Contrôle et stratégie Henri BOUQUIN Mots clés : stratégie, contrôle, diversific

Contrôle et stratégie Henri BOUQUIN Mots clés : stratégie, contrôle, diversification, différenciation, domination par les coûts, processus, budgets, plans, slack, missions stratégiques, facteurs clés de succès, facteurs clés de risque, position stratégique, corporate strategy, business strategy, paradoxes, stratégie d’entreprise, stratégie par domaines d’activité, apprentissage, émergence. Existe-t-il une unique bonne façon d’organiser le contrôle interne des organisations, et leur contrôle de gestion en particulier ? La recherche en gestion montre l’inverse. Quels sont donc les facteurs dont il faut tenir compte pour construire, au cas par cas, un contrôle efficace ? Ils sont nombreux : la technologie, la taille, la diversité des activités, leur complexité, leurs interactions, l’existence d’un référentiel externe, les cultures des personnels et dirigeants, la traçabilité des flux internes, l’horizon de la prévision possible, la réversibilité des choix, la nature des risques encourus, etc. Bref, tous les facteurs qui influencent les modalités d’organisation des processus de l’entreprise. Si l’on dispose à leur égard de quelques idées, on attend toujours une théorie. La stratégie est-elle un de ces facteurs ? On n’en doute guère (Dent, 1990) depuis les travaux historiques de Chandler montrant les liens entre stratégie d’entreprise et structure, où l’on voit que la diversification conduit à dissocier les décisions stratégiques et opérationnelles ; d’où la fortune de cette interface, le contrôle de gestion. Quel aspect de la stratégie influence quel aspect du contrôle ? S’agit-il d’une influence sur des contenus, par exemple les instruments de gestion, ou sur leur usage, le rôle qu’ils jouent ? Comment isoler l’effet intrinsèque de la stratégie ? Le contrôle influence-t-il la stratégie ? Vaste programme. Car il y a des contrôles, comme il y a des stratégies. Ces questions visent plus particulièrement le contrôle de gestion : c’est à lui que l’on assigne le plus souvent la mission spécifique de garantir la mise en œuvre de la stratégie. Anthony, un professeur de la Harvard Business School, n’en est-il pas venu à le définir par cette fonction même ? " Le contrôle de gestion est le processus par lequel les managers influencent d’autres membres de l’organisation pour mettre en œuvre les stratégies de l’organisation " (Anthony, 1988, p. 10). L’idée de stratégie recouvre une réalité complexe (Desreumaux, 1993 ; Mintzberg et al., 1998). On admettra ici de la définir comme l’ensemble des actions qui déterminent durablement le succès d’une organisation. Actions, et pas seulement décisions, ni " décideurs ". L’idée de succès suppose que des buts ont été définis, mais elle est relative : succès, pour qui ? Les théories de l’organisation ont montré l’ambiguïté de la notion de buts d’une organisation, et cela vaut pour le contrôle. Il faut se défier du conformisme qui admet que les buts sont d’abord choisis, et qu’ensuite la stratégie est fixée : la pratique révèle bien des itérations. On reconnaît que la stratégie comporte différents niveaux interdépendants et des composantes complémentaires. S’agissant de ses niveaux, on distingue la " stratégie d’entreprise " (corporate strategy), celle qu’elle applique à tel de ses domaines d’activité ou " stratégie par domaine " (business strategy), enfin les " stratégies fonctionnelles " ou de ressources (Grant, 1991) par lesquelles passent les deux précédentes (stratégie de R et D, de GRH). Pour ses composantes, elles portent sur :  les territoires (domaines d’activité et couples produits-marchés) visés,  les missions (ou " la vocation ") assignées aux activités : développer, stabiliser, relancer, rentabiliser pour quitter,  les atouts ou armes concurrentielles : par exemple (Porter, 1986) ne pas différencier son offre et viser des coûts inférieurs à ceux des concurrents pour un même prix de vente, ou inversement différencier l’offre pour se distinguer,  les voies, moyens et ressources à mettre en œuvre pour obtenir le positionnement visé : croissance externe ou interne, processus clés concernés (facteurs clés de succès),  les alliés ou les partenaires qui complètent les potentiels propres de l’entreprise, lui permettent d’accéder à de nouvelles ressources, l’aident à résister aux adversaires. Quant au contrôle lui-même, ensemble de dispositifs et de processus intentionnels ou pas orientant les comportements, il a été l’objet de nombreuses typologies portant sur les six axes (Chiapello, 1996) dont il procède :  sa source : l’organisation, le groupe social, le pouvoir d’une personne, l’individu " contrôlé " lui-même,  son objet : il peut définir les moyens à mettre en œuvre (y compris en orientant le recrutement des personnes), ou le processus à employer, ou les résultats à atteindre,  la réaction ou l’attitude qu’il déclenche (et sur laquelle comptent ses concepteurs s’il est externe à la personne et délibéré) : adhésion, neutralité instrumentale, rejet,  le moment de son intervention : avant (finalisation), pendant (pilotage), après l’action (postévaluation),  la nature du processus qu’il met mis en œuvre : du conformisme cybernétique à la facilitation de l’émergence de normes ou de solutions nouvelles,  les moyens qu’il mobilise : de l’affectivité à la culture, du règlement à l’intervention hiérarchique, des objectifs à son insertion pure et simple dans les processus opératoires. Ces six axes, qui ouvrent bien des " stratégies de contrôle " possibles, ne sont pas tous indépendants les uns des autres ; du reste on peut discuter leur nombre. C’est pourquoi des synthèses sont proposées. La typologie la plus connue en contrôle, celle d’Anthony (1965, 1988), distingue la planification stratégique, le contrôle de gestion, le contrôle opérationnel. Ces catégories sont complexes et transversales aux six axes ci-dessus. Elles correspondent à une segmentation du processus de management à la Fayol, contestée par certains courants des théories des organisations (Simon). Critiquées, ces typologies restent tentantes : on voit sinon l’infinité des connexions à explorer, entre, d’un côté, les trois niveaux de la stratégie, déclinés sur ses quatre composantes, et, d’un autre côté, les six axes du contrôle… Où se situent les interdépendances majeures ? Quelles sont les figures typiques qui en résultent ? L’interdépendance entre stratégies et contrôles passe par le processus d’allocation des ressources, mais celui-ci est plus ambigu qu’il n’y paraît, il semble paradoxalement avoir parfois distendu les liens qu’il devait nouer. De nouvelles dimensions de la relation entre contrôle et stratégie ont été explorées. La recherche s’est alors enrichie, pour découvrir la réelle complexité de la question. 1. D’un processus fédérateur faussement providentiel au foisonnement labyrinthique des connexions La typologie d’Anthony en témoigne, les relations entre la stratégie et le contrôle se sont cristallisées sur le processus de planification et d’allocation des ressources, notamment sur le contrôle budgétaire, ce sous-ensemble du contrôle de gestion. Après en avoir rappelé le mécanisme généralement préconisé, dont la norme perdure en se rénovant (Brimson et Antos, 1999), on en montrera les insuffisances, qui portent à élargir le champ des relations entre contrôle et stratégie. 1.1. Un mécanisme (trop vite) normalisé Le dispositif couramment décrit part du principe que la stratégie existe et qu’il s’agit de la concrétiser par des actions coordonnées, déployées dans le temps et dans l’espace. La planification est considérée comme le bon moyen d’y parvenir. On cherchera donc à enchaîner plans stratégiques, plans opérationnels pluriannuels (dits aussi business plans), plans d’action annuels et budgets. C’est avec le plan opérationnel que commence le processus de contrôle de gestion. Pour un cycle cohérent avec l’année civile, le plan opérationnel, souvent construit à horizon de trois ans et " glissant ", est arrêté au premier semestre. La plupart des auteurs le décrivent comme le fruit d’un processus plutôt descendant (top-down) : la direction générale fait savoir aux responsables des domaines d’activité stratégiques (branches ou divisions dans un organigramme multi-divisionnel, c’est-à-dire structuré principalement par produits-marchés et seulement aux niveaux inférieurs par fonction) ce qu’elle attend d’eux (croissance, positionnement sur les marchés, rentabilité, etc.). Il leur appartient d’élaborer un plan répondant à ces attentes. Vient au second semestre la budgétisation, une sorte de réponse au plan opérationnel. Car, dans un processus plutôt remontant (bottom up), s’établissent les plans d’action annuels que les centres de responsabilité proposent pour contribuer à la première année du plan opérationnel. S’élaborent les demandes de ressources qui vont de pair. Les budgets chiffrent ces plans et ces demandes en unités monétaires. Des projets, dans ce cycle, répondent à des stratégies. Dans une entreprise diversifiée, ils montent des fonctions aux divisions et aux branches. Des outils cohérents avec la stratégie aident à filtrer les projets (voir par exemple le retour récent à la notion de création de valeur). Voilà comment les budgets sont des solutions pour mettre en œuvre des stratégies ; la cause est entendue – la recherche est sans objet. S’il y a norme, c’est que la stratégie n’a pas d’influence sur le contrôle. 1.2. Un modèle subtilement optimiste mais porteur d’une contradiction interne Ce modèle est optimiste, quoique plus subtil qu’il n’y paraît. Il instaure paradoxalement un processus bureaucratique au service (en contrepoids ?) d’une relation quasi marchande, en transformant un lien hiérarchique en un marché interne où la hiérarchie-cliente finance des projets et juge leurs auteurs sur les résultats. Mais ce modèle suppose qu’un processus bureaucratique reste un instrument au service de ceux qui l’ont conçu, alors que, uploads/Management/ 10controle-et-strategie-hbouquin.pdf

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  • Publié le Oct 03, 2022
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