves. Ils auraient dû repartir dans leurs provinces et ouvrir des Ecoles normales régionales pour former les futurs enseignants des écoles primaires. 5. Encyclopédie, article etudes. 6. On sait que Diderot (Plan d'une université pour la Russie, écrit en 1775) insistait sur la liaison nécessaire entre les sciences pures, les sciences appliquées et les belles lettres ; que La Chalotais (L.R. Caradeuc de La Chalotais, Essai sur l'Education nationale, ou Plan d'études pour la jeunesse, 1763) préconisait dès l'entrée à l'école, et tout au long de la scolarité, l'étude des mathématiques, de la physique, de l'astronomie et de l'histoire naturelle. 32 nommés par la Convention et la répartition de leurs cours dans le temps (L, I, 13/14) : Les travaux des Ecoles normales seront distribués dans l'ordre suivant 8 : Primidi 1° Mathématiques Lagrange et Laplace et 2° Physique Haùy sextidi 3° Géométrie descriptive Monge Duodi 1 ° Histoire naturelle Daubenton et 2° Chimie Berthollet septidi 3° Agriculture Thouin Tridi 1° Géographie Buache et Mentelle et 2° Histoire Volney octidi 3° Morale Bernardin de Saint-Pierre Quartidi 1° Grammaire Sicard et 2° Analyse de l'entendement Garât nonidi 3° Littérature Laharpe La juxtaposition des différents objets d'enseignement est justifiée par les organisateurs des Écoles normales ; on peut, selon les principes de la philosophie des Lumières, postuler une homogénéité du savoir puisque toutes les connaissances dépendent d'un principe unique et peuvent être décomposées grâce à une seule méthode, la méthode analytique : « cette analyse qui compte tous les pas qu'elle fait, mais qui n'en fait jamais un ni en arrière, ni de côté ; elle peut porter la même simplicité de langage, la même clarté dans tous les genres d'idées ; car, dans tous les genres, la formation de nos idées est la même, les objets seuls diffèrent » (Lakanal, op. cit.). On ne peut qu'indiquer ici la liaison complexe de cette homogénéité méthodologique postulée, avec les instances économiques et politiques ; l'unicité de principe nous semble être la condition imposée aux sciences et aux arts pour trouver place dans le système pédagogique : ils doivent être socialement et moralement utiles. Les théories doivent aboutir à une pratique ; en 1795, les sciences comme les savants sont mobilisées. « // importe d'extraire 7. La mise en œuvre du projet provoque la rupture de l'équilibre du tableau qui suit. Deux journées restent inchangées : le primidi, consacré aux sciences mathématiques et physiques ; le quartidi, aux disciplines « littéraires », sous réserve d'importantes transformations (cf. infra, 2 et 3). Des modifications profondes touchent les journées médianes. L'ordre des leçons dérangé, dès les premiers jours, sera encore bouleversé, peu de professeurs remplissant jusqu'au bout leur contrat. Une modification pertinente du projet sera l'introduction à partir de la 16e séance d'un cours d'économie politique, assuré par Vandermonde. Si l'on tient compte du retrait provisoire de Bernardin de Saint-Pierre, c'est-à-dire de l'absence de l'enseignement de la morale, l'économie politique prend ainsi la place de la morale. 8. Les courtes notices ci-dessous n'identifient que les professeurs qui jouent un rôle direct dans la mise en place de la littérature aux Ecoles normales. Garât (Joseph Dominique) 1749-1833 ; avocat au Parlement de Bordeaux ; en relation avec d'Alembert, Condillac, Rousseau ; député à la Constituante ; ministre uploads/Litterature/les-ecoles-normales-une-liquidation-de-la-rhetorique.pdf
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- Publié le Jui 05, 2021
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