1 Genre et développement: la place de la femme en Afrique rurale et dans les pr
1 Genre et développement: la place de la femme en Afrique rurale et dans les projets de développement agraire Marie-Ange Baudouin* Faire participer les femmes aux projets de développement leur permet d’acquérir des compétences et des connaissances nouvelles. Mais c’est aussi un atout pour la réussite de nombreux projets dans le domaine rural. Dans un contexte de dégradations environnementales et d’ouverture des marchés, la diversification des stratégies de survie est devenue indispensable aux villages ruraux africains. Les ONG peuvent jouer un rôle fondamental sur ce plan grâce à l’introduction de techniques nouvelles et à l’appui qu’elles peuvent offrir aux populations. Cependant, la prise en compte du contexte dans lequel leurs projets prennent place sera déterminante dans la réussite de leurs activités. Or, dans le milieu rural africain, l’importance des statuts peut constituer un frein au développement. La femme est souvent confinée dans son rôle de mère nourricière, et il sera alors vain de tenter de la faire prendre part à d’autres tâches qui ne relèvent pas de ses fonctions maternelles. Au contraire, si ce statut traditionnel est respecté, il pourra constituer un levier utile pour un projet de développement. La femme et l’accès à la terre Dans la société rurale de l’Ouest de l’Afrique subsaharienne, la femme joue un rôle primordial. Près de la moitié de la main d’oeuvre agricole est féminine, pour un secteur qui contribue à 30% du PIB régional. C’est principalement au niveau des cultures vivrières, qui occupent plus de la moitié de son temps de travail, que le rôle de la femme est le plus important, puisqu’elle y produit 70% des récoltes1. En outre, la femme remplie ses tâches traditionnelles de “mère nourricière” (elle fait le ménage, la cuisine, soigne les enfants, collecte l’eau et le bois, etc.). Elle aide également les hommes dans les grandes cultures, s’occupe de la tranformation et de la commercialisation des produits récoltés. Les semis, le désherbage, les récoltes, le conditionnement lui sont, par tradition, réservés2. Ces multiples activités participent à la définition de l’identité féminine et de son statut social. Cependant, bien que le travail de la terre soit l’occupation féminine principale, la femme se heurte à un problème fondamental: celui de la propriété foncière. En effet, dans le milieu rural africain, la terre appartient par tradition à l’homme. Le don de la part de son père ou de son mari est seul moyen par lequel une femme peut y avoir accès. Même dans ce cas de figure, bien souvent, elle acquerra 1 GAFSI, « Organisation sociale de la production dans les exploitations familiales africaines », in GRANIE et al, 2006. 2 SARR et al., 2006. 2 seulement le droit de travailler la parcelle, tandis que la propriété restera masculine3. La division du travail est telle que la seule responsabilité des plantations vivrières lui revient, mais pas les revenus qui en sont générés4. Ce statut traditionnel de la femme n’est pas resté figé dans le temps, et les mutations qui ont été introduites aussi bien par la colonisation, les indépendances, les modernisations agraires, ou les mutations dans l’organisation administrative du pays l’ont affecté. Plutôt qu’un réel boulversement dans la perception classique de la femme rurale, ces transformations ont creusé l’écart entre les représentations et l’importance du rôle réel des femmes. Ses tâches se sont multipliées mais font partie du quotidien ou de l’ordinaire, ce qui les rend presque invisibles5. Quand, dans les années 80, les politiques de modernisations se sont imposées à l’agriculture familiale africaine, elles ont principalement touché les cultures de rente, tandis que les parcelles vivrières ont conservé un outillage archaïque, nécessitant un travail plus difficile et plus long. Les cultures rentières ont pris une importance grandissante dans le contexte des libéralisations des marchés et de recherche de revenus supplémentaires, et, alors qu’elles étaient à l’origine à la charge des hommes, celui-ci a fait de plus en plus appel à l’aide de ses femmes et filles. Toujours dans l’optique de trouver des revenus supplémentaires afin de subvenir aux besoins familiaux, le maraîchage s’est peu à peu développé comme nouvelle source financière6. Ces nouvelles responsabilités sont venues s’additionner aux journées déjà chargées des femmes, sans résistance de leur part. Souhaitant accroître leur apport à la famille, elles n’hésitent pas à investir de nouveaux espaces de travail7. D’ailleurs, avoir du temps libre signifie souvent mal entretenir son ménage. Les décentralisations politiques qui ont touché beaucoup de pays africains dans l’objectif de favoriser le développement local en impliquant davantage les acteurs sociaux auraient pu offrir à la femme une chance de valoriser son travail. Malheureusement, la division des rôles masculins et féminins est tenace dans la société agraire, et, malgré l’égalité formelle de l’accès à la terre entre les deux sexes (qui est inscrite dans les conventions juridiques légales), en pratique, la situation a peu changé : la propriété est et reste masculine8. De plus, comme les décisions qui concernent la gestion du foncier sont généralement entre les mains des Conseils Ruraux, où les femmes sont peu représentées, il est peu probable que la situation change d’elle-même. 3 KEVANE, 2004. 4 RAZAVI, 2002. 5 GRANIE et al., 2006. 6 TUJAGUE, « Parodie du pouvoir autour des femmes en Afrique de l’Ouest : le cas des maraîchères commerçantes dans le Nord du Sénégal », in GRANIE et al., 2006. 7 PUGET, 1999. 8 SUAREZ, in Plaider pour d’autres mondes, 2003. 3 Femmes rurales et ONG Pour des raisons de valeurs traditionnelles et de rigidité dans les statuts, il est peu probable que le droit de propriété foncière, reconnu dans les lois, entre effectivement dans les pratiques des communautés rurales. La nécessité d’obtenir une autorisation de la part de son mari afin de pouvoir travailler la terre limite le champs des activités possibles de la femme. Cependant, cette limite n’est pas infranchissable et une des solutions pourraient s’imposer via les projets de dévelloppement ruraux destinés aux milieux traditionnels. Il reste néanmoins à mesurer la place qui est accordée aux femmes au sein de ces programmes. C’est surtout à partir des grandes sécheresses qui ont frappé le Sahel dans les années 70 que les ONG et la communauté internationale se sont intéressées au milieu rural sahélien9. Des projets de développement ruraux sont alors apparus, cherchant à mettre en valeur cet environnement, par le biais de l’introduction de techniques, ressources, ou savoirs extérieurs. Cependant, pendand longtemps, malgré l’importance du rôle des agricultrices, celles-ci sont restées absentes de la construction des projets de développement. Par la suite, peu à peu, l’invisibilité du travail des femmes dans les pays du Tiers Monde a été reconnue, et celles-ci ont fait l’objet d’une attention nouvelle. Cette reconnaissance formelle a été internationnalisée par la décennie de la Femme, initiée par l’ONU (1975-85). Cela s’est aussi traduit par la multiplication de travaux et de publications sur le sujet pour, petit à petit, déboucher sur le concept de “genre et développement”, devenu incontournable depuis la Conférence des Nations Unies à Pékin, en 199510. A partir des années 80, la femme, en tant qu’actrice, devient le concept d’une nouvelle approche du développement, et depuis plus d’une décennie, sa participation est devenue une exigence des bailleurs de fond11. Cette volonté d’impliquer davantage les femmes repose sur les images véhiculées à leur sujet. Sur ce point, F. Puget propose quatre types de représentation de la femme qui justifient la mise en place de projets dans la société rurale subsaharienne. La première est celle d’une femme victime de la domination masculine, et que les projets de développement doivent absolumment sauver; la seconde est celle de son rôle en harmonie avec la culture traditionnelle, et qui doit pour cela être préservé tel quel, sous peine de briser un équilibre; la troisième envisage la femme comme se refusant à se prendre en charge elle-même et préférant se reposer sur l’homme (il faut alors la bousculer pour qu’elle s’active...); la dernière image insiste sur le rôle économique fondamental dont elle a tout à fait conscience, et sur la nécessité de l’appuyer dans ses activités12. Sans tomber dans une vision qui idéaliserait la femme africaine, “courageuse et infatigable”, c’est cette dernière perspective que nous retiendrons comme justification à leur plus grande implication dans les projets de développement. 9 SARR et al., 2006. 10 DRION et al., 1999. 11 PUGET, 1999. 12 PUGET, 1999. 4 Un autre élément pris en considération quand on parle de la nécessité d’intégrer la femme dans les projets de développement est celui de sa forte vulnérabilité. Vulnérable parce qu’elle est touchée de plein fouet par la pauvreté croissante, parce qu’elle souffre d’analphabétisme ou est privée d’éducation, parce qu’elle est soumise à des risques durant la maternité, ce concept peut néanmoins être dangereux. En effet, il pourrait amener à faire de la femme une catégorie sociale particulière, ciblée par un type de projet particulier, ayant trait par exemple à l’amélioration de la santé ou à la lutte contre la pauvreté, tout en les excluant d’autres types de programmes de développement, tels que l’agriculture13. Ainsi, les premiers projets des ONG incluant les femmes, s’ils ont eu le mérite uploads/Management/ femmes-rurales-et-genre-marie-ange-baudouin-2008.pdf
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- Publié le Nov 08, 2022
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