Enjeux numériques – N°15 – septembre 2021 – © Annales des Mines 94 L’intelligen

Enjeux numériques – N°15 – septembre 2021 – © Annales des Mines 94 L’intelligence artificielle affecte de nombreux secteurs : la santé, le secteur bancaire et financier, le transport, le commerce, l’industrie, le droit, l’éducation… Elle irrigue aussi bien les sphères personnelles que professionnelles. Dans les domaines de la gestion, l’IA atteint d’ores et déjà la finance, les opérations, les achats, le marketing, la vente, les ressources humaines… Qu’en est-il concrètement pour les ressources humaines ? Comment la fonction ressources humaines est-elle impactée ? Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous avons privilégié une approche volontairement pragmatique. Les réflexions qui suivent s’appuient sur une sélection bibliographique et nos contacts permanents avec le milieu professionnel. Elles reposent sur de nombreux entretiens auprès d’acteurs du terrain (1), dont des DRH, des chefs de projets, des directeurs de la transformation digitale, des dirigeants de start-up en IA. Plusieurs extraits de ces entretiens émaillent la réflexion et les analyses proposées, ils sont complétés par une sélection bibliographique (2). La réflexion s’articule autour de trois points. Dans un premier temps, il est souligné combien l’IA est un objet polysémique et polymorphe. Dans un deuxième temps, diverses applications de l’IA dans le domaine des ressources humaines sont présentées. Dans un troisième temps sont abordées les interrogations et critiques de l’utilisation de l’IA en ressources humaines. L’intelligence artificielle : un objet polysémique et polymorphe Entrer dans le champ de l’intelligence artificielle n’est pas aisé. Le terme est polysémique, et l’IA est polymorphe. Pour les uns, l’IA est présentée comme « l’automatisation des activités associée au raisonnement humain, telles que la décision, la résolution de problèmes, l’apprentissage… » (Bellman, 1978), ou encore comme la « discipline étudiant la possibilité de faire exécuter par l’ordinateur des tâches pour lesquelles l’Homme est aujourd’hui meilleur que la machine » (Rich et Knight, 1990), voire « l’étude des mécanismes permettant à un agent de percevoir, raisonner, et agir » (Winston, 1992). Dans son rapport au gouvernement (3), Cédric Villani souligne que « définir l’intelligence artificielle n’est pas chose facile », et qu’il est même « illusoire de chercher une définition claire ». Intelligence artificielle et Management des ressources humaines : pratiques d’entreprises Par Françoise CHEVALIER HEC Paris, Laboratoire GREGHEC et Cécile DEJOUX Cnam, Laboratoire LIRSA (1) À cet égard, nous tenons à remercier Ivan Beraud, chef de projet à La Poste, Alain Busson, professeur émérite à HEC Paris, et Kamel Bentchikou, responsable du Hub IA SNCF Réseau, pour les entretiens accordés, ainsi que la centaine d’interviewés que vous pouvez retrouver sur la chaîne YouTube « Cécile Dejoux - Transformations managériales et IA », et dans le MOOC « L’IA pour TOUS ! » sur https://www.fun-mooc.fr/fr/. (2) Bibliographie volontairement restreinte dans le cadre de cet article. (3) VILLANI C. (2018), « Donner un sens à l’intelligence artificielle, pour une stratégie nationale et européenne », Rapport au Premier ministre, mars. Enjeux numériques – N°15 – septembre 2021 – © Annales des Mines 95 Yann Le Cun définit l’IA comme l’ensemble des techniques qui imitent l’intelligence humaine et permettent aux machines de reproduire des fonctions que l’on attribue aux humains : voir, se déplacer, trier et hiérarchiser des informations, comprendre un langage, prendre une décision… Pour Peter Capelli (2017), l’IA fait généralement référence à une large classe de technologies permettant à un ordinateur d’effectuer des tâches qui nécessitent normalement la cognition humaine, y compris la prise de décision. À cet égard, on distinguera l’IA faible (intelligence non sensible) de l’IA forte (une machine dotée de conscience, de sensibilité et d’esprit) appelée également « intelligence artificielle générale » (une machine capable d’appliquer l’intelligence à tout problème plutôt qu’à un problème spécifique) : l « Aujourd’hui, la difficulté, c’est que personne ne s’accorde sur ce qu’est l’IA… C’est un dénominateur commun qui va de l’IA faible à de l’IA forte. Aujourd’hui, ce qui fonctionne, c’est de l’intelligence artificielle faible ou très faible même… » (chef de projet). l « Pour moi, nous sommes plus sur de l’IA de l’ordre du discours, du marketing, que sur des processus et intelligents et artificiels » (responsable Hub). l « Dans l’IA, à l’heure actuelle, pour moi : il y a peu d’intelligence, et peu d’artificielle… On n’en est pas encore à des systèmes d’IA, super intelligents et très loin de l’homme. On est plus sur comment aider, comment suppléer l’être humain » (chef de projet). Plus encore, au-delà de ces acceptions différentes, il est frappant de constater combien le vocabulaire est foisonnant et évolue rapidement. Entre