Dix-huitième Siècle La querelle des inversions Marc Dominicy Abstract Marc Domi
Dix-huitième Siècle La querelle des inversions Marc Dominicy Abstract Marc Dominicy : The problem of inversions. The aim of this article is to describe d'Alembert's approach to the celebrated problem of word order and so-called "inversions". It shows that his theory rests on four "axioms" which were generally accepted during the 18th Century : (i) words signify ideas ; (ii) meaning is compositional ; (iii) thought proves to be nonlinear, at least to some extent ; (iv) it is possible to define a "natural" ordering of ideas, in relation to a syntactic theory. D'Alembert's originality stems from his awareness of the limits of such an analysis, and from the epistemological background of his grammatical reflections. Citer ce document / Cite this document : Dominicy Marc. La querelle des inversions. In: Dix-huitième Siècle, n°16, 1984. D'Alembert. pp. 109-122; http://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1984_num_16_1_1487 Document généré le 24/06/2016 LA QUERELLE DES INVERSIONS U Éclaircissement sur l'inversion que d'Alembert a ajouté à quelques lignes de ses Éléments de philosophie 1 n'a, jusqu'ici, fait l'objet d'aucune étude approfondie. Ulrich Ricken et Simone Delesalle n'en parlent pas ou guère 2 , tandis que les commen¬ taires fournis par Bakalar, Essar, Scaglione et Venturi restent essentiellement paraphrastiques et, nous espérons le montrer bientôt, peu pénétrants 3. Seul, à notre connaissance, Sylvain Auroux a situé cet écrit par rapport à un contexte épistémolo- gique structuré, mais ses réflexions ne touchent pratiquement pas au problème de l'inversion 4. Ici comme dans de nombreux autres cas, l'attitude des historiens s'explique, au moins en partie, par les traits dominants du texte considéré. Fidèle à une démarche qui a été fort bien saisie par Michel Paty 5, d'Alembert se révèle avant tout soucieux d'explorer des voies nouvelles, sans verser ni dans la rigueur volontiers définitive d'un Beauzée, ni dans les aperçus saisissants, mais dangereusement imprécis, qui font le prix et la faiblesse de la Lettre sur les sourds et muets 6. Très vite, Y Éclaircissement se hisse à un niveau que nous qualifierons de « métathéorique » et rejoint, par l'analyse d'exemples apparem¬ ment anodins, l'épistémologie générale de notre auteur, et la philosophie du langage qu'elle sous-tend. Les limites du présent article nous interdisent de décrire avec un détail suffisant l'environnement historique et scientifique au sein duquel les quinze pages de d'Alembert occupent une place réduite mais originale. Fort heureusement, cet arrière-plan nous est aujourd'hui bien connu grâce, en particulier, aux synthèses historiques de Ricken et Scaglione, ainsi qu'aux travaux plus théoriques d' Auroux et de Swiggers 1 . Nous nous permettrons aussi de renvoyer à un article récent où nous avons tenté de dégager les présupposés communs qui unissent, sur la question pourtant conflictuelle de l'inversion, des auteurs aussi différents que Du Marsais, Condillac, Batteux, Diderot, d'Alembert et Beauzée 8. 110 MARC DOMINICY A notre sens, la doctrine linguistique sur laquelle d'Alembert fonde sa réflexion se laisse saisir, en gros, à l'aide de quatre axiomes, que nous numéroterons pour la brièveté de l'exposé. Dans la mesure du possible, nous citerons des passages extraits des Éléments, même s'ils ne constituent pas la formulation la plus complète ou la plus précise de l'axiome examiné. Axiome I : « Tout discours est composé de mots ; chacun de ces mots exprime une idée » (p. 246). Cette hypothèse du langage-traduction (Auroux) oscille entre deux versions, l'une minimale et l'autre maximale. Selon la version minimale, qui paraît inspirer le passage cité, l'ambiguïté lexicale ne peut subsister à l'intérieur du discours. Par contre, la version maximale nie l'existence même de l'ambiguïté lexicale, et recourt à une théorie des tropes pour rendre compte des contre-exemples immédiats. De toute manière, la typologie des différentes « espèces de sens » que l'usage assigne aux mots retentit sur la sémantique du discours. C'est ainsi que pour d'Alembert, qui distingue entre « sens propre » (l'éclat de la lumière ), « sens par extension » (l'éclat du son) et « sens figuré » (l'éclat de la vertu), « le sens propre des mots a un usage fixe, déterminé et unique, en sorte qu'il n'y a jamais qu'une seule espèce de phrase, où l'on puisse employer ce sens propre ; au lieu que le sens par extension et le sens figuré peuvent avoir différentes acceptions, différentes nuances, se diversifier plus ou moins dans ces nuances et ces acceptions, et par conséquent entrer dans différentes sortes