S. Pit Corder La sollicitation de données d'interlangue In: Langages, 14e année

S. Pit Corder La sollicitation de données d'interlangue In: Langages, 14e année, n°57, 1980. pp. 29-38. Citer ce document / Cite this document : Corder S. Pit. La sollicitation de données d'interlangue. In: Langages, 14e année, n°57, 1980. pp. 29-38. doi : 10.3406/lgge.1980.1835 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1980_num_14_57_1835 S. Pit Corder Université d'Edimbourg LA SOLLICITATION DE DONNÉES D1NTERLANGUE * L'emploi du terme « interlangue » (IL) dans le titre de cet article présuppose que, à tout moment de son expérience d'apprentissage, quelqu'un qui apprend une langue étrangère (LE) « possède une langue » en ce sens que son activité langagière obéit à des règles, et que l'on peut par conséquent, en principe, la décrire en termes linguis tiques. Il est bien évident que sa langue change constamment et que les règles qu'il pos sède sont perpétuellement sujettes à révision, ce qui n'en rend la description que plus ardue, sans pour autant invalider le concept de « langue de l'apprenant ». L'étude des énoncés de l'apprenant au moyen de l'« analyse d'erreurs » — cette appellation est trompeuse — tend à confirmer un tel constat. Son comportement lan gagier est, à certains égards, cohérent à un moment donné de son développement, mais à d'autres égards non-cohérent. Son langage, en tant que moyen de communic ation, est évidemment appauvri ou déficient. Un tel phénomène est naturellement prévisible chez un individu qui doit élaborer une façon nouvelle d'exécuter des con duites familières. Si nous envisageons d'étudier la langue de l'apprenant de la même façon qu'une langue naturelle inconnue ou non-décrite, nous devons alors considérer l'apprenant comme un « locuteur natif » de sa propre langue et, théoriquement du moins, comme le seul locuteur natif de cette langue. Il nous faut tenter de décrire cette lan gue dans ses propres termes, du moins dans un premier temps, et non pas en termes d'une autre langue. Si c'est sa compétence grammaticale, selon CHOMSKY (ou sa compétence transitoire, comme je l'ai appelée dans un autre article *) que nous décri vons, nous devons aussi admettre qu'il possède, sur la grammaticalité de sa langue, des « intuitions » qui sont potentiellement accessibles à l'investigation. Le fait que lui-même puisse les considérer comme des intuitions par rapport à la langue cible n'est pas pertinent. Bien sûr, dans la pratique, en raison de la pauvreté des données recueillies chez un apprenant unique, nous puisons normalement nos données chez un groupe d'apprenants, présumé « homogène », tout comme un linguiste décrit la compétence du « locuteur-auditeur natif idéal dans une société homogène », en « idéalisant » nos variations individuelles. Or, si nous adoptons une telle approche, que j'estime appropriée pour une recherche sur l'apprentissage des langues étrangèr es, il est clair alors que, par définition, l'apprenant, en tant que locuteur natif de son propre dialecte idiosyncrasique 2, ne produit pas d'erreurs, bien qu'il puisse faire, comme tout locuteur, des « lapsus » à l'oral ou à l'écrit. Lorsque nous parlons * Traduit, avec la permission de l'auteur, de « The Elicitation of Interlanguage », dans SVARTVIK, J. (éd.), Errata. Papers in Error Analysis. Lund, Gleerup, 1973, pp. 36-47. 1. Voir dans ce même numéro Que signifient les erreurs des apprenants ? (NUT). 2. Voir dans ce même numéro Dialectes idiosyncrasiques et analyse d'erreurs (NDT). 29 d'erreurs d'apprenants, nous appliquons manifestement à leur langue des intuitions de grammaticalité propres aux locuteurs de la langue cible ; nous admettons donc que l'apprenant n'est pas encore un locuteur de cette langue. Sinon, cela reviendrait à dire qu'un locuteur francophone s'exprimant en français parle un anglais erroné ou, pour rendre l'analogie plus claire, qu'un locuteur créolophone des Antilles, lorsqu'il parle sa langue, parle un anglais standard erroné. D'un point de vue pratique, de bonnes raisons plaident pour une telle approche : l'apprenant, en fin de compte, est censé acquérir les règles de la langue-cible (le locu teur créolophone, lorsqu'il parle créole, n'est pas censé essayer de parler l'anglais standard). Notre but n'est-il pas d'identifier les différences entre les deux ensembles de règles et de découvrir ce qu'il reste à l'apprenant à apprendre, de façon à effec tuer les traitements appropriés ? Et, plus généralement, de spécifier les principales tâches d'apprentissage pour un groupe donné d'apprenants, afin d'utiliser ces don nées pour bâtir nos programmes et nos matériaux pédagogiques ? De ce point de vue, l'analyse d'erreurs (AE) constitue une branche de la linguistique comparative appliquée (ou linguistique contrastive, comme on a malheureusement coutume de l'appeler). Mais, à y regarder d'un peu plus près, nous verrons que nos problèmes ne s'en trouvent pas résolus. Nous