84 - Avec la Sécurité sociale II- La Caisse primaire de Sécurité sociale de Nan
84 - Avec la Sécurité sociale II- La Caisse primaire de Sécurité sociale de Nantes 1945-1967 A.R.C.N.A.M. Pays de la Loire – Jean-Luc Souchet 84 85 - Avec la Sécurité sociale A) Une première caisse provisoire. De la désignation des administrateurs à l’élection. 1946-1947 “ En France comme ailleurs la Sécurité sociale est non pas seulement un moyen d’améliorer la situation des travailleurs, mais un élément dans la construction d’un ordre social nouveau. Elle est une conquête ouvrière au même titre que les réformes sociales de 1936. ”163 a) Espoirs et controverses Après la Libération du pays, l’heure est à la reconstruction. Au-delà des ruines à relever, cinq années de guerre dévastatrice imposent une réforme politique et sociale générale. Le sacrifice consenti pour obtenir la victoire, implique l’accès à une nouvelle citoyenneté dans un État providence revendiqué depuis 1789 en France et déjà installé en Angleterre par lord Beveridge quelques années plus tôt. C’est tout le champ social que doit agiter la vague des réformes : nationalisations d’entreprises, réformes de l’école, du logement, du syndicalisme, du système de santé... de la protection sociale sont à l’ordre du jour. En ce qui concerne cette dernière, l’article 1 de l’ordonnance du 4 octobre 1945 situe des objectifs qui dépassent largement ceux des assurances sociales qui précèdent. “ Il est institué une organisation de sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de familles qu’ils supportent. ”164 Il s’agit d’établir pour chaque citoyen une garantie universelle, obligatoire, assurée au moyen d’une répartition qui fonde un nouveau type de solidarité mettant en jeu de façon générale un principe de redistribution. La gestion de toutes les composantes de ce système doit être unifiée. L’accès aux soins y est maintenu dans le cadre d’un exercice libéral de la médecine, mais aux “ tarifs de responsabilité ”165 des assurances sociales doit désormais se substituer “ un tarif opposable ”166. Le coût des prestations doit désormais faire l’objet d’accords conventionnels avec les praticiens pour permettre le remboursement à 80 % de tous les assurés. Des cotisations proportionnelles aux salaires, dans la limite d’un plafond et à hauteur d’un pourcentage de 6 % pour les salariés et de 10 % pour les employeurs couvrent le financement de cette assurance universelle. L’État, s’il ne participe pas pécuniairement, intervient dans une mission de contrôle et de tutelle. L’ensemble des partenaires sociaux sont sollicités : au rapport de proximité direct des salariés avec leurs employeurs, se substituent “ des rapports triangulaires entre employeurs, salariés et institutions sociales ”167 . 163.PIERRE LAROQUE, “ La Sécurité sociale de 1944 à 1951 ”, R.F.A.S. avril, juin 1971, p 11. 164.Ordonnance n° 45-2258 du 4 octobre 1945, Journal officiel, 6 octobre 1945, p. 6280. 165.Les honoraires sont librement fixés entre praticiens et assurés, les caisses déterminent un prix de remboursement fixe des actes pris en charge. 166.Honoraires et remboursements doivent être déterminés pour ne laisser à l'assuré que la prise en charge du ticket modérateur légal. 167.JEAN-JACQUES DUPEYROUX, Droit de la Sécurité sociale, Dalloz, 1980, p. 102. A.R.C.N.A.M. Pays de la Loire – Jean-Luc Souchet 85 86 - Avec la Sécurité sociale D’emblée les efforts pour décliner très concrètement en terme de protection sociale justice, égalité et fraternité ne vont pas sans questions. “ Très vite l’élan de solidarité fraternelle qui a marqué la fin de la guerre a tendu à s’affaiblir alors que les particularismes des catégories professionnelles et sociales reprenaient une forme nouvelle. ”168 Les bénéficiaires potentiels de cette réforme ne sont pas unanimes. Parmi eux certains contestent le modèle unique et universel qu’elle propose. Les agriculteurs et les professions non salariées revendiquent des régimes particuliers. Les fonctionnaires, s’ils soutiennent dans leur majorité cette réforme, hésitent pourtant à rejoindre la masse des salariés ; ils ne le feront que partiellement au sein de régimes spécifiques. Chez les salariés eux- mêmes des intérêts se confrontent. A côté du modèle salarial ouvrier, prévalant dans l’époque qui précède, d’autres formes se développent désormais et entendent imposer des prérogatives. La propriété sociale liée à la production tend à générer des projets de garanties s’appliquant à chaque classe de salariés. “ Les réalisations de la Sécurité sociale peuvent ainsi s’interpréter comme l’apothéose d’un salariat au sein duquel le salariat non ouvrier a pris une place de plus en plus prépondérante. ”169 Les employés y occupent une place croissante. Les cadres et ingénieurs de leur côté revendiquent la spécificité de leurs statuts et de leurs avantages. Dès sa refondation, à la fin de 1944, la Confédération générale des cadres (C.G.C.) recueille une large adhésion170. Au sein des syndicats ouvriers, -à la C.F.T.C. dès 1944171, à la