ANALYSE ÉCONOMÉTRIQUE ET COMPRÉHENSION DES ERREURS DE PRÉVISION Guillaume Chevi

ANALYSE ÉCONOMÉTRIQUE ET COMPRÉHENSION DES ERREURS DE PRÉVISION Guillaume Chevillon * Département analyse et prévision de l’OFCE Octobre 2005 Revue de l’OFCE 95 * Je remercie David Hendry et Xavier Timbeau pour leurs remarques et suggestions. guillaume.chevillon@ofce.sciences-po.fr Cet article présente des résultats récents de l'approche économétrique de la prévision économique. Il s'agit, ici, de déterminer ce qu'on nomme une « bonne » prévision. Nous suggérons une taxinomie des erreurs de prévision afin de comprendre comment obtenir des prédictions robustes vis-à-vis des sources d'erreur les plus pernicieuses : les chocs déterministes affectant la manière dont sont générées les variables. À l'aide des concepts d'exactitude, de précision et de certitude dans le cadre des modèles de prévision, nous montrons que le critère d'évaluation de leur qualité est un élément essentiel qu'on ne peut séparer de la construction du modèle. Une application à la prévision des importations françaises de biens et services illustre notre propos. 327-356.qxp 21/11/2005 11:40 Page 327 P révoir, c’est porter un jugement sur les événements ou évolutions possibles à venir en utilisant comme outils le passé et le présent. Pour réussir une telle entreprise, quatre conditions sont à remplir: (1) une certaine régularité dans le fonctionnement du monde est tout d’abord nécessaire, (2) il faut par ailleurs que cette régularité fournisse une information sur l’avenir, (3) que la méthode choisie pour établir la prévision capture une part de cette régularité et (4) enfin qu’elle exclue au maximum le « bruit » ou les irrégularités passés. Les deux premières conditions sont constitutives du système économique, les deux dernières sont fonctions de la méthode de prévision ou de la théorie économique choisies. Il en résulte que les prévisions sont toujours entachées d’erreur et qu’il est possible d’en établir plusieurs pour un même événement à venir (qui constitue l’objet de la prévision). Des outils d’analyse doivent donc être développés afin de comparer et de hiérarchiser les prévisions pour discerner ce qui fait qu’on puisse, ou non, en qualifier certaines de « bonnes ». La qualité d’une prévision est définie par le critère d’évaluation considéré. Ainsi, si on s’intéresse à l’inflation en France en 2006, il est probable que le prévisionniste soit indifférent entre une erreur de + 0,1 % et de – 0,1 %, i.e. symétrique autour de l’hypothèse centrale. En revanche le sismologue qui s’attache à déterminer la date de la prochaine éruption de l’Etna accordera une valeur nettement (infiniment ?) plus grande à une prévision en deçà de la date d’éruption! Il apparaît clair que, dans ces deux contextes, les méthodes choisies se ressentiront des critères retenus pour leur évaluation. De manière générale, trois qualités sont recherchées: l’exactitude, la précision et la certitude, et on privilégiera l’une ou l’autre selon les cas. Pour bien comprendre leur différence, si nous supposons que nous disposions en 2005 de deux prévisions de l’inflation en France en 2006 : une à 1,95 ± 0,45 % et l’autre à 2,0 ± 0,2 %. Laquelle préférer ? La première est davantage précise dans son énoncé, au centième de point de pourcentage près contre un dixième pour la seconde. En revanche, cette dernière est nettement plus certaine, car l’intervalle de confiance lui correspondant est assez étroit (en tout 0,4 %) contre une incertitude de 0,90 % dans le premier cas. Enfin, si on découvre, fin 2006, que l’inflation se monte à 1,9 %, la première prévision est finalement plus proche — dans son scénario central — de la réalisation. Mais laquelle peut être dite la plus exacte? Ceci dépend du critère considéré — et donc de l’utilisation faite de cette prévision. Et encore! Que dire des deux déclarations « l’inflation se portera à 12,314 % en 2006 » et « l’inflation sera d’environ 2 % ». La première Guillaume Chevillon 328 Revue de l’OFCE 95 327-356.qxp 21/11/2005 11:40 Page 328 est très précise, i.e. présentant un fort degré de détail dans son assertion, et certaine (car elle n’autorise, de manière péremptoire, aucune marge d’erreur autour du scénario central), mais très éloignée de la vérité, l’autre est moins précise et certaine, mais plus proche de la réalisation. Toutes ces déclarations peuvent pourtant être qualifiées d’inexactes! Pour mesurer et hiérarchiser l’exactitude, les économistes utilisent souvent le critère de moyenne quadratique d’erreur de prévision (MQEP, voir définition plus bas) qui combine l’écart à la réali- sation (la moyenne d’erreur de prévision) et l’incertitude entourant le scénario central (la variance de l’erreur). Ces quelques réflexions nous amènent à nous demander comment quantifier a priori l’exactitude d’une prévision. Pour ce faire, des infor- mations sont nécessaires : comment est-elle obtenue ? sous quelle hypothèses? quelle incertitude envisage-t-elle? quel est son but, son utilité? Avec tous ces éléments, il est possible d’analyser une prévision, et c’est le propos de