CHAPITRE 11 COMPRENDRE LE « LEADERSHIP AFRICAIN » ? QUELQUES CLÉS DE LECTURES P

CHAPITRE 11 COMPRENDRE LE « LEADERSHIP AFRICAIN » ? QUELQUES CLÉS DE LECTURES POSSIBLES CONCEPTUALISÉES À PARTIR D’EXPÉRIMENTATIONS AU CAMEROUN Raphaël NKAKLEU et Jean-Michel PLANE « Attends d’avoir traversé la rivière pour dire au crocodile qu’il a une bosse sur le nez. » Proverbe kenyan © Éditions EMS - Épreuve auteur - Ne pas diffuser PARTIE 1 - LES RACINES ET LES LIANES DES SUCCÈS AFRICAINS 147 Que dire du « leadership africain » dans les organisations et de ses spécificités en Afrique subsaharienne en particulier au Cameroun ? Ces dernières années, les colloques et les journées de recherche autour de cette problématique sont de plus en plus nombreux ; de façon plus générale, le leadership fait l’objet depuis quelques années d’un certain regain d’intérêt (Greenleaf, 1996 ; Fry et Altman, 2013 ; Plane, 2015) et même d’un véritable renouveau en sciences de gestion (AIMS à Dakar, 2019). Paradoxalement, le leadership n’a pas toujours eu le succès escompté en Afrique francophone. Le leadership, on le sait est un élément majeur des pro­ grammes nord-américains que les anglo-saxons appellent le comportement orga­ nisationnel (Organization Behavior). Dans la perspective d’un monde qui change et de la complexité des mutations contemporaines (le monde subit actuellement une crise sanitaire), la question de la réinvention du leadership, et en particulier de la formation des leaders africains se pose plus explicitement notamment en vue de tendre vers des modes de management plus participatifs et moins paternaliste (voir par exemple le succès croissant des programmes doctoraux DBA en Afrique). Par ailleurs, les idées de responsabilité et d’engagement moral se développent : les mo­ des de gouvernance et de leadership en Afrique semblent revêtir ainsi davantage une responsabilité sociétale. Comment former les leaders africains responsables de demain ? L’avenir d’un pays n’est-il pas conditionné en partie par sa capacité à produire des modes de gouvernance plus inclusives et des leaders plus spirituels aux valeurs morales affirmées ? Les différentes analyses de la littérature existantes mais aussi plusieurs études de cas montrent un panorama assez vaste d’approches et de théories stimulantes intellectuellement et utile pour le management des or­ ganisations. Pour poser clairement l’idée d’un renouveau du « management du management » (Pérez, 2003) dans cette contribution à partir d’une étude de cas en contexte africain, il nous semble important de définir le leadership à partir des travaux de Bennis puis de développer les approches promouvant un leadership spi­ rituel de Barrett et Fry. Dans cette perspective, la recherche sur le leadership spi­ rituel, réputé (plus) responsable et performant, nécessite une gouvernance qui fa­ vorise l’action collective et l’atteinte des objectifs stratégiques et organisationnels. Dès lors le défi des managers et/ou des leaders est de faire évoluer leurs pratiques de management de leurs relations avec leurs subordonnés, comme le suggère la théorie de leaders/members exchange (LMX). Dans ces conditions, l’identification des spécificités du leadership spirituel africain amène à questionner la pertinence des modes de management en vigueur. Nous présentons dans ce chapitre les fon­ dements et principes clés du leadership spirituel et soutenons qu’il est susceptible de « cultiver » l’adhésion du personnel ainsi que leur forte implication dans les organisations, notamment en contexte culturel africain. Nous développons ainsi la thèse – à partir d’une analyse contextualiste – que les pratiques du leadership spirituel s’inscrivent dans le cadre d’une hybridation qui résulte de l’associa­ tion entre une gestion invisible socialement ancrée dans les cultures locales des acteurs et un management occidental plus formalisé. 1. Le leadership : prolégomènes et principes d’action Dès 1985, Bennis publie avec B. Nanus : Leaders : Strategies for Taking Charge, ouvrage au sein duquel il avance l’idée novatrice suivant laquelle les leaders ont © Éditions EMS - Épreuve auteur - Ne pas diffuser AFRICA POSITIVE IMPACT 148 des capacités d’abstraction, de conceptualisation tout en citant le fameux apho­ risme cher à Winston Churchill : « L’empereur du futur sera l’empereur des idées ». En 1989, W. Bennis publie son livre culte : On Becoming a Leader, ouvrage de référence sur le leadership à travers lequel il analyse le cas de près de quatre- vingt-dix personnalités américaines. Suivant l’auteur, il est important de ne pas assimiler le leader au manager. Pour lui, deux idées sont essentielles : « on ne naît pas leader, on le devient » et « le manager sait ce qu’il doit faire alors que le leader sait ce qu’il faut faire ». Le leader aurait ainsi des compétences distinctives principalement en matière de créativité, de vision et de capacité de mobilisation. Son questionnement le conduit à s’interroger sur les possibilités d’identifier une méthodologie d’apprentissage au