C.G.T. en 1948172-, on s’attache à fournir à ces catégories des structures particulières pour conserver leurs adhésions. Le plan de Sécurité sociale, s’il redistribue des places, perpétue l’affrontement de conceptions et d’intérêts divergents. Sur fond de nationalisations, la C.G.T., puissante et encore unitaire, se mobilise derrière cette réforme de la sécurité sociale. Ses objectifs rejoignent en partie ceux fixés par le conseil national de la résistance. De plus, en novembre 1945, la désignation d’Ambroise Croizat, responsable communiste et sidérurgiste C.G.T., à la succession d’Alexandre Parodi comme ministre du Travail, lève les dernières hésitations. Écartant ses souhaits d’étatisation du système et de financement par l’imposition des entreprises sur leurs profits en lieu et place de la cotisation des salariés, ce syndicat regroupe quelque 5 000 000 d’adhérents et aimerait réaliser autour de lui l’unité syndicale des centrales ouvrières. Ses propositions d’unité organique faites à la C.F.T.C., le 19 septembre 1944, se voient toutefois éconduites en raison de l’attachement de cette dernière à sa spécificité et à un pluralisme d’action et d’alliances. Des dissensions internes menacent même très vite son intégrité. Le 24 novembre 1944 une première scission était intervenue avec une sensibilité anarchiste très minoritaire rassemblée dans la Confédération Nationale des Travailleurs. La parution d’un premier numéro de Résistance ouvrière qui devient Force ouvrière en décembre 1945 manifeste un nouveau clivage, plus important, reconstituant l’ancienne division entre la C.G.T. et la C.G.T.U. d’avant 1936. L’hostilité de 168.PIERRE LAROQUE, “ La Sécurité sociale de 1944 à 1951 ”, op. cit. 169.ROBERT CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, 1995, p. 376. 170.Il s’agit d’une refondation, la C.G.C. ayant déjà connu une courte vie du Front Populaire à la dissolution générale des syndicats par Vichy. 171.Fédération française des syndicats d'ingénieurs et cadres. 172.Union Générale des ingénieurs et cadres. A.R.C.N.A.M. Pays de la Loire – Jean-Luc Souchet 86 87 - Avec la Sécurité sociale nombreux syndicalistes C.G.T. à l’influence et aux orientations du parti communiste le motive. La C.F.T.C. dirigée par Gaston Tessier compte pour sa part un peu plus de 800 000 adhérents. Si elle confirme, lors de son XXIème congrès, son accord pour un régime universel d’Assurances sociales, elle exprime son hostilité “à toute forme d’organisation sociale à base de contrainte et d’unitarisme et affirme son attachement à la formule démocratique et française de la liberté et du pluralisme des caisses d’Assurances sociales ”. Depuis plusieurs décennies pour les militants chrétiens l’intervention concrète dans le champ social est indissociable de l’engagement syndical. Le concept de caisse unique soumis à la tutelle de l’État représente pour leurs dirigeants historiques une intrusion dans leur mode d’action traditionnel. Du côté des praticiens, la mise en place du nouvel ordre des médecins, le 24 septembre 1945, ne recueille pas l’assentiment général. Il s’agit d’un “ petit monstre auquel nous souhaitons une vie courte ” déclare même un de leurs représentants officiels, le Secrétaire général de la C.S.M.F., le Docteur Cibrié. Au travers de cette opposition, ce sont toutes les craintes traditionnelles du corporatisme médical qui se trouvent réactivées : étatisation, fin du libre choix du praticien, de la liberté de prescription, de l’entente individuelle sur les tarifs... Ils constituent pourtant les partenaires incontournables de cette mise en place de l’assurance obligatoire. Etendue à la couverture des risques maladies, invalidité, vieillesse, accident et décès, outre la relance rapide de la production industrielle celle-ci suppose leur franche collaboration. En novembre 1945, Ambroise Croizat, lors de sa prise de fonction, souligne le caractère indispensable de leur participation et leur responsabilité dans la réussite de ces avancées sociales. “ C’est au corps médical lui-même que relève pour une large part, la répartition judicieuse des frais importants que la législation nouvelle fait supporter aux caisses. ” En ce qui concerne les employeurs, largement identifiés à une droite politique conservatrice discréditée par son comportement entre 1940 et 1945, ils sortent affaiblis et subissent de fait, plus qu’ils n’intègrent, les dispositions des ordonnances sur la Sécurité sociale173. D’entrée, le principe d’unicité de gestion qu’elles préconisent les heurte. Ils préfèrent une séparation de la couverture des risques et s’opposent à la mise en place d’élections pour constituer les conseils des nouvelles caisses. Ces craintes patronales, -sur ce qu’ils dénoncent comme l’engrenage d’un transfert social opéré sur la propriété, véritable instauration “ d’un capitalisme social ”174 - uploads/Management/ 2-2-securite-sociale-democratie.pdf
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- Publié le Nov 08, 2022
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