1 L’analyse de film vers le troisième genre de connaissance. « Il y a en effet
1 L’analyse de film vers le troisième genre de connaissance. « Il y a en effet un chemin qui permet le retour de l'imagination à la réalité et c'est l'art. » Sigmund Freud1 En préalable à l’analyse du film, il nous faut nous positionner sur trois questions qui se recoupent. 1 Dans le cadre de l’analyse filmique, comment se situer épistémologiquement pour que le savoir qui émane de la psychanalyse rencontre au mieux l’œuvre filmique ? 2 - Corrélativement : quels sont les constituants essentiels du cinéma dont il faut tenir compte lorsqu’on analyse un film ? 3 - Enfin, par quel cheminement l’œuvre filmique - de fiction - passe-t-elle pour saisir, pour dévoiler quelque chose du réel ? Pour découvrir quelque chose des conflictualités psychiques ? Il s’agit pour nous d’identifier, synthétiquement, ce qui nous apparaît essentiel pour que l’analyse de film soit le plus fructueuse. Rappelons, selon la formule connue de Lacan, « la schize de l’œil et du regard »2, soit l’impossibilité de réduire le regard à la vision. Le regard est subjectif, en cela il convoque l’intelligence, c’est-à-dire la faculté de comprendre et de connaître ce qui a été recueilli par les sens (oreilles, yeux). L’étymologie d’intelligence c’est « intelligentia, famille de legere « recueillir » et « recueillir par les sens (oreilles, yeux) »3 Le regard c’est donc l’intelligence perceptive et analytique, c’est ce qui voit au-delà des apparences. Ce qui, au-delà, en deçà ou à côté du visible peut ”voir” l’invisible qui habite le visible, ou qui est masqué par le visible. l’un des textes majeurs qui rencontre notre propos et qui constituera un point d’appui essentiel sera le chapitre XIII de la dernière version de « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » de Benjamin. Cinéma et psychanalyse : Une double focale ? 1895 est l’année d’une double naissance, celle du cinéma et de la psychanalyse. Avant que Freud ne se tourne de manière décisive vers la psychopathologie des symptômes 1 Freud, S. (1916-17). Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1974, p. 354. 2 J. Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 65. 3 Robert 2008 2 hystériques puis vers les rêves, il est neurologue et fait des recherches neurophysiologiques (cocaïne, neurones, moelle, etc.). Avant que les frères Lumière ne projettent le premier film de l’histoire du cinéma4, Plateau, Muybridge, Marey et Edison, physiciens et physiologistes, construisent des kinétoscopes et autres kinétographes visant à décomposer et à analyser scientifiquement le mouvement du corps des hommes comme de celui des animaux afin de « percer ce secret familier qu’est la dynamique des corps ».5 Il est d’emblée question, à l’aurore de ces deux inventions, du corps et de ses mouvements. Plus tard, toutes deux tordront également le « cou à une certaine rhétorique positiviste, pour ouvrir à l’homme imaginaire de l’ère moderne leurs deux perspectives parallèles ».6 C’est sur ce parallélisme qu’il nous faut nous positionner. En géométrie le propre des parallèles c’est qu’elles forment des lignes qui ne se rencontrent pas. Au sens géométrique de « parallèle » - qui est le premier sens attesté7 - il nous faut préférer partir d’un sens plus tardif ainsi que de l’étymologie du terme. Ce sens plus tardif est figuratif et l’on le devrait à Rousseau : « 1778 fig. «qui suit, se développe dans la même direction» (J.- J. Rousseau, Lettre à Mr Moultou, Corresp., t.V, 154 ds Pougens ds Littré) ». Quant à l’étymologie grecque elle convoque le regard : « παράλληλος 8 «placé en regard, parallèle » » (CNRTL). Placer deux regards, parallèles, qui se suivent et se développent dans la même direction. Voilà peut-être le chemin à suivre. Dans quelles directions vont ces deux parallèles ? Je dirais que dans leurs plus beaux développements elles vont vers l’émancipation. Cela nous le retrouverons dans l’analyse du film. Et qu’est-ce qu’elles regardent ces ”parallèles” ? Le cinéma qui nous intéressera regarde, comme la psychanalyse mais différemment, l’être humain et ses conflits. Pour autant la question de la rencontre reste entière. Comment ces parallèles peuvent-elles se rencontrer dans une composition ? Comment la conjugaison de ces deux regards posés sur l’homme peuvent-ils nous éclairer au mieux ? Comment ne pas appliquer, plaquer les théories métapsychologiques, soit, soumettre l’œuvre cinématographique à une théorie préexistante et donc figée ? Qu’est-ce qui permet qu’un 4 La Sortie de l'usine Lumière est généralement considéré comme étant le premier film de l'histoire du cinéma. Il fut projeté en public au Salon indien du Grand Café à Paris, le 28 décembre 1895. 5 Dadoun, R. (2000). Cinéma, psychanalyse et politique, Paris : Séguier, p. 23. 