1 Télétravail et conciliation vie privée-vie professionelle : une question de g
1 Télétravail et conciliation vie privée-vie professionelle : une question de genre ? Auteur(s) : Claire Dupont, Romina Giuliano, Cécile Godfroid Affiliation(s) : Université de Mons – Institut de recherche human Org Coordonnées : 20 Place du Parc, 7000 Mons (Belgique) 2 TELETRAVAIL ET CONCILIATION VIE PRIVEE-VIE PROFESSIONNELLE : UNE QUESTION DE GENRE ? Le télétravail est souvent présenté comme une des solutions majeures pour concilier au mieux vie privée et vie professionnelle, notamment via une réduction des temps de trajet (Baruch, 2001) et une plus grande flexibilité et liberté dans la manière d’organiser ses journées afin de mieux se calquer sur la temporalité et les besoins de la vie personnelle et familiale (Nätti et al., 2011). Il contribuerait dès lors à réduire le conflit inter-rôle pouvant subvenir « lorsque l’individu perçoit les attentes de son rôle familial comme contradictoires avec les attentes de son (ou ses) rôle(s) professionnel(s), et viceversa” (Frone et Rice, 1987, in Grodent et Tremblay, 2013, p.120). En Belgique, le taux de télétravailleurs serait parmi le plus élevé de l’UE (taux moyen de télétravail de 20%), avec 30% de salariés qui auraient déjà pratiqué le télétravail1. En 2010, 18,8% des employés télétravaillaient alors que ce chiffre atteignait 10,6% en 2003. Le télétravail est clairement à la hausse. Si certains estiment que le nombre de télétravailleurs pourrait doubler pour 20302, Scaillerez et Tremblay pensaient en 2016 que le télétravail pourrait toucher 30% de la population active des pays de l’OCDE dans les années à venir, voire même 50% en 2017 en considérant simultanément plusieurs formes de télétravail. Dans la crise sanitaire que nous traversons depuis quelques mois, le télétravail a été une véritable bouée de sauvetage (HR Square, 2020) et pourrait, à l’avenir, prendre de l’ampleur dans un contexte sanitaire incertain. De nombreuses études scientifiques ont démontré que le télétravail pouvait favoriser la combinaison des sphères privée et professionnelle (Moore, 2006 ; Gregory et Milner, 2009 ; Dumas et Ruiller, 2014 ; Dumas, 2015 ; Galvez et al., 2020). Des adeptes du télétravail vont même jusqu’à dire que sans la possibilité de télétravailler, certains travailleurs devraient quitter leur emploi et cesser toute activité productive (Council of Economic Advisors, 2010). Le télétravail pourrait donc principalement profiter aux femmes (Huws et al., 1996 ; Hilbrecht et al., 2008 ; Aguilera et al., 2016 ; Barber et al., 2016 ; Galvez et al., 2020), étant donné qu’elles sont plus enclines que les hommes à devoir assumer à la fois des tâches professionnelles et domestiques. Il pourrait même permettre de promouvoir une meilleure égalité homme-femme (Gutek, 1983). Cependant, certains auteurs estiment que le télétravail pourrait venir accentuer le conflit entre les sphères privée et professionnelle et non l’atténuer (Kurland et Bailey, 1999 ; Doherty et al., 2000 ; Tremblay et Paquet, 2006) en rendant la frontière entre ces deux sphères plus poreuses. Cela pourrait alors laisser penser que le télétravail n’est probablement pas aussi avantageux pour les femmes que certains voudraient nous le faire croire. Il s’agirait là d’un des paradoxes du télétravail (Gajendran et Harrison, 2007) présentant des conséquences incompatibles. L’impact du télétravail sur une meilleure conciliation des vies privée et professionnelle ne serait donc pas clair (Tremblay et Paquet, 2006 ; Eurofound, 2017). Au vu de la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés depuis quelques mois, l’intérêt d’une analyse genrée autour de cette thématique nous paraît d’autant plus important. Lambert et al. (2020, p.2) observent ainsi, à travers une enquête de l’INRED, que si les femmes ont 1 www.teletravailler.fr 2 https://www.rtbf.be/lapremiere/article/detail_tous-teletravailleurs-en-2030?id=10348824 3 autant télétravaillé que les hommes durant le confinement, « la pratique du télétravail révèle en réalité des inégalités plus profondes de conditions de vie, qui se déploient au domicile et dans la sphère privée » et qui seraient notamment liées au sexe des télétravailleurs. Ainsi, une récente enquête (UGICT & CGT, 2020) menée en France durant le confinement nous apprend que 47% des télétravailleuses ont connu 4 heures de tâches domestiques supplémentaires à la suite de la fermeture des écoles (contre 26% des télétravailleurs), et que 36% des femmes affirment avoir connu une augmentation de leur charge de travail (les hommes sont 29% à le déclarer). De plus, 87% des femmes ont dû télétravailler tout en gardant leurs enfants, situation qui ne concerne que 76% des hommes, soit parce que les femmes vivent plus fréquemment seules avec des enfants ou que, lorsqu’elles sont en couple, leur mari continuait, malgré le confinement, à travailler sur site. De son côté, l’enquête menée par le Boston Consulting Group (2020) relève que les