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© MENJVA/DGESCO ►eduscol.education.fr/vocabulaire Ressources pour l'école primaire Le vocabulaire et son enseignement Idées reçues sur le lexique : un obstacle à l’enseignement du lexique dans les classes Alise Lehmann Université d’Amiens, UMR 7597 - Histoire des théories linguistiques Novembre 2011 éduSCOL IDEES REÇUES SUR LE LEXIQUE : UN OBSTACLE A L’ENSEIGNEMENT DU LEXIQUE DANS LES CLASSES ALISE LEHMANN Application à la réflexion pédagogique Cet article permet essentiellement de rendre compte des orientations des pistes de travail les plus répandues pour l’enseignement du vocabulaire durant les trente dernières années, qui ont abouti au tarissement de leçons décrochées, considérées de moins en moins utiles et efficaces. En contrepoint, ce texte évoque également quelques pistes plus pertinentes aujourd’hui pour mettre en œuvre des activités autour du vocabulaire en classe, dans le contexte des programmes de 2008. Le constat est unanime, l’enseignement du vocabulaire dans les classes pose de nombreux problèmes et les enseignants ne sont guère formés dans le domaine de la lexicologie. Il est vrai que le lexique est l’objet de multiples débats en linguistique et l’on pourrait arguer de la multiplicité des approches et des modèles théoriques pour expliquer la difficulté de « didactiser » le lexique. L’on prendra ici le problème par l’autre bout. Les idées reçues sur le lexique, que partagent à des degrés divers locuteurs et enseignants, constituent un obstacle à l’enseignement du vocabulaire. Héritées pour certaines d’entre elles d’une tradition didactique tenace, elles forment une vulgate d’idées préconçues, plus ou moins conscientes. Bien que leur dénonciation ne soit pas nouvelle puisque nombre de linguistes et didacticiens y font allusion dans leurs travaux1, on présentera ici, en les regroupant, un certain nombre d’idées reçues sur le lexique et on leur opposera des notions linguistiques de base. Ces notions de lexicologie nous paraissent pouvoir constituer un socle à partir duquel peuvent être pris en compte les problèmes posés par l’enseignement du lexique et à partir duquel peut se développer la créativité pédagogique des enseignants. 1. Idées reçues portant sur la conception d’ensemble du lexique 1.1. Le lexique vu comme une liste de mots Cette image fausse du lexique est entretenue par le dictionnaire dont la nomenclature est constituée des mots rangés selon l’ordre alphabétique. Or, on le sait, le lexique a une organisation interne. Les mots entretiennent entre eux des relations de sens (domaine de la sémantique lexicale) et des relations de forme (domaine de la morphologie lexicale) et sont liés entre eux par des relations syntaxiques (cf. 2.1). On ne saurait donc étudier un mot de façon isolée et encore moins soumettre à l’élève des listes de mots à mémoriser comme on le pratique dans l’étude des champs « lexicaux », regroupements thématiques de mots donnés hors contexte. Faire apprendre des listes de vocabulaire ne permet pas de faire comprendre ni d’assimiler des fonctionnements linguistiques. 1.2. Primauté de l’approche référentielle du lexique et primat du nom Dans cette conception commune, le lexique est d’abord perçu comme le domaine de la langue qui fait apparaître de la façon la plus évidente la relation au monde, en raison de la fonction dénominative du nom. Conséquence pédagogique, l’on accorde dans l’apprentissage une importance accrue aux noms (au détriment d’autres catégories grammaticales telles que le verbe). Mais il n’y a pas correspondance entre les mots et les choses, le lexique n’est pas une simple copie du réel, il a sa propre structuration interne (cf.1.1). Cette conception réductrice de la référence, selon laquelle les mots seraient de simples étiquettes posées sur les choses, transparaît dans certains énoncés de manuels scolaires, par exemple, lorsque la 1 Cf. en particulier, les contributions présentées dans le Français Aujourd’hui, Construire les compétences lexicales, n°131, 2000. © MENJVA/DGESCO ►eduscol.education.fr/vocabulaire Page 1 sur 6 IDEES REÇUES SUR LE LEXIQUE : UN OBSTACLE A L’ENSEIGNEMENT DU LEXIQUE DANS LES CLASSES ALISE LEHMANN consigne demandée à l’enfant consiste à retrouver tel mot dans une illustration donnée2. Ce type de formulation est pernicieux car il entretient la confusion entre mots et choses. Or même si la tâche n’est pas facile, il faut apprendre à l’enfant à distinguer le plan référentiel et le plan linguistique, l’emploi référentiel d’un signe et son emploi autonyme (en lui soumettant, par ex. des énoncés tels que le chat a quatre pattes, le mot chat a quatre lettres, est-ce que le mot chat a une moustache ? est-ce que le mot chat a une queue ?). La réflexion métalinguistique est une composante essentielle de l’acquisition et l’enfant, dès son plus jeune âge, est capable d’une telle activité. 