6 Ibid. 7 CNRTL 8 Parallèlos. 3 assemblage, qu’une combinaison, puisse s’opérer entre ces deux regards ? Corrélativement, et surtout, pouvons-nous identifier des points de jonction, de complémentarité, entre une théorisation en mouvement, s’originant d’une pratique thérapeutique, qui nous a portés à ne plus voir l’homme de la même manière et l’art cinématographique qui en a fait tout autant, mais différemment ? Si l’un des ces champs déchiffre le réel par le théorique et l’autre par l’image- mouvement 9 tous deux s’appuient avant tout sur le réel : pas de métapsychologie sans clinique, pas de cinéma sans corps réel. Les deux donnent à regarder le réel tel qu’il ne pouvait être vu auparavant. « Le cinéma a enrichi notre attention par des méthodes que vient éclairer la théorie freudienne. Il y a cinquante ans on ne prêtait guère attention à un lapsus échappé au cours d'une conversation. Que ce lapsus ouvrît d'un seul coup de profondes perspectives sur une conversation qui semblait se dérouler de la façon la plus superficielle, fut sans doute un cas exceptionnel. Depuis la Psychopathologie de la vie quotidienne, les choses ont bien changé. En même temps qu'elle les isolait, la méthode de Freud a permis l'analyse de réalités qui jusqu'alors se perdaient, sans qu'on y prît garde, dans le vaste flot des choses perçues. En élargissant le monde des objets auxquels nous prenons garde, dans l'ordre visuel et désormais également dans l'ordre auditif, le cinéma a eu pour conséquence un semblable approfondissement de l’aperception. »10 La psychanalyse comme le cinéma font voir, non au sens de l’œil mais du regard, de la modification des regards. Ils font même voir de manière exacerbée ce qui bien souvent ne pouvait être vu. L’une, via le pathologique, permet de mieux voir le ”normal”, la psyché dans son ensemble, l’autre par l’image-mouvement permet de voir et revoir les mouvements du corps-psyché - et les interactions entre les corps-psyché - souvent insaisissables dans le réel. Si leur objet de recherche peut bien souvent être le même : les mouvements somato- psychiques, leurs prismes diffèrent. La métapsychologie appréhende d’abord par la raison, le cinéma, en tant que septième art, par l’imaginaire créatif.11 C’est de prédominance dont il est question ici et non d’antinomie. Ces deux prismes, lorsque la spécificité de l’un comme de l’autre est reconnue, peuvent être puissamment complémentaires. 9 Deleuze Gilles, L’image-mouvement, Paris, Minuit, 1983. 10 Benjamin W. « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », 1939, in Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, pp. 303-304. 11 Imaginaire créatif ou radical au sens de Castoriadis. J’en donne une définition plus loin. 4 Les frères Pierre-Jean Bouyer, scénariste, et Sylvain Bouyer, psychanalyste et universitaire, concluent leur récent article « Cinéma et psychanalyse » ainsi : « Un travail reste peut-être à entreprendre sur les rapports complexes qui se tissent entre la psychanalyse et le cinéma, au-delà d’une seule application des concepts psychanalytiques au septième art ».12 Pour mettre une pierre à cet édifice il nous faut préciser les impasses de la psychanalyse appliquée et de ses succédanés. Comment considérés les œuvres cinématographiques comme des « alliées » et non comme des objets13. De l’impasse de la psychanalyse appliquée et de la limitation du second genre de connaissance Rappelons-le brièvement, ces deux termes accolés, « psychanalyse » et « appliquée », posent question tant dans leur terminologie que dans l’usage qui peut en découler. Appliquer suppose « mettre (une chose) sur (une autre) de manière à faire toucher, recouvrir, faire adhérer ou laisser une empreinte »14 ; il s’agit de placer, de poser, d’étaler, d’étendre, de superposer voire de plaquer. Cette terminologie peut signifier et induire la mainmise d’un savoir constitué sur un objet passif qui n’aurait, dès lors, aucun effet en retour, aucun effet de surprise. Cet effet de placage abstrait, de rapport de domination sur son objet, cette potentielle confusion entre le concept et la chose ainsi que cette assignation de l’objet à la passivité, on a pu les voir à l’œuvre quelquefois : le psychanalyste sait et c’est avec ce savoir qu’il va dévoiler l’invisible du récit. Dans un tel positionnement épistémologique et méthodologique, au mieux on éclaire le concept, ce qui peut parfois être heuristique, ce faisant on s’assure de sa maîtrise, au pire on dévoie le concept, qui devient valise, qui n’est plus là pour répondre à une question, uploads/Management/ cours-sur-l-x27-analyse-filmique-a-partir-du-chapitre-ds-la-these 1 .pdf
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- Publié le Aoû 25, 2022
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