41 (1) Soigner la progression une clé pour entretenir la motivation dans l'appr

41 (1) Soigner la progression une clé pour entretenir la motivation dans l'apprentissage du FLE en milieu universitaire Olivier LORRILLARD [Mots clés] FLE, progression, motivation, cohérence, débutants, apprentissage court Introduction Respecter une progression du plus facile au plus difficile est une chose qui semble le plus souvent aller de soi dans l'enseignement d'une langue étrangère et il existe en définitive assez peu d'articles ou de comptes rendus d'expérience écrits sur le sujet de la part des didacticiens et pédagogues. Pourtant, à y voir de plus près, on se rend compte que si le principe même de progression est instinctivement appliqué par chaque enseignant, il l'est souvent de manière approximative parce qu'il s'appuie sur des supports pédagogiques peu adaptés aux particularités de chaque situation d'enseignement. Or les choix effectués dans l'élaboration du programme et des objectifs ne sont pas seulement déterminants pour l'efficacité de la méthode, mais ont aussi un impact trop souvent mésestimé sur la motivation des apprenants et méritent à ce titre une attention toute particulière. Nous voulons, dans cette contribution, proposer quelques principes permettant d'optimiser la progression d'un cours de FLE en nous appuyant sur notre double expérience d'enseignant et de concepteur de méthode. Nous nous intéresserons pour cela à une situation d'enseignement qui présente de nombreuses contraintes — durée d'apprentissage courte, effectifs élevés, étudiants non spécialistes, éloignement linguistique et culturel — et confère donc aux choix de progression une importance particulière : il s'agit d'un cours de français-seconde langue étrangère pour débutants, obligatoire en première année. À travers cet exemple, nous voulons d'abord montrer qu'une progression « sur mesure », c'est à dire épurée au point d'être parfaitement adaptée au contexte et à la durée d'apprentissage (45 heures en l'occurrence), fait gagner aux apprenants un temps précieux et permet en contrepartie à l'enseignant d'augmenter sensiblement les objectifs véritablement communicatifs. Nous faisons surtout le pari que, dans ces conditions et contrairement aux idées reçues, des objectifs ambitieux peuvent constituer une source de motivation pour nos apprenants. 広島大学大学院文学研究科論集 第76巻 42 (2) 1. Quelles solutions pour pallier les problèmes de motivation ? 1.1. Une distinction nécessaire entre « absence de motivations » et « démotivation » La motivation est généralement considérée comme le moteur principal dans l'apprentissage d'une langue qui requiert à la fois volontarisme, concentration et régularité. Pour Jakobovits (1970), elle contribue pour 33% à la réussite de cet apprentissage, soit autant selon lui que l'aptitude aux langues étrangères, et davantage que l'intelligence. Or nous ne parlons pas ici d’étudiants spécialistes mais, pour l'essentiel, d’étudiants pour lesquels la seconde langue est souvent « subie », perçue comme une simple parenthèse obligatoire mais passagère dans leur cursus, et les enseignants de FLE savent qu'un cours peut dans ce contexte poser des problèmes de motivation. Les raisons en sont diverses. Nul besoin, dans le cadre de cet article, de rappeler les trop nombreuses difficultés qui attendent les apprenants japonais entreprenant l'étude du français. Contentons-nous de signaler que l'éloignement linguistique s'ajoute ici à la complexité objective de la langue pour rendre la pente plus raide encore : les conjugaisons, les articles ou encore les pronoms sont autant de « nouveautés » à assimiler avant de construire une simple phrase. De même, la complexité des règles de prononciation du français contraste avec la simplicité phonétique du japonais, qui comporte par exemple trois fois moins de sons vocaliques. Tout concourt ainsi à donner à nos jeunes étudiants l'impression que l'étude du français n'est pas le plus court chemin vers le diplôme final et n'est pas même réaliste pour un apprentissage aussi court (45 heures annuelles pour un cours). La difficulté de l'apprentissage du français constitue donc un réel handicap dans un contexte de compétition accrue : le français, globalement privilégié avec l'allemand dans le système universitaire d'après-guerre, est mis aujourd'hui en concurrence avec d'autres langues (chinois, espagnol, coréen) souvent considérées comme plus « utiles » dans le monde actuel. Le peu d'empressement de certains à choisir le français comme seconde langue étrangère peut apparaître somme toute assez logique, et la baisse continue du nombre d'étudiants depuis une vingtaine d'années revêt des allures de fatalité. Parallèlement, on observe que de plus en plus d'enseignants de français optent pour une réduction de leurs ambitions. Au moment où l'attractivité de la langue française décline, c’est en effet une question éminemment politique : l’enjeu, il faut bien l'avouer, est parfois d'enrayer coûte que coûte la baisse des effectifs en première année, et il n'est donc plus question « d'effrayer » les étudiants. Nous voulons cependant exprimer un doute sur la pertinence d'une telle démarche. Les étudiants Soigner la progression (LORRILLARD) 43 (3) rencontrent en effet, en dehors du problème de l'absence de motivations pour choisir le français, un second écueil que nous distinguerons ici en utilisant le mot « démotivation ». Un groupe de chercheurs a d'ailleurs effectué une étude confirmant que « la motivation pour l'apprentissage du français s'atténue au cours de l'année chez les apprenants japonais » (Ohki et al., 2009 : 72). Le problème n'est donc pas seulement d'inciter de jeunes étudiants à choisir le français en première année mais aussi de les encourager à poursuivre cet apprentissage. Il s'agit d'une question tout aussi essentielle et on peut même se demander si ce n'est pas le seul véritable enjeu pour convaincre de l'utilité du français : les étudiants ayant choisi d'approfondir leur apprentissage ne seront-ils pas de meilleurs ambassadeurs pour la langue française que ceux qui ont « subi » une initiation trop courte pour porter ses fruits mais suffisante pour leur faire entrevoir la décourageante complexité de la langue ? 1.2. Parier sur l'ambition et l'efficacité Nous faisons donc le choix de nous intéresser ici à la seule question sur laquelle nous, enseignants, avons réellement une prise : comment convaincre les apprenants de poursuivre leur apprentissage ? Bien entendu, pour répondre à cette question, certaines solutions — rendre l'apprentissage plus ludique ou plus varié par exemple — vont de soi et sont d'ailleurs le plus souvent déjà appliquées. D'autres, au contraire, relèvent de choix plus personnels et on retrouve en particulier une question récurrente : vaut-il mieux être ambitieux dans ses objectifs communicatifs ou, au contraire, baisser le niveau d'exigence ? Pour augmenter la motivation des apprenants, nous avons pour notre part misé dès la première année d'apprentissage sur des objectifs communicatifs ambitieux, associés en contrepartie à un travail méticuleux de simplification et de rationalisation de la progression. C'est de cette expérience que nous allons rendre compte ici. Pour comprendre notre choix, il faut d'abord essayer de préciser la notion même de motivation et les mécanismes qui la composent. Il existe diverses thèses sur la question, mais nous nous inspirerons ici du modèle « expectation-valence » d'Eccles (2000), celui-là même à partir duquel a travaillé le groupe de chercheurs cité plus haut. Ce modèle repose sur la prise en compte de divers critères dont, pour simplifier, nous ne retiendrons ici que ceux sur lesquels l'enseignant peut avoir une influence 1 : • les attentes de succès (à combien l'apprenant évalue la probabilité de réussir dans son apprentissage) • l a valeur intrinsèque de l'apprentissage (plaisir ou intérêt éprouvés lors de la réalisation de la tâche) • le coût de l'apprentissage (à combien l'apprenant évalue les efforts nécessaires pour réussir) 広島大学大学院文学研究科論集 第76巻 44 (4) Le groupe de chercheurs semble confirmer que, « concernant l'apprentissage du français par les apprenants japonais, les attentes de succès et les valeurs (i.e. valeur d'atteinte du but, valeur intrinsèque, valeur d'utilité) sont faibles alors que le coût est élevé », et conclue que « cette disproportion décourage les apprenants japonais de français et entraîne une baisse de motivation » (Ohki et al., 2009 : 78). Comment donc l'enseignant ou le concepteur de méthode peuvent-ils faire augmenter les attentes de succès et renforcer la valeur de cet apprentissage ? C'est précisément pour augmenter sa valeur intrinsèque, c'est à dire le plaisir éprouvé dans les activités, que nous misons sur des objectifs communicatifs plus ambitieux : l'efficacité, c'est à dire le fait de donner le plus vite possible aux étudiants le sentiment qu’ils acquièrent une compétence, voire qu'ils « peuvent parler », constitue en effet à nos yeux une source plus authentique d'émulation que le caractère ludique ou la variété des activités, même si ces aspects ne peuvent bien sûr être négligés. Quant à l'attente de succès, elle est certes influencée par la réputation de la langue française, considérée comme difficile, mais ici elle signifiera plus pragmatiquement « atteinte des compétences requises pour réussir aux examens », et le niveau de cette attente dépend surtout du degré de difficulté ressenti dans le cours par les apprenants. On peut tout de même logiquement craindre que notre choix de l'ambition ne nuise à cette attente de succès. Plutôt que de réduire les objectifs communicatifs du cours, on va donc s'efforcer de réduire, en contrepartie, le sentiment de difficulté éprouvé par les apprenants en recourant à un allègement drastique des contenus grammaticaux et lexicaux « inutiles » et à une rationalisation extrême de la progression. uploads/Management/ 03-lorrillard-olivier.pdf

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  • Publié le Aoû 09, 2021
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