1.3. Le lexique défini comme l’ensemble des « mots lexicaux » Cette vision, restrictive, du lexique est ancienne et doit être corrigée sur deux points principaux. D’une part, le lexique est constitué de l’ensemble des mots d’une langue, « mots lexicaux» (noms, verbes, adjectifs, adverbes) et mots dits grammaticaux (prépositions, conjonctions, déterminants, pronoms). Aussi, l’apprentissage des prépositions a-t-il toute sa place dans l’enseignement du lexique dans les classes ; par exemple, l’étude de contre permet d’en analyser la polysémie, les constructions (pour est suivi de l’infinitif et non contre), les antonymies (il est contre les sports de combat, il est pour les sports de combat), la synonymie (il est contre les sports de combat, il critique les sports de combat, il est anti-sports de combat). D’autre part, l’unité lexicale ne se réduit pas au mot graphique: aux mots délimités par des critères graphiques (ex. pomme, poule, feu, parti) s’ajoutent les unités polylexicales (composées de plusieurs mots) qui sont identifiées par des critères linguistiques (ex. pomme de terre, poule mouillée, donner le feu vert à, tirer parti de). 1.4. Le lexique, domaine des irrégularités Cette perception du lexique n’est pas rare. Les locuteurs (et l’on peut y inclure, dans les années soixante- dix, certains linguistes) ont tendance à considérer que les mots sont essentiellement soumis aux caprices de l’usage et que le lexique présente plus d’irrégularités que de régularités. On s’attache, alors, dans l’enseignement, à attirer l’attention sur les curiosités et bizarreries lexicales, entretenues par le goût de l’étymologie. Il est vrai que la morphologie lexicale, comparée à la morphologie flexionnelle, comporte une part d’irrégularités (répartition arbitraire de certains suffixes3, formes manquantes4 etc.). Mais les irrégularités ne sauraient masquer les régularités du système morphologique. Le lexique n’est pas une liste d’exceptions. La découverte par l’élève des modèles de formation des mots et leur explicitation est donc une tâche primordiale. Elle permet au locuteur d’interpréter les mots inconnus, conformes à ces schémas, ou de construire des mots nouveaux. Ainsi l’observation des mots suffixés en -oir permet de montrer, d’une part, les règles dérivationnelles du point de vue de la forme et du sens (le suffixe -oir, polysémique, forme des noms dérivés de verbes: noms de lieux, tels fumoir, dortoir, abattoir, noms d’instrument tels arrosoir, hachoir) et fait apparaître, d’autre part, l’irrégularité de mots tels que peignoir (qui n’est ni un salon de coiffure ni un peigne). L’enseignant peut étendre l’investigation au lexique non attesté en demandant aux élèves de créer des dérivés réguliers ou en en proposant : par ex. orientoir (pour GPS), débarbouilloir. La consultation des dictionnaires servira à vérifier s’ils forment double emploi : orienteur (appareil) existe et débarbouillette (petite serviette de toilette, correspondant au gant de toilette utilisé en France) est attesté dans le parler canadien. On pourrait également invoquer Georges Perec qui, décrivant par le menu un appartement, imagine non seulement des pièces qui seraient vouées à des fonctions (un palpoir, un humoir sur le modèle de un parloir, un fumoir) mais aussi, d’une manière plus subversive, des appartements de sept 2 E.Nonnon donne l’exemple du mot carte :« Les sens différents du mot carte sont mis en relation directe avec les images de différentes cartes, comme l’indique la question :" combien d’illustrations, combien de sens différents"?» (2008, 46). 3 tels –aire et –al : aliment / aliment‐aire, gouvernement / gouvernement‐al. 4 clair/ clarté mais sombreté n’existe pas, cécité n’a pas d’adjectif correspondant. © MENJVA/DGESCO ►eduscol.education.fr/vocabulaire Page 2 sur 6 IDEES REÇUES SUR LE LEXIQUE : UN OBSTACLE A L’ENSEIGNEMENT DU LEXIQUE DANS LES CLASSES ALISE LEHMANN pièces dont chacune serait dédiée à un jour: le lundoir, le mardoir, le mercredoir, le jeudoir, le vendredoir, le samedoir et le dimanchoir (Espèces d’espaces, 1974/2000, p.64). La conscience des règles de construction des unités lexicales va de pair avec la reconnaissance des transgressions de ces règles. 1.5. Approche quantitative du lexique La conception de la langue nomenclature (cf.1.1 et 1.2) est souvent associée à la perception du lexique comme stock d’unités lexicales. Cette appréhension du lexique conduit à envisager la compétence lexicale en termes statistiques. On évalue la compétence lexicale de l’élève à la quantité de mots connus et non pas à la qualité des connaissances lexicales; plus l’élève connaît de mots, « meilleur » il est. Dans ces conditions, l’objectif pédagogique, avoué et louable, est de favoriser l’accroissement du nombre des unités lexicales, de tendre à l’« enrichissement du vocabulaire ». Cette conception est reflétée dans les dictionnaires pour enfants qui adaptent le volume de leurs nomenclatures à la segmentation uploads/Management/ alise-lehmann-111202-avec-couv-201567.pdf
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- Publié le Dec 22, 2021
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