leadership. Bennis observe qu’il existe quatre compétences clés communes aux différents leaders qu’il a pu étudier : la capacité de vision, la qualité des communications, la confiance et le rapport à soi. Cette dernière dimension intègre certainement déjà l’activité spirituelle mais n’est pas du tout explicitée par l’auteur. Selon lui, le leadership désigne l’influence d’une personne et est défini comme la capacité d’un individu à avoir une vision globale, de la traduire en action concrète tout en la stabilisant et en la maintenant dans le temps. On est bien dans une logique de performance. Bennis évoque l’idée qu’un leader est un architecte social ayant une capacité de traduction permettant de faire partager au plus grand nombre les valeurs de l’or­ ganisation et les objectifs à atteindre. Le leader produit un ciment émotionnel avec ses collaborateurs, une capacité de rapprochement provoquée entre diffé­ rents niveaux hiérarchiques. Il insiste également sur le rapport à soi, c’est-à-dire davantage la capacité à se gérer soi-même que la spiritualité en tant que telle. L’auteur souligne l’idée qu’il est fondamental qu’un leader ait une bonne connais­ sance de lui-même, de ses qualités mais aussi de ses défauts. Sa personnalité est orientée vers une capacité à relever des défis, à gérer des contradictions mais aussi à prendre des risques. Finalement, les leaders se caractérisent par leur enga­ gement au travail, leur capacité d’apprentissage et, généralement, sont capables de tirer des enseignements constructifs de leurs propres échecs. Bennis est parti­ culièrement frappé par la très grande capacité qu’ont les leaders à assumer leurs échecs qu’ils peuvent parfois réussir à transformer, d’une manière ou d’une autre, dans un sens qui leur est plus favorable. Cette démarche reste beaucoup moins courante en France ou en Afrique francophone (Cameroun, Gabon notamment). 2. Essai de caractérisation d’un leadership spirituel au Cameroun 2.1. À la recherche d’un leadership spirituel Des recherches récentes présentent le leadership sous un angle nouveau en renversant la perspective d’analyse. Fry est l’un des premiers chercheurs à étu­ dier l’impact de la spiritualité sur les pratiques de management. Il s’appuie sur une méthodologie approfondie et de très nombreuses observations. Selon lui, le leader spirituel est avant tout humble et capable de s’effacer dans un contexte organisationnel donné. Il éclaire le chemin des collaborateurs davantage qu’il impose des solutions prédéterminées. Les résultats de ses recherches (2003- 2014) montrent que la spiritualité est un déterminant majeur sur la qualité de © Éditions EMS - Épreuve auteur - Ne pas diffuser PARTIE 1 - LES RACINES ET LES LIANES DES SUCCÈS AFRICAINS 149 vie au travail, l’implication organisationnelle et la performance. La spiritualité trouve son fondement chez une personne dans sa foi, son éducation morale ou son altruisme. Plusieurs auteurs ont travaillé sur les fondements du leadership spirituel et montrent qu’il est fondamental de se connaître soi-même, d’être al­ truiste, de pratiquer une méditation et d’être une personne de confiance (Kurth, 2003). En France, Voynney-Fourboul réalise des recherches importantes sur le sujet et montre l’importance dans cette approche de la posture d’ouverture et de tolérance des autres. L’auteur insiste aussi sur le déficit d’humanisme dans les organisations et indique que le leadership spirituel s’analyse d’abord à partir de ce constat. Il s’agit ainsi de faire preuve d’humanité, de prendre soin des autres et d’adopter une attitude empathique. Pour ce faire, il y a probablement lieu de dépasser les préjugés et les croyances d’une société française entre peu sensible à la spiritualité et à sa portée opérationnelle et même stratégique dans les orga­ nisations (Voynnet-Fourboul, 2014). En définitive, le leadership spirituel est une forme de direction visant à reconnaître la dignité de chacun, à réconcilier vie pri­ vée et vie professionnelle mais aussi à aider les autres à s’engager dans le travail et à produire des efforts (Fry, 2003 ; Avery et Bergsteiner, 2011 ; Fry, 2013). Cette approche valorise les enjeux personnels des autres et implique de « rêver et de faire rêver » (Voynnet-Fourboul, 2013). 2.2. Un management combinant bienveillance et performance économique dans des organisations au Cameroun Doté de capacités d’introspection (Plane, 2000, 2019) et de discernement remar­ quables, le leader spirituel présente une pleine conscience de lui-même et se pose tel un sage au sein d’une organisation inévitablement traversée par des conflits d’intérêts et des rivalités. Sa posture est humaniste, ouverte aux innovations et aux changements et fondée sur le « dévouement créatif » (Voynnet-Fourboul, 2013). Nous présentons les pratiques d’une dirigeante d’une petite entreprise uploads/Management/ chapitrenkakleu-plane.pdf

  • 35
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Dec 11, 2022
  • Catégorie Management
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.5511MB