Réseaux Dire la réception - Culture de masse, expérience esthétique et communic

Réseaux Dire la réception - Culture de masse, expérience esthétique et communication Laurence Allard Résumé L'auteur tente de jeter un pont entre l'Esthétique de la réception de l'Ecole de Constance et la sociologie des communications de masse. Pour cela elle prend appui sur des réflexions récentes dans le domaine de la théorie esthétique, qui ont explicité la dimension communicationnelle de la réception des œuvres d'art. Cette réception ne peut avoir des implications pratiques que si l'expérience esthétique est conçue de façon suffisamment large pour inclure l'art ordinaire. L'auteur appuie sa discussion sur l'étude des pratiques d'un club de cinéma-amateur. Abstract In this article the author links the aesthetics of reception of the Constance School and that of the sociology of mass communication. She draws on recent thought in the field of aesthetic theory, which defines the communicative dimension of the reception of art. This reception can only have practical implications if the aesthetic experience is broad enough to include ordinary art. Her discussion is based on a study of an amateur cinema club. Citer ce document / Cite this document : Allard Laurence. Dire la réception - Culture de masse, expérience esthétique et communication. In: Réseaux, volume 12, n°68, 1994. Les théories de la réception. pp. 65-84. doi : 10.3406/reso.1994.2621 http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1994_num_12_68_2621 Document généré le 19/10/2015 DIRE LA RÉCEPTION Culture de masse, expérience esthétique et communication Laurence ALLARD Réseaux n° 68 CNET - 1994 65 — — 66 La question de la réception semble devenue centrale depuis quelques années dans de nombreuses études sur les productions de la culture des médias de masse (cinéma, télévision...). En effet, à la croisée des approches critique (« cultural studies ») et empirique (« recherche sur les effets », « uses and gratifications »...), un courant d'études de réception (1) des textes des médias de masse a maintenant sa place, aux côtés des théories de la réception en littérature. Ces études nous semblent contribuer à affirmer la valeur des textes de la culture de masse, principales sources d'expérience esthétique pour la plupart d'entre nous. Néanmoins, la notion de réception que ces études déploient paraît, au regard de celle forgée par certaines théories littéraires, quelque peu appauvrie. En effet, si l'on veut définir le cadre conceptuel d'une esthétique de la culture de masse, il ne fit pas de considérer le rôle actif du public dans le mécanisme de la signification ; il faut aussi montrer la place que les productions de la culture de masse occupent dans la vie de chacun d'entre nous. Ne doit-on pas alors faire retour sur ce qui nous semble l'enjeu principal d'un questionnement en termes de réception : la dimension herméneutique de l'appropriation ? Il s'agit de ce moment où, par-delà la concrétisation du sens par un sujet, le monde du texte rencontre celui du lecteur, pour reprendre des expressions de Paul Ri- coeur (2), où les potentiels sémantiques des œuvres viennent nourrir nos interprétations du monde. Or cette interrogation sur la portée des œuvres pour le monde de la vie du public est au cœur des travaux de Hans Robert Jauss, auteur souvent mentionné par les promoteurs des études de réception des médias. C'est pourquoi nous nous proposons ici d'enrichir conceptuellement l'analyse de la réception dans le champ des médias de masse, en même temps que d'élargir le domaine d'investigation de l'esthétique de la réception jaussienne hors de la sphère des beaux-arts canoniques. Cet article voudrait tenter une « fusion des horizons » de deux traditions : les études culturelles anglo-saxonnes et l'esthétique herméneutique germanique. Nous commencerons par clarifier et enrichir conceptuellement la notion de réception, qui est souvent réifiée dans les études de réception des médias de masse. En réintroduisant la dimension de l'appropriation dans les études de réception des textes de la culture de masse, nous rappellerons aussi comment Jauss, à travers son esthétique de la réception, réhabilite la fonction pratique de l'expérience es- (1) Mes remerciements à Louis Quéré, Marc Relieu, Bruno Bon et Philippe Chanial pour leurs conseils éclairés. Ces études sont menées par des femmes et des hommes issus de courants divers. Du côté des « cultural studies », citons notamment : I. ANG, 1982, Watching Dallas, Methuen, Londres ; J. RADWAY, 1984, Reading the romance, University of North California, qui portent sur le phénomène de la réception en ce qui concerne le genre sexuel. Du côté de la recherche en communication, citons : J. LULL, 1988, Word family watch television, Sage et 1990, Inside family viewing, Routledge ; E. KATZ et T. LIEBES, 1990, The export of meaning, cross cultural readings of Dallas, Oxford University Press, qui ont étudié les variations de la réception en référence aux contextes ethniques, culturels des téléspectateurs. Pour un accès en langue française à ce courant, cf. Hermès 1 1- 12, « A la recherche du public. Réception, télévision, médias », 1992 et Réseaux 44-45, « Sociologie de la télévision : Europe », 1990-91. (2)RICŒUR, 1985. 