1 LA PERFORMANCE OU LE REFUS DU THÉÂTRE1 La performance n'aime pas le théâtre e

1 LA PERFORMANCE OU LE REFUS DU THÉÂTRE1 La performance n'aime pas le théâtre et s'en méfie. Le théâtre à son tour n'aime pas la performance et s'en distancie. Il existe entre ces deux arts une méfiance réciproque. Tout place la performance du côté des arts plastiques: son origine, son histoire, ses manifestations, ses lieux, ses artistes, ses objectifs, sa conception de l'art, son rapport au public2. Il faut lire le livre de Rose Lee Goldberg qui marque la généalogie de la performance à partir du surréalisme et du dadaïsme jusqu'à nos jours en passant par le happening de Kaprow, les manifestations de Fluxus. L'origine reconnue est picturale, sculpturale, architecturale, musicale, littéraire. Elle est rarement, et pour ainsi dire jamais, théâtrale, comme si le théâtre était une forme de décadence qui guettait les arts plastiques. C'est ainsi que Rose Lee Goldberg ignore volontairement des performances théâtrales qui se rapprochent pourtant très nettement du théâtre: ainsi les éphémères de Jodorowski, le délire d'Arrabal, les spectacles de Bob Wilson ou, plus près de nous, les performances de Valère Novarina. Les performances ont lieu pour l'essentiel dans les galeries, musées ou en plein air. Rarement dans les théâtres. Lorsque les performances ont lieu dans les théâtres, elles sont d'abord vues comme du théâtre (cf Rachel Rosenthal, Valère Novarina). Aujourd'hui, ce clivage est moins marqué dans la mesure où de plus en plus de gens de théâtre s'essaient à la performance. Mais ces performances 1 Ce texte a paru, pour la première fois, dans Protée, vol. 17, hiver 1989, pp. 60-66. 2 Cf . le livre de Rose Lee Goldberg qui marque la généalogie de la performance à partir du surréalisme et du dadaïsme jusqu'à nos jours en passant par le happening de Kaprow, les manifestations de Fluxus. L'origine reconnue est picturale, sculpturale, architecturale, musicale, littéraire; elle est rarement, et pour ainsi dire jamais, théâtrale, comme si le théàtre était une forme de décadence qui guettait les arts plastiques. C'est ainsi que Rose Lee Goldberg ignore volontairement des performances théâtrales qui se rapprochent pourtant très nettement du théâtre: ainsi les éphémères de Jodorowski, le délire d'Arrabal , les spectacles de Bob Wilson ou, plus près de nous, les performances de Valère Novarina. Les lieux: les performances ont lieu pour l'essentiel dans les galeries, musées ou en plein air. Rarement dans les théâtres. Lorsque les performances ont lieu dans les théâtres, elles sont d'abord vues comme du théâtre (cf Rachel Rosenthal, Valère Novarina). Aujourd'hui, ce clivage est moins marqué dans la mesure où de plus en plus de gens de théâtre s'essaient à la performance. Mais ces performances sont très loin des performances faites par des performeurs chorégraphes (Marie Chouinard), chanteur (Michel Lemieux), musicien (Rober Racine). Une remarque importante s'impose ici. Dans les années 80, il était possible de dire la proximité de la performance et du genre théâtral. À cette époque, j'écrivis d'ailleurs un texte qui s'intitulait "Performance et théâtralité" et concluait sur la théâtralité de la performance et son rapprochement évident du phénomène théâtral. Aujourd'hui, cela n'est plus possible, et il conviendrait de réécrire l'histoire. L'art de la performance des années 80 n'est plus celui des années 70. Le genre - car il est devenu un genre, un genre non homogène, très diversifié, mais un genre tout de même - a évolué, s'est modifié, s'est transformé. L'on observe à la fois un approfondissement des pratiques en même temps que ce que l'on pourrait appeler une "installation" dans la performance. Je veux dire par là que l'urgence qui gouvernait certaines performances des années 70 et les justifiait a disparu. Elle a été remplacée par une pratique dont les objectifs ne sont plus aussi clairs qu'ils ont pu l'être lors de l'émergence de cette forme artistique. 2 sont très loin des performances faites par des performeurs chorégraphes (Marie Chouinard), chanteur (Michel Lemieux), musicien (Rober Racine). Dans les années 80, il était possible de dire la proximité de la performance et du genre théâtral. A cette époque, j'écrivis d'ailleurs un texte qui s'intitulait "Performance et théâtralité" et concluait sur la théâtralité de la performance et son rapprochement évident du phénomène théâtral. Aujourd'hui, cela n'est plus possible, et il conviendrait de réécrire l'histoire. L'art de la performance des années 80 n'est plus celui des années 70. Le genre - car il est devenu un genre, un genre non homogène, très diversifié, mais un genre tout de même - a évolué, s'est modifié, s'est transformé. L'on observe à la fois un approfondissement des pratiques en même temps que ce que l'on pourrait appeler une "installation" dans la performance. Je veux dire par là que l'urgence qui gouvernait certaines performances des années 70 et les justifiait a disparu. Elle a été remplacée par une pratique dont les objectifs ne sont plus aussi clairs qu'ils ont pu l'être lors de l'émergence de cette forme artistique. Et pourtant tout place certaines performances d'aujourd'hui aussi du côté du théâtre, en particulier, leur écriture scénique, leur rapport au corps du performeur, au temps de la représentation, au réel, à l'espace. Toutefois, vouloir parler de la performance de façon générale dans son rapport au théâtre, condamnerait l'analyse à s'interrompre rapidement faute de paramètres communs. Une mise en garde s'impose donc. L'on ne dira jamais assez la diversité du phénomène de la performance. Depuis ses débuts, à la fin des années 60, à la suite des happenings et jusqu' à ses manifestations plus médiatiques d'aujourd'hui, en passant par les années d'or de la performance qu'ont été les années 70, la performance a toujours affiché une multiplicité d'inspirations et de formes qu'aucun autre art n'a pu préserver avec la même intensité. Venus a la performance d'horizons très différents (musique, peinture, danse, sculpture, littérature, théâtre), les performeurs ont progressivement intégré a leurs créations les média et la technologie moderne au point que ces technologies nouvelles constituent aujourd'hui l'une des caractéristiques essentielles de la performance des années 80 quoiqu'à des titres divers et avec une intensité plus ou moins grande. Et pourtant par delà cette diversité, un point commun unit les différentes performances et tout particulièrement une interrogation identique face à l'art et à la place que ce dernier doit occuper par rapport au