1 Dans « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse »1 Lacan
1 Dans « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse »1 Lacan traite du statut de la parole en psychanalyse et le rappel de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi… » qu’il applique au langage a interpellé le juriste que nous sommes nous conduisant à mener une étude de cette Loi primordiale du langage de laquelle découlent toutes les autres. Structuraliste, Lacan dans ses écrits de 1953 appuie ses démonstrations sur les travaux de Claude Lévy Strauss et notamment sur un texte de 1949 intitulé « l’Efficacité Symbolique » 2. Nous tenterons de nous inscrire dans une semblable démarche pour présenter tout d’abord le couple langage-parole puis successivement le langage comme Loi organique universelle et enfin la parole comme expression du singulier. Sur les pas de Lacan, nous explorerons les différentes caractéristiques structurelles des cures chamanique et analytique pour rendre compte de la manière dont le langage et la parole sont les vecteurs indispensables au succès de chacune d’elles. I. L’indissociable couple : langage et parole Lorsque Lacan parle de l’humour contenu dans l’adage, «Nul n’est censé ignorer la Loi… » qui n’est du reste codifié nulle part, et ne se transmet donc que par la parole, c’est l’étendue de cette Loi, et donc, du champ du langage, qu’il met en exergue et du même coup qu’il circonscrit. En effet, si nous connaissons tous 1 « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » première version parue dans La psychanalyse, n° 1, 1956, Sur la parole et le langage, pages 81-166. puis dans Les écrits 2 Claude Lévy Strauss – l’efficacité symbolique – in l’Anthropologie Structurale – Paris – Plon , 1958, 1974 « Nul n’est censé ignorer la Loi... du langage » 2 « la Loi » en tant que loi primale, celle du langage, nul ne peut se prévaloir de connaître toutes les autres qui en découlent. Si la Loi du langage est fédératrice, sa lettre, qu’est la parole, en tant que porteuse d’un contenu, signe la singularité de chacun des sujets lorsqu’il en fait usage. C’est l’une des raisons pour lesquelles Lacan a toujours défendu, et la psychanalyse lacanienne à sa suite aujourd’hui encore, la singularité du langage comme rempart contre le scientisme qui tente de la faire taire, et même aujourd’hui de la forclore avant qu’elle advienne 3. L’étymologie du mot Loi s’origine selon certains dans « legem », accusatif de lex ou « ligare » au sens de ce qui forme lien tandis que, pour d’autres, l’origine serait à rechercher dans le mot « legere » dont le sens issu de « leg » renvoie à une chose énoncée à voix haute et aussi à recueillir, collecter tel le légataire en faveur duquel un testament est établit. Ces définitions plurielles rendent compte du droit comme structure juridique, expliquent l’universalité et sont empreintes d’une temporalité. La référence de « legem » au leg introduit la transmission à travers le temps. Ces règles expliquent aussi le lien social entre les êtres soumis aux règles de la filiation. Pourtant ces sources semblent hétérogènes et en tout cas insuffisantes pour rendre compte du lien entre la Loi et le langage. Le lien étroit entre cette Loi que nul être pensant n’est censé n’ignorer et le langage auquel elle fait référence est probablement à rechercher chez Heidegger. Non pas dans le latin mais bien dans le grec et tout particulièrement dans le vocable « legeïn » dont Heidegger fait état dans l’article dont le titre éponyme « logos » 4 révèle à lui seul la relation entre Loi et langage. Legeïn signifie tout à la 3 Gérard WACJMAN - Les experts : la police des morts - Puf – paris – 2012 4 Martin HEIDEGGER, Logos , 1951 3 fois parler, dire, discourir mais aussi recueillir, léguer, récolter. Il ne s’agit plus ici seulement d’un mode d’expression – parler à voix haute – comme pour « legem » mais bien du langage comme support d’un « discours » et par conséquent d’un contenu singulier. Legeïn ne définit pas la parole uniquement comme une fonction, mais la rattache au discours, à un contenu porteur d’un message du sujet révélateur d’un sens. D’ailleurs le fait que dans la troisième partie de « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » Lacan traite du discours à propos du troisième paradoxe, militerait en faveur de cette origine heideggérienne du mot Loi. Lacan nous met en effet en garde contre la perte de sens du sujet résultant de l’objectivation scientiste du discours en quête