femmes ont consacré 15 heures par semaine de plus que les hommes aux tâches domestiques durant le confinement. Ces quelques chiffres laissent donc entendre que le télétravail ne fait pas forcément bon ménage avec la possibilité pour les femmes d’équilibrer leurs sphères privée et professionnelle, d’autant plus en période de crise. Il serait dès lors intéressant de mieux comprendre le point de vue des femmes quant à l’effet du télétravail sur leur capacité à concilier vies privée et professionnelle, mais aussi le point de vue des hommes quant à la possibilité pour les femmes de trouver un équilibre entre ces deux sphères par la pratique du télétravail. A ce stade, notre article tentera donc, de manière théorique, de répondre à la question suivante : il y a-t-il des différences de perceptions entre les hommes et les femmes quant à l’effet du télétravail sur la conciliation des sphères privée et professionnelle ? L’expérience du télétravail et de son utilisation, telle que vécue par les femmes, semble en effet un sujet encore négligé dans la littérature (Gàlvez et al., 2020) et peu étudié de manière qualitative (Guinn, 2017). Fernando et Cohen (2013) affirment ainsi que peu d’études montrent ce que les femmes font des obstacles rencontrés dans leur tentative de mieux concilier vies professionnelle et privée et comment elles arrivent à gérer leur carrière face à ces obstacles. Hilbrecht et al. (2008) soulignent eux aussi le peu d’études s’étant intéressées aux liens entre le télétravail, la conciliation des sphères privée et professionnelle et la qualité de vie. A l’heure où les pratiques de travail flexibles et les pratiques favorables à la famille ont la cote au sein des entreprises, il nous semble intéressant d’explorer davantage les perceptions développées à l’égard d’une telle pratique qui, au sortir de la crise, pourrait prendre de l’ampleur et en tout cas atteindre des niveaux supérieurs aux niveaux avant crise (HR Square, 2020). Afin de mieux étudier cette problématique, nous débattrons dans une première section de l’effet du télétravail sur la conciliation des sphères privée et professionnelle. Nous introduirons dans une deuxième section la dimension du genre dans ce débat, en abordant tout d’abord le télétravail sous la dimension du genre pour ensuite mener une analyse genrée de l’impact du télétravail sur l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Nous aborderons notamment les différences en termes de genre qui peuvent exister entre hommes et femmes que ce soit en termes des motivations à télétravailler, de l’utilisation du télétravail, de la construction et du maintien d’identité de la personne qui télétravaille ou encore des avantages et inconvénients que peut procurer le télétravail. Notre article étant théorique, nous présenterons dans une troisième section les perspectives de l’étude pratique pour finalement conclure ce papier. 4 1. Le télétravail, avantage ou inconvénient pour la conciliation vie privée- vie professionnelle ? Le télétravail peut être défini comme « le travail exercé en dehors des locaux de l’employeur, éventuellement au domicile, un éloignement permis par le recours aux technologies de l’information et des télécommunications » (Dockery et Bawa, 2018 ; Bailey et Kurland, 2002 ; Golden, 2012). Selon Blanpain et al. (2001, p.5), il s’agit du « travail effectué par un télétravailleur (salarié, indépendant, travailleur à domicile) principalement, ou pour une part importante, sur un ou plusieurs lieux autres que le lieu de travail traditionnel pour un employeur ou un client, impliquant l'utilisation de télécommunications ». Toutefois, Pontier (2014) affirme qu’au vu des multiples situations possibles impliquant l’usage du télétravail, en donner une définition générale s’avère irréalisable. Aguilera et al. (2016) se basent sur cinq caractéristiques pour définir le télétravail. Tout d’abord, un contrat de travail doit exister entre le télétravailleur et l’employeur. Ensuite, l’activité, qui aurait pu prendre place dans les locaux de l’entreprise, doit être réalisée dans un autre lieu. De plus, on se limite à une échelle locale, voire régionale. En outre, il faut également distinguer le télétravail du « travail à distance ». Enfin, le télétravail ne s’effectue pas de manière occasionnelle mais récurrente. Le terme télétravail implique donc une idée de travail à distance facilité par l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Sullivan, 2003). Selon Salmon (2012), il y aurait six types de télétravail. Cependant, dans le cadre de cette étude, nous nous focaliserons uniquement sur le télétravail réalisé à domicile par un salarié, qu’il soit occasionnel ou régulier étant donné que les femmes recourraient davantage à ce type de télétravail que les hommes (Eurofound, 2017). Le télétravail semble présenter de uploads/Management/ dupont-et-al.pdf
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- Publié le Mai 28, 2022
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