Meredith B ELBIN Les rôles en équipe Traduit de l’anglais par Isabelle Le Garre

Meredith B ELBIN Les rôles en équipe Traduit de l’anglais par Isabelle Le Garrec et Bruno Talvaz, directeurs associés de la société Ockham Publié dans sa version originale sous le titre Team Roles at Work. Traduit de l’anglais avec l’autorisation des éditions Elsevier. © Groupe Eyrolles, 2006 ISBN : 2-7081-3474-4 © Groupe Eyrolles Chapitre 3 L’émergence d’un langage des « rôles en équipe » Lorsque les qualifications requises pour un emploi sont toutes pré- visibles et peuvent être spécifiées précisément, et lorsque les indivi- dus suivent une formation qui leur permet de développer leurs compétences selon la norme souhaitée, il est aisé de faire correspon- dre les hommes et les emplois. Il y a pourtant un inconvénient de taille : il s’agit là d’un scénario fantôme, qui s’applique encore moins qu’ailleurs au monde des managers. Cet univers est si chan- geant qu’il n’est pas rare que le descriptif d’un poste soit modifié avant même qu’un nouveau manager soit en place, ou encore qu’un candidat retenu prenne ses fonctions sans savoir exactement ce qu’elles englobent. La question cruciale à long terme n’est plus de juger des connaissances ou des compétences spécifiques d’un candidat, mais de savoir comment cette per- sonne, choisie parmi un certain nombre de concurrents qualifiés, va se comporter. C’est la raison pour laquelle le langage de rôles en équipe a été créé. Ce furent les incertitudes par rapport aux comportements indivi- duels, en particulier dans le contexte du groupe de travail, qui éveillèrent ma curiosité bien avant que mon projet de recherche ne La question cruciale à long terme n’est plus de juger des connaissances ou des compétences spécifiques d’un candidat, mais de savoir comment il va se comporter une fois embauché. 44 Les rôles en équipe © Groupe Eyrolles se dessine. Et lorsqu’il se présenta à Henley, cette même curiosité anima la poursuite de nos études expérimentales sur les équipes, pendant une période qui s’étendit en tout sur neuf années. Le collège d’Henley lui-même, établi dans une imposante demeure sur les rives de la Tamise et autoproclamé « le plus ancien collège d’Europe », s’était senti quelque peu déstabilisé par les différences d’apprentissage observées au sein de ses groupes d’étude. Ces grou- pes étaient composés de dix ou onze managers, issus d’horizons très différents, ce qui leur permettait de disposer d’une gamme très éten- due de compétences et d’expériences professionnelles. Ils exami- naient ensemble des points importants, faisaient appel à des témoignages, exploraient d’autres ressources et soumettaient leurs rapports à la direction. À l’évidence, la formule fonctionnait. Les « membres », comme ils s’appelaient, témoignaient de leur évolu- tion personnelle au collège. De nombreux groupes d’étude trouvè- rent l’expérience de l’apprentissage collectif si gratifiante qu’ils convinrent de poursuivre leur association et d’organiser un dîner pour se réunir chaque année à Londres. Le problème tint aux exceptions : dans certains groupes, l’alchimie n’avait pas lieu. À la fin de la « session », lorsque les cours étaient terminés, les membres de ces groupes étaient plutôt ravis à l’idée de ne jamais se revoir. Le collège ne sut jamais pourquoi il en était ainsi. Je n’ai pas l’intention de reprendre les études présentées dans mon précédent ouvrage – Management Teams - Why They Succeed or Fail – mais plutôt de présenter leurs conclusions générales. Quoi qu’il en soit, avant de nous y atteler, deux points essentiels doivent être précisés concernant la nature de ce travail. Première- ment, l’étude a débuté sans a priori. La trame de l’enquête a été créée de manière à permettre aux facteurs clés de ressortir, ce qui prit énormément de temps. Deuxièmement, l’établissement d’une doctrine reposait avant tout sur l’acquisition d’une capacité à pré- dire les performances des équipes. C’est en effet le test ultime de toute théorie sur le sujet. Qui plus est, nous soutenons que c’était la L’émergence d’un langage des « rôles en équipe » 45 © Groupe Eyrolles seule façon d’avancer. En effet, la nature même du sujet, extrême- ment variée, rendait impropre toute comparaison entre des équipes par trop dissemblables. Nous organisâmes un jeu d’entreprise. Le lundi matin, une fois l’identité du « président » connue, nous mettions sous enveloppes scellées nos prévisions concernant les résultats, et le vendredi après- midi, nous comparions ces pronostics aux résultats financiers obte- nus. Pour établir nos prévisions, nous faisions passer une batterie de tests psychométriques à presque tous les membres des équipes. Une fois l’exercice terminé, des observateurs professionnels, que nous affections à chacune des équipes, nous apportaient des informations complémentaires. Pour résumer brièvement nos principales découvertes, il apparut