savons maintenant que l'analyse contrastive reste insatis faisante lorsqu'elle consiste à appliquer aux données d'une langue le cadre descriptif d'une autre langue ; elle requiert au contraire que soit établi un cadre descriptif com mun, un ensemble de catégories et de relations communes aux deux langues et « d'orientation neutre 3 ». J'estime donc qu'il n'y a pas de différence méthodologique entre l'analyse d'erreurs et l'étude de la langue de l'apprenant. La différence, si différence il y a, tient plutôt à l'objet de la comparaison. Dans l'analyse d'erreurs, on compare la lan gue de l'apprenant avec la totalité de la langue-cible, ou plus exactement avec ce qui, de cette langue cible, a été après sélection incorporé au programme. Dans l'étude théorique de l'apprentissage des LE, on s'intéresse au contraire à la relation à un moment donné entre ce qui a été enseigné jusqu'alors et la connaissance de l'appre nant à ce moment de l'apprentissage. Il s'agit, dans le premier cas, d'une comparai son prospective et, dans le second, d'une comparaison rétrospective. Cette idée demande à être développée : si nous postulons chez l'apprenant un « dis positif d'apprentissage », nous devons alors, faute de pouvoir étudier directement ce dispositif en le démontant, en inférer la nature à partir d'une comparaison entre ce qui y entre et ce qui en sort, c'est-à-dire, à un stade donné, entre le programme enseigné et la connaissance de l'apprenant (on remarquera que, tout au long de cet article, je limite mes considérations à l'acquisition de la compétence grammaticale, en grande partie parce que nous ne comprenons qu'imparfaitement la nature d'une compétence de communication). S'il n'y a pas une relation biunivoque entre l'entrée et la sortie, ce qui est évidem ment le cas, cette différence même nous informe sur la nature du dispositif, et peut nous signaler la nécessité d'une description systématique des notions d'entrée et de saisie. On constate que les apprenants n'apprennent pas immédiatement, dès la pre mière exposition, ce que le programme d'un enseignant prescrit comme devant être appris. Cela peut s'expliquer de deux façons : a) la nature des données (de l'entrée) ou la façon de les présenter est défectueuse, ce qui en empêche la saisie par l'appre nant ; b) les données sont adéquates mais l'état du dispositif en rend la saisie impos- 3. C'est-à-dire non pas « d'une langue vers l'autre » (NDT). 30 sible. En d'autres termes, certaines choses doivent être déjà connues de l'apprenant avant qu'il puisse en apprendre certaines autres. Et si l'on tente de lui enseigner quelque chose avant qu'il n'y soit prêt, cela provoquera des confusions, des hypothès es fausses et des « erreurs » importunes. Il semble bien que les apprenants soient dotés d'un programme cognitif qui leur sert à traiter les données et que l'enseignant ne peut contrôler, bien que celui-ci dispose d'un certain nombre de techniques pour contrôler les processus d'apprentissage. Il se peut que certaines de ces techniques entravent le bon déroulement du programme de l'apprenant. Il se peut aussi que l'ordre de présentation des données ne corresponde pas aux prérequis logiques de l'apprenant. Il se peut enfin que certaines données, présentées trop tôt, ne puissent être saisies, ou à l'inverse que certaines ne soient pas disponibles au moment où l'ex igeraient les besoins logiques de l'apprenant. L'une des principales tâches de la recherche sur les processus d'apprentissage d'une LE consiste à découvrir la relation entre la nature des données présentées et l'état de la grammaire de l'apprenant. Ce dispositif d'apprentissage est dynamique, c'est un processus d'interaction entre l'apprenant et les données fournies par l'enseignant et le matériau pédagogique. Faute de connaître la progression optimale de présentation des données, il est néces saire de procéder à une série de vérifications régulières de la grammaire de l'appre nant рош- découvrir l'effet de l'exposition aux données sur l'état de sa grammaire. On pourrait ainsi arriver à déterminer une progression logique optimale des données pour un apprenant ou un groupe particulier d'apprenants. Une telle démarche est indispensable car ce que l'apprenant connaît déjà du langage humain (sa Ll ou toute autre langue qu'il possède) fait partie de son dispositif d'apprentissage. Ce qui est requis, c'est donc une étude longitudinale des apprenants, soit exposés à des program mes d'enseignement (apprenants « guidés »), soit hors de tout programme (apprenants « non guidés »). Cette dernière étude ressemblerait aux recherches sur l'acquisition du langage enfantin, à cette différence près que nous n'avons actuellement, pour l'apprentissage « non-guidé », que uploads/Management/ corder-la-sollicitation-de-donnees-d-x27-interlangue.pdf

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  • Publié le Nov 29, 2022
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