Le retour d’expérience. Un processus d’acquisition de connaissances et d’appren

Le retour d’expérience. Un processus d’acquisition de connaissances et d’apprentissage. Jean-luc Wybo «Plus on remonte loin dans le passé, mieux on prépare le futur.» Winston Churchill 1 Introduction Si l’on prend du recul sur l’organisation de la maîtrise des risques (au sens de connaître les risques et agir pour en limiter l’occurrence et les effets), on peut la représenter comme une boucle de contrôle et d’adaptation au changement, qu’il soit immédiat comme un accident ou à plus long terme, comme l’évolution du climat ou celle des comportements dans la société. Cette boucle de contrôle utilise les informations et les leçons tirées de l’expérience pour ajuster et améliorer les trois autres principaux processus de la maîtrise des risques : l’anticipation, la vigilance et la gestion des imprévus. Ce que l’on peut apprendre du retour d’expérience dépend des situations vécues, de même que les enseignements que l’on en tire et les modifications que cela entraîne, depuis le petit dysfonctionnement qui se traduit par un ajustement local jusqu’à la catastrophe qui remet en question le système lui-même. Lorsque l’on évoque le retour d’expérience (REX) comme processus d’apprentissage organisationnel dans le domaine de la gestion des situations exceptionnelles, se pose le problème : comment apprendre à gérer ces situations et éviter les crises ? Avec les progrès des dispositifs techniques, de la planification et des plans d’urgence, de tels événements deviennent rares, ce qui réduit d’autant les possibilités d’apprendre à partir des situations réelles. Il faut alors mettre en œuvre des méthodes de retour d’expérience adaptées aux exercices de simulation, en permettant de déceler les capacités de résilience et de robustesse, qui jouent un rôle important dans la gestion de ces situations exceptionnelles. 2 Le cadre scientifique du retour d’expérience En premier lieu, une distinction doit être faite entre des situations opérationnelles, même difficiles, et des situations de crise. Dans les premières, le REX va permettre de mettre en évidence les difficultés rencontrées et de déterminer des pistes d’amélioration. Dans les secondes, le REX va permettre d’établir d’une part les raisons qui ont conduit à la déstabilisation de l’organisation en place et d’autre part comment l’organisation a fait face. Le REX est un processus d’apprentissage dont l’objectif est double : identifier des connaissances et les faire partager entre les acteurs. La méthodologie s’inspire des travaux réalisés sur le thème de l’apprentissage organisationnel : comment faire en sorte que toute l’organisation apprenne ? Le REX a aussi comme finalité de participer à une boucle de progrès de la maîtrise des risques, qui passe aussi par une bonne appropriation de la connaissance des risques, donc de leur représentation. Parmi les méthodes pratiquées aujourd’hui, la défense en profondeur est celle qui est la plus intuitive pour représenter de manière synthétique les « tenants et aboutissants » des situations dangereuses. Enfin, la genèse, le développement et la gestion d’événements dangereux et de crises nécessitent pour les comprendre une analyse de leur dynamique. La compréhension de l’image mentale de cette dynamique, telle qu’elle est perçue par les acteurs, permet de tirer de leurs récits des informations essentielles pour comprendre l’enchaînement des événements, des décisions et des actions. hal-00614238, version 1 - 7 Sep 2012 Manuscrit auteur, publié dans "Gestion de crise : le maillon humain au sein de l'organisation, M. Specht, G. Planchette (Ed.) (2009) 19 pages" 2.1 Essai de définition du retour d’expérience Le retour d’expérience (REX) peut être défini, au sens large, comme toute formalisation d’un événement passé. Sous cet angle, il s’agit d’un concept très ancien et chacun le pratique d’une manière informelle. Le REX auquel il est fait référence dans ce texte est d’une autre nature : c’est un processus plus structuré et encouragé formellement par la hiérarchie. Celle-ci instaure une démarche concertée de REX, soit à l’occasion d’un accident ou d’une crise, soit lorsqu’elle constate un écart à la norme ou au fonctionnement normal du système. Dans cette perspective, on peut caractériser le REX à travers plusieurs définitions. Le terme « retour d’expérience » est en effet appliqué à une variété de démarches : méthodes d’enquête, ensemble de moyens de collecte d’informations, démarches analytiques. La définition du terme est ainsi devenue vaste et polysémique, comme en témoignent les nombreuses approches du retour d’expérience présentées ci-dessous : ⋅ Outil d’aide à la correction de pannes et des erreurs ⋅ Source d’information des bases de données statistiques ⋅ Outil de collecte d’information sur les processus d’exploitation ⋅ Outil d’identification de précurseurs ⋅ Outil d’analyse critique des situations de crise ⋅ Source de progrès des organisations ⋅ Source de progrès dans l’action et la formation ⋅ Outil d’aide à la jurisprudence L’approche retenue dans ce chapitre est essentiellement de faire du REX une source de progrès des organisations. Le retour d’expérience s’applique à l’étude d’événements non voulus et de leur gestion. Il permet d’identifier en détail, la genèse et l’évolution de l’événement dans ses diverses composantes (techniques, humaines, organisationnelles, environnementales) ; de déterminer l’ensemble des actions entreprises, négatives et positives ; de tirer des leçons en accédant à la connaissance tacite des personnes, de manière à construire des scénarios d’actions alternatives permettant de mieux gérer ces situations si elles se reproduisent. Cette approche du REX permet de capter l’émergence de certaines réponses de l’organisation face à la situation d’urgence. L’individu, au plus près du terrain, doit être valorisé ; pour ce faire, la capitalisation et le partage des informations doivent être encouragés à tous les niveaux de l’organisation. « La démarche de retour d’expérience consiste à utiliser le développement d'un événement réel comme une opportunité pour collecter l'expérience individuelle de plusieurs acteurs et la réunir sous la forme d'une expérience collective. Le retour d’expérience doit permettre de capter la représentation de la dynamique des situations pour mieux comprendre les accidents passés et permettre de partager l’expérience acquise lors de la gestion des risques et des crises. » (Wybo et al. 2001) 2.2 Risques de dommages et risques de crises Une classification des situations à risque en deux catégories a été proposée : les risques de dommages et les risques de crises. Cette classification se justifie par les différences entre ces situations : tout ce qui peut être anticipé correspond à des risques de dommages, tandis que les situations imprévues ayant le potentiel de déstabiliser l’organisation correspondent à des risques de crises (Wybo 2004). Les risques de dommages Si la situation incidentelle a été analysée, par exemple au cours de la conception du système ou à l’occasion d’un événement similaire, l’organisation appliquera des procédures de gestion hal-00614238, version 1 - 7 Sep 2012 d’incident et la maîtrise de la situation sera facilitée par des dispositifs de protection et des modes d’organisation appropriés. Ces situations sont nommées « risques de dommages ». La maîtrise des risques de dommages correspond à plusieurs types d’actions qui contribuent à l’état de préparation : Analyser les événements et les situations potentiellement dangereux et étudier leurs causes et leurs conséquences ; Analyser les vulnérabilités du système : les composants pouvant être endommagés, les personnes pouvant être blessées et les fonctions de l’organisation pouvant être perturbées ; Mettre en place des dispositifs techniques et des procédures pour supprimer les événements dangereux, réduire leur probabilité ou diminuer leur intensité ; Mettre en place une organisation qui favorise l’intégration d’une culture de sécurité à tous les niveaux en donnant du sens aux risques et aux mesures prises pour les réduire. Les risques de crises Lorsque des incidents d’origine externe ou interne affectent la situation, les personnes réagissent en premier lieu en identifiant la nouvelle situation et en appliquant des procédures ou des plans, s’il en existe. Si la situation sort de ce cadre, soit parce qu’il n’y a pas de procédure adaptée (la situation n’a pas été envisagée et n’est jamais arrivée auparavant), soit parce que les défenses prévues n’ont pas fonctionné, alors l’organisation entre en crise. Elle s’oriente vers une gestion fondée sur l’expérience et l’innovation, dans laquelle les différents acteurs vont faire de leur mieux pour ramener le système dans un état connu et stable, tout en limitant les dommages et l’extension de l’accident. Au cours du déroulement de telles situations, l’organisation en charge de leur gestion peut se retrouver débordée pour différentes raisons et perdre sa capacité à maîtriser la situation. Lorsque les situations dangereuses ont le potentiel de déborder l’organisation, on leur donne le nom de « risques de crises ». On définit le débordement d’une organisation comme la combinaison de plusieurs facteurs, notamment : ⋅ Surprise, vitesse de développement ; ⋅ Extension de l’événement sur le terrain et du nombre d’intervenants ; ⋅ Incertitude et dissonances entre intervenants, avec le public et avec les médias ; ⋅ Manque de flexibilité dans les processus de prise de décision et d’action ; ⋅ Manque de ressources disponibles et d’options de réponse ; ⋅ Perte des moyens de communication ; ⋅ Cascades d’événements et effets « domino ». Pour éviter les crises, il faut développer l’anticipation et la préparation, mais pour maîtriser les crises, il faut mettre en place une organisation qui résiste au chaos. uploads/Management/ economica-2009-wybo-pdf 1 .pdf

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  • Publié le Oct 08, 2021
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