que, dans chaque équipe, certains individus endossaient des fonc- tions précises, et que l’équilibre entre les différents rôles exerçait un effet prépondérant sur l’effica- cité de l’équipe. Un déséquilibre entre les rôles aboutissait à des résultats médiocres. Des équi- pes constituées de personnes tout à fait compétentes n’obte- naient pas forcément de bons résultats, car elles pouvaient ne pas être équilibrées. Cependant, une équipe avait aussi besoin de gens habiles pour réussir. La composition de l’équipe, un sujet pres- que totalement ignoré par les penseurs contemporains, s’avérait donc d’une importance cruciale. Les comportements que les gens adoptent se déclinent à l’infini, mais la gamme des comportements utiles, qui contribuent effective- ment à la réussite de l’équipe, est en revanche limitée. Ces compor- tements peuvent être rassemblés en un nombre défini de groupes, que nous avons appelés les « rôles en équipe ». Dans chaque équipe, certains individus endossent des fonctions précises. L’équilibre entre les différents rôles exerce un effet prépondérant sur l’efficacité de l’équipe. 46 Les rôles en équipe © Groupe Eyrolles L’évolution continue des rôles en équipe Les neuf rôles en équipe actuellement utilisés sont présentés sur la figure 3.1. Ils diffèrent à certains égards des rôles en équipe précé- demment identifiés dans l’étude Henley. Deux de ces rôles ont été rebaptisés, en grande partie pour faciliter leur compréhension. Prési- dent est devenu Coordinateur et Ouvrier a été changé en Organisa- teur. Président avait été choisi au départ pour désigner le rôle de la personne qui devait effectivement présider les opérations. Il fallut finalement changer de mot pour trois raisons : • on estima que les implications de ce statut étaient trop impor- tantes pour de jeunes managers ; • aux yeux de certaines personnes, le terme était considéré comme sexiste ; • enfin il y avait des risques de confusion avec le titre de celui qui est à la tête de l’entreprise. Ouvrier, à l’inverse, référait à un statut trop inférieur et était assez mal accepté par les cadres dirigeants ainsi décrits, c’est pourquoi il fut finalement remplacé par Organisateur. Bien évidemment, les autres appellations choisies soulevèrent aussi des polémiques. Certains préféraient des expressions au sens, selon eux, plus évident : Créateur d’idées à la place de Concepteur, ou Criti- que à la place de Priseur. Chaque terme plus compréhensible avait ses inconvénients, à savoir un risque de confusion et la perte du véritable sens du concept. Il est vrai qu’un Concepteur apporte des idées nouvelles, mais un Promoteur aussi. Cependant ce dernier est très différent du premier, et il opère d’une tout autre façon, en tirant ses idées du dialogue et en les développant plutôt qu’en les décou- vrant lui-même. Il est ainsi adapté à un autre genre de travail. Criti- que se comprend facilement, mais est connoté très négativement. Or l’aspect le plus positif de ce rôle au sein de l’équipe est un équili- bre entre impartialité et réflexion, voilà pourquoi Priseur est plus approprié que Critique. L’émergence d’un langage des « rôles en équipe » 47 © Groupe Eyrolles Le problème des appellations de poste ne pourra toutefois jamais être tout à fait résolu, car même si l’anglais est la langue internatio- nale la plus utilisée, l’anglais standard n’existe pas. Ainsi à l’intérieur même du Royaume-Uni, un volumineux dictionnaire comprenant des termes anglais exclusivement utilisés en basse Écosse a été publié. Par ailleurs, ces nuances ne concernent pas seulement le jar- gon professionnel, mais également le langage courant. En anglais américain par exemple, Plant (traduit par Concepteur dans la version française) peut avoir de sombres implications, car le mot désigne un espion, quelqu’un qui observe les autres pour le compte de ses supé- rieurs. L’alternative privilégiée aux États-Unis est Innovator (Innova- teur). Cependant, les Innovators ont non seulement des idées, mais aussi de l’initiative, une qualité davantage associée aux Propul- seurs… Le dilemme reste donc entier : faut-il ou non adopter des mots simples appartenant au langage courant de chaque culture, au risque d’en subir les effets secondaires ? Les mots familiers sont cer- tes plus facilement compréhensibles et mémorisables, mais ils sont aussi porteurs de sens indésirables et d’idées reçues difficiles à effa- cer. Compte tenu de ce danger, je préfère adopter des termes moins familiers, qui peuvent être imprégnés de leur sens propre. C’est la raison pour laquelle certaines éditions de mes ouvrages en langues étrangères ont conservé les termes anglais d’origine. La force de la contribution d’un rôle est communément associée aux points faibles qui lui uploads/Management/ cc61da9f89.pdf

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  • Publié le Apv 17, 2021
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