67 thétique. Ses propositions sont indissociables d'une exigence normative de rétablissement d'une continuité entre sphère esthétique et sphère pratique : c'est en envisageant l'expérience esthétique comme expérience de communication que cet auteur spécifie la dimension pratique de l'art. Le déplacement conceptuel de la réception à la communication, initié par Jauss dans l'esthétique de la réception, sera systématisé, dans une perspective proche de la Théorie de l'agir communicationnel d'Habermas. On pourra ainsi intégrer les objets de la culture de masse au projet de Jauss de rétablir un lien entre sphère pratique et sphère esthétique. Nous montrerons en particulier comment les textes de la culture de masse, en répondant à des questions liées à notre existence quotidienne, nous font communiquer avec autrui ; comment nos expériences esthétiques, indissociablement liées à la compréhension et au jugement de goût, sont concrètement engagées dans le flux de nos conversations ordinaires. La réception : de la littérature à la télévision L'intérêt porté au phénomène de la réception des productions des médias de masse a supposé un changement de paradigme dans les champs respectifs des « cultural studies » anglo-saxonnes et des études empiriques des médias. Il s'agissait de prendre en compte le rôle déterminant du lecteur ou du spectateur dans la construction sociale des significations des textes et de leurs signifiés idéologiques. S'ouvrait ainsi dans les études culturelles l'ère de la « démocratie sémiotique », selon l'expression de John Fiske, après des décennies decritique idéologique d'une culture de massealiénant les pauvres victimes qui constituent son public. On allait désormais considérer les textes des médias comme polysémiques, comme ouverts à des interprétations multiples de la part de téléspectateurs actifs et créatifs. Les études de réception des médias : du public à la réception Ce changement de paradigme peut aussi être interprété comme une convergence entre l'approche critique des études culturelles et l'approche empirique des recherches sur les médias, autour de la question du public (3). En effet, le public n'a longtemps été qu'une figure fantôme, tant dans les études culturelles, longtemps dominées par l'analyse textuelle d'inspiration structuraliste, pour laquelle il n'était que signes à cerner au creux du texte, que dans les recherches sur les médias, où il se trouvait réduit à un taux d'audience ou à un effet quantitativement mesurable des messages médiatiques. Ce n'est que lorsque les chercheurs se sont interrogés sur le rôle du spectateur ou du lecteur dans la production du sens d'un texte audiovisuel qu'ils ont rencontré le phénomène de la réception. Qu'est-ce que la réception pour les études des médias ? Ce fantôme qu'était le public a pris corps ces dernières années, dans de multiples études sur la façon dont tel ou tel public produisait activement le sens d'un texte de la culture de masse et y trouvait un plaisir spécifique. Ces études ont développé des méthodologies propres, visant à saisir la réception in situ, c'est-à-dire dans ses conditions concrètes habituelles. Elles ont utilisé des techniques d'enquête variées, allant de l'observation participante à l'enregistrement de séances de visionne- ment, en passant par l'étude de documents internes, type agendas, ou par des interviews approfondies. Elles ont donné lieu à un courant de recherche composé, en grande partie, d'études ethnographiques de la réception des médias dans ses divers contextes culturels et sociaux. Celles-ci ont privilégié la méthode des entretiens, qui consiste à recueillir, par le biais d'in- (3) SCHRODER, 1990. 68 terviews individuelles ou collectives, des « comptes rendus de réception » (4) pendant ou après la diffusion d'un programme télévisé, d'un film, etc. Cette méthodologie n'est pas sans soulever quelques problèmes, mais le plus problématique est la conception de la réception sous-jacente. En sollicitant des commentaires sur un texte ou sur un programme pour étudier leur réception par un public, ces études privilégient les « verbalisations », traitées comme des prolongements discursifs externes de la réception. Elles considèrent donc celle-ci comme une expérience en soi, ineffable, que seuls des commentaires rendraient acessible au chercheur. Comme l'indiquent Kay Richardson et John Corner, de tels comptes rendus verbaux permettent de « lire la réception » (5). Bref, ces études de la réception des productions de la culture uploads/Management/ allard-laurence-1994-quot-dire-la-re-ception-culture-de-masse-expe-rience-esthe-tique-et-communication-quot-re-seaux-vol-12-nro-68-65-84.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Nov 02, 2021
  • Catégorie Management
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.5712MB