cet article de montrer comment les outils de l’éco- nométrie permettent d’en établir et d’en contrôler les caractéristiques. Les méthodes de prévision ne sont malheureusement pas parfaites et n’ont pas vocation à devenir de purs exercices mathématiques sans contenu économique. En revanche l’utilisation de modèles simples nous permet d’analyser une partie des conséquences de notre ignorance quant à la manière dont fonctionne l’économie et aussi aux chocs qui peuvent l’affecter. Aujourd’hui, l’économétrie des séries temporelles permet essentiellement de comprendre pourquoi certaines méthodes de prévision couramment utilisées depuis des décennies présentent les propriétés qui les rendent populaires. Cette démarche s’inscrit dans un contexte de formalisation de la prévision là où les experts utilisaient auparavant leur capacité de jugement, pourtant encore nécessaire aujourd’hui; il ne peut s’agir toutefois de s’affranchir de modèles struc- turels essentiels pour une vision complète de l’économie et pour leurs capacités à effectuer des variantes, mais d’utiliser des compléments ayant des propriétés contrôlables de robustesse aux chocs. Le modèle de l’OFCE qui sert de bases aux prévisions de l’économie françaises demeure par exemple un outil incontournable, mais certaines variables clefs peuvent faire l’objet d’une étude complémentaire. Cet article s’organise comme suit: la première section présente un bref historique des méthodes utilisées en prévision économique afin de dégager ensuite, dans le cadre d’un modèle simple tiré des travaux de M. P. Clements et D. F. Hendry, les principaux apports de l’analyse économétrique. La section 3 montre toutefois les limites de la modéli- sation dans ce cadre, mais cette analyse permet également de comprendre comment pallier les problèmes de prévision, ce qu’aborde la section 4. Après nous être intéressés aux méthodes d’évaluation des prévisions dans la section 5, nous illustrons l’usage de ces méthodes par une application à la prévision des importations françaises. ANALYSE ÉCONOMÉTRIQUE ET COMPRÉHENSION DES ERREURS DE PRÉVISION 329 Revue de l’OFCE 95 327-356.qxp 21/11/2005 11:40 Page 329 1. La prévision en économie Pour comprendre les mérites propres des méthodes de prévision, il est essentiel d’en connaître les deux grandes classes, d’ailleurs non mutuellement exclusives: il existe d’une part des modèles purement statistiques sans représentation économique et d’autre part des modèles dits structurels dont l’ambition est de fournir une image du fonction- nement effectif de l’économie. Mais afin de bien présenter l’état actuel de la recherche, il nous semble essentiel de rappeler brièvement les développements de la prévision économique au XXe siècle, car chaque grande vague d’avancées a rencontré des écueils qui ont permis d’améliorer la compréhension des limitations des diverses méthodes 1. 1.1. Modèles structurels keynésiens La complexité et l’interdépendance des systèmes économiques a longtemps été un frein puissant à toute tentative de prévision, ce qui fit que les premières ne virent le jour qu’après l’émergence de modèles macroéconomiques simples. Après la publication de la Théorie Générale de J. M. Keynes en 1936 et grâce à de notables avancées techniques de la Statistique, s’ensuivit un vif développement de l’activité économique de construction, d’estimation et d’analyse de modèles visant à représenter le comportement des agents macroéconomiques. Ce bouillonnement intellectuel amena à la création de l’Econometric Society et de sa publication prestigieuse, la revue Econometrica 2, qui devint le médium naturel de diffusion des idées et avancées de la Commission Cowles à l’université de Chicago au cours des années 1940 et 1950. La facilité d’usage des systèmes d’équations à base de modèles IS-LM permit leur généralisation dans les cercles universitaires et gouvernementaux s’attachant à l’analyse et à la prévision des politiques économiques. Les méthodes d’estimation économétrique étant encore peu développées, les principaux débats portaient sur des calibrages des coefficients de réaction. Les besoins naissants de planification entraî- nèrent la généralisation de modèles input-output qui visaient à prévoir les tensions sur les capacités productives. L’augmentation de la quantité et de la qualité des données disponibles mena à une généralisation de modèles très détaillés de l’économie, comportant des centaines d’équa- tions. Cette abondance d’information ne put empêcher un enlisement des macro-modèles (comme le fameux modèle Wharton conçu autour Guillaume Chevillon 330 Revue de l’OFCE 95 1. L’exposition historique doit en grande part à l’article de F. X. Diebold (1998) auquel on renvoie vivement le lecteur. 2. À l’origine, les deux branches de l’économie théorique et de l’économétrie ne s’étaient pas encore divisées. 327-356.qxp 21/11/2005 11:40 Page 330 de Lawrence Klein) car ils subirent un uploads/Management/ econometrie-est-prevision.pdf

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  • Publié le Jul 08, 2022
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