algorithme, IA conversationnelle, IA décisionnelle ou encore machine learning, deep learning, natural language processing, chatbot, voicebot, analyse sémantique (4)… se cachent de nombreuses techniques. L’IA est polymorphe, et les cas d’usage se multiplient. Rappelons dans le schéma ci-dessous ce que fait l’IA grâce à différentes technologies. Des pratiques en ressources humaines L’adoption de l’IA dans les RH est relativement récente et ultérieure à son introduction dans d’autres domaines (marketing/vente, production, supply chain…) : (4) PIPAME (pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques) (2019), « Intelligence artificielle : État de l’art et perspectives pour la France », rapport qui recense notamment les techniques de l’IA utilisées dans la sphère RH, février. Enjeux numériques – N°15 – septembre 2021 – © Annales des Mines 96 « Le capital-investissement dans des start-up spécialisées dans l’IA s’est en effet accéléré à compter de 2016 – il a même doublé entre 2016 et 2017 –, pour atteindre 16 milliards USD en 2017 (5) ». La fonction RH apparaît comme un marché prometteur pour les start-up. En France, on compte à peu près 600 start-up innovantes en RH et numérique, dont une centaine dans la RH et l’IA, même si de nombreuses technologies sont limitées, telle l’utilisation de la reconnaissance faciale pour l’analyse des sentiments, alors qu’elles sont déjà utilisées aux États-Unis et en Chine. L’IA est capable d’analyser une quantité de données difficiles à appréhender pour l’être humain. Aussi les tâches répétitives peuvent-elles lui être confiées, permettant aux professionnels des RH, mais aussi aux équipes et aux managers de se concentrer sur des tâches plus complexes (Dejoux et Léon, 2018 ; Dejoux, 2020), ouvrant la voie à « une expérience collaborateur augmentée ». C’est ce que l’on constate, par exemple, sur le terrain dans les aspects administratifs et juridiques de la fonction RH. Pour les autres aspects du management des ressources humaines, les applications de l’IA se révèlent différentes. L’IA peut permettre de faire correspondre une liste de candidatures avec une offre d’emploi, de proposer des formations et des orientations de carrière adaptées, de détecter les collaborateurs qui risquent de démissionner ou encore de mieux comprendre les phénomènes sociaux en entreprise. Un soutien administratif et juridique : la voie à des gains de temps D’ores et déjà, de nombreux supports administratifs et juridiques font appel à l’IA (assistants virtuels, chatbots) pour répondre de manière automatisée, en temps réel et quel que soit le lieu, aux questions posées par les collaborateurs (« où en est ma demande de formation ? », « à combien de jours de congé ai-je droit pour un mariage ? »), et renvoyer vers la documentation juridique adéquate ou le bon expert. Parmi les exemples de déploiement de l’IA dans le secteur juridique, citons celui d’EDF, qui a choisi de créer un chatbot juridique afin d’améliorer sa performance vis-à-vis des utilisateurs et permettre à ses juristes de se recentrer sur les dossiers à plus forte valeur ajoutée. Le chatbot prend en charge les questions globales autour de la gestion des absences, des demandes de congé, de la paie et de la politique salariale, des demandes liées aux aspects réglementaires de la gestion des ressources humaines : l « Afin d’arrêter de répondre aux mêmes questions juridiques et récurrentes est venue l’idée chez EDF de créer un chatbot juridique, qui permet aux juristes de se recentrer sur les dossiers à valeur ajoutée. Au départ, ce chatbot comprenait 200 connaissances juridiques puis 800, et les utilisateurs sont satisfaits à 75 % (6) » (juriste). Il en va de même à la Poste : l « À la Poste, pour les RH, l’IA, cela se traduit surtout en ce moment par des robots conversationnels, qui permettent de naviguer de manière intelligente dans des données complexes, volumineuses et non structurées, comme c’est le cas par exemple avec le Code du travail… On a ainsi des bases textuelles de règles, on a en fait numérisé les différentes bibles de gestion RH de l’entreprise, et l’intelligence de l’outil, c’est, face à une question, de renvoyer vers le bon corpus au bon endroit… Reste à la personne de lire le texte et de le comprendre. Le chatbot RH s’adresse en interne à plusieurs milliers de personnes » (chef de projet). La paye, dans ses aspects administratifs et juridiques, est également concernée par des solutions d’IA. La fonction RH emmagasine beaucoup d’informations relatives à la paye et aux processus qui lui sont associés. Le système de paye s’accompagne aussi aujourd’hui d’une obligation faite (5) https://www.oecd-ilibrary.org/sites/eba1ae69-fr/index.html?itemId=/content/component/eba1ae69-fr# (6) https://www.youtube.com/watch?v=LE9XT-FKK7k&t=6s Enjeux numériques uploads/Management/ia-et-management-des-ressources-humaines-article.pdf

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  • Publié le Mai 03, 2021
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