de phrases » (p. 238-239). L'axiome II établit le caractère compositionnel de la signification qui se trouve attribuée aux phrases, voire aux unités supérieures du discours. Chez d'Alembert, cet axiome reçoit des formulations comme : « les idées que les mots expriment sont renfermées dans une proposition » (p. 237) ; « la phrase Dieu est bon renferme une masse d'idées » (p. 246). L'emploi du terme « renfermer », auquel un Éclaircissement précédent est consacré (p. 155-156) renvoie clairement à la théorie des idées, et nous livre, par là-même, une interprétation satisfaisante de l'axiome. Donnons-nous, pour commencer, une opération associative de réunion (ou d'addition) définie dans l'ensemble des idées, et une relation d'inclusion entre idées (rendue par « renfermer » ou « être renfermée dans »), de telle manière que 9 : a + |3 = y O a < y A p < y (« Si la réunion de l'idée a et de l'idée (3 égale l'idée y, alors est renfermée dans y et |3 est renfermée dans y ».) LA QUERELLE DES INVERSIONS 111 Supposons alors que deux mots quelconques a et b expriment respectivement les idées a et (3 et soient combinés par une opération associative qui n'exige ni qu'ils soient immédiatement contigus, ni qu'ils apparaissent dans un ordre déterminé l'un par rapport à l'autre. L'axiome de compositionalité stipule que : f(a (1 b) = f(a) + f(b) = a + |3. (« L'idée exprimée par la combinaison du mot a et du mot b égale la réunion de l'idée exprimée par a et de l'idée exprimée par b »). Nous instaurons donc, pour chaque discours donné, un rapport d'homomorphisme entre l'ensemble des (combinaisons de) mots muni de l'opération de combinaison, et un ensemble d'idées muni de l'opération de réunion. Il en découle que le discours pris en considération exprimera lui aussi une idée, qui renfermera les idées exprimées par ses mots. Notons incidemment qu'il n'y a pas isomorphisme, puisque deux (combinaisons de) mots peu¬ vent exprimer la même idée ; et cela jusque dans le cas où le texte en question ne contient jamais plus d'une occurrence du même mot. L'axiome III, qui fait figure de lieu commun à l'époque des Lumières, s'énonce très souvent en termes métaphoriques (voir notre article cité en note 8). Dans les Éléments, d'Alembert choisit des formules plus directes : « il est très difficile, pour ne rien dire de plus, de fixer et de déterminer cet ordre [suivant lequel les idées renfermées dans une proposition se présentent à l'esprit de celui qui l'énonce], à cause de la rapidité avec laquelle nos idées se succèdent ;[...] il est même plus que vraisemblable, comme on l'a déjà remarqué, que notre esprit a souvent plusieurs idées à la fois ;[...] le nombre de ces idées qui peuvent en même temps nous être présentes, est plus ou moins grand suivant le degré d'attention et la nature des esprits » (p. 237-238), « Quand je pense qu'Alexandre a vaincu Darius ou que Darius a été vaincu par Alexandre, il me paraît évident que ces trois idées d'Alexandre, de vaincu et de Darius me sont présentes à la fois. Il est au moins certain que si elles se succèdent, c'est avec une rapidité qui ne permet pas d'observer l'ordre qu'elles suivent » (p. 247). Cet axiome, qui affirme en même temps la simultanéité de la pensée et son analysabilité relativement à un langage donné, n'est pas totalement indépendant de l'axiome II, dont il restreint par ailleurs la portée. Supposons que j'aie une pensée, en ce sens qu'une idée a est présente à mon esprit. S'il existe un langage dans lequel la combinaison de mots ax (1 . . . û an est un discours possible, et quef(ax fl ... H an)= +... + an = a, alors 112 MARC DOMINICY ma pensée est analysable relativement à ce langage. Dire, de plus, qu'elle est simultanée revient à soutenir que a est présente à mon esprit au moment même où je m'apprête à produire le discours ax fi ... fl an. Nous avons donc affaire à une thèse psycholinguistique qui ne concerne que l'énonciateur (le desti- nateur), et fait peser des limitations de performance sur l'axiome II en maintenant d'ordinaire ses conséquences empiriques à l'intérieur du domaine grammaticalement ou logiquement cir¬ conscrit de la phrase et de la proposition. L'axiome IV nous amène au thème de l'inversion et se caractérise par le fait qu'il est explicitement rejeté par l'abbé Batteux. En gros, ce dernier axiome établit que, pour tout discours ax fi ... fi an (où, rappelons-le, a1? ... an peuvent se disposer suivant n'importe quel ordre), il existe une et une seule relation d'ordre simple strict uploads/Litterature/ling-dominicy-m-la-querelle-des-inversions-1984.pdf
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- Publié le Dec 09, 2021
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