d’exactitude plus que de conjecture et de vérité. Lacan nous révèle que pour l’analyste la libération de la parole du sujet en passe par l’introduction de l’analysant « au langage de son désir » 5 . Ainsi le discours pour la psychanalyse aurait pour vocation l’expression du désir. Ces définitions corrélatives du mot leigeïn autorisent à relier l’univers du langage, à la parole véhicule du symptôme tout d’abord puis du désir du sujet par les effets des résonances et les évocations contenues dans les interprétations de l’analyste. Le rapport entre ces composantes rend compte du choix du titre donné par Lacan au discours de Rome. En effet comme le souligne Clotilde LEGUIL 6 Lacan a toujours défendu la pluralité des statuts de la parole confirmant bien la mutabilité du contenu rendue possible par la constance de la structure assurée par la loi du langage. Afin de rendre compte de cette structure et de l’organisation de 5 Fonction et champ p 175 – Ecrits I – Le seuil – 1966 6 Clotilde LEGUIL – Cours 2° semestre 2012 – Université Paris 8 4 ses composantes, nous en proposons une représentation concentrique pour rendre compte de l’ordonnancement des différents niveaux et du processus analytique lui même. En effet le langage est constitutif du sujet, lequel, doté de la parole exprime tout d’abord son symptôme puis accède à la vérité et à son désir par les interactions qui s’expriment dans les différents temps de la cure. L’enjeu de la Loi sera alors de ménager en permanence l’équilibre entre la parole et le langage. La première visant au singulier et au temporel, le second renvoyant à l’universel et à l’intemporel. Il y aurait donc deux temps de l’instauration de la loi : le premier, celui de la loi fédératrice du langage qui, en ce qu’elle implique la reconnaissance de l’Autre, soustrait de la jouissance individuelle. C’est la Loi de la castration qui nécessite un consentement, une séparation, une perte. Il existe ensuite un second temps de la loi qui s’exprime par la parole cette fois ci singulière du sujet. II. Aux origines était la Loi du langage Le langage nous est donné par la loi primordiale dont le père est le représentant et qui est la condition d’accès du sujet au langage et à son entrée dans la culture et la civilisation. Le premier lien social est fondé sur un crime, sur Analysant Analyste 5 un acte définitivement prohibé, écrit sur les tables de la loi révélées au Sinaï : « Tu ne tueras point ». La poursuite de ce lien est fondée sur un sacrifice. Dans la scène du sacrifice comme dans le repas totémique le père est présent par deux fois : comme dieu tout d’abord puis comme animal totémique sacrificiel, autant dire comme père du Nom et comme père de la horde, celui de la jouissance toute. La loi est une protection contre cette jouissance. Normalement c’est le père réel, qui est écarté au profit de l’instauration de la fonction symbolique avec laquelle les fils peuvent s’identifier et se définir comme hommes. La Loi répond à la jouissance car le langage comme loi nécessite un vecteur qui est celui du père qui introduit la signification phallique entre les signifiants. C’est ce que fait valoir Lacan quand il précise que « le père est le vecteur de l’incarnation de la loi dans le désir »7. Nous pourrions tout autant dire qu’a la loi répond la jouissance, car la loi, par la castration qu’elle induit, renvoie chaque sujet à en explorer les limites et à s’exercer alors à sa transgression. C’est par l’exploration des limites de la Loi, par l’épreuve de la jouissance et de la souffrance que le sujet prendra la mesure de l’univers de liberté dont il dispose par ailleurs. Univers ou pourra s’exprimer le désir du sujet. Il n’y a de possibilité de survie d’une société humaine que si chacun des membres a introjecté l’équivalent d’un paradis perdu. Cela s’opère le plus souvent sous la forme d’un mythe, tel la perte originaire d’une jouissance. Cette perte de la jouissance est corrélative de l’avènement de la loi, c'est-à-dire d’un ordre symbolique transindividuel. La structure d’un langage règlera alors les échanges à tous les niveaux de la société et entre ses membres. 7 Jacques LACAN - Notes à Jenny Aubry – 1969 6 Réalisons ici un premier éclairage à l’aide de Claude Lévy Strauss. L’articulation entre la Loi et uploads/Management/ foncion-et-champ-de-la-parole-et-du-langage-jacques-lacan 1 .pdf
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- Publié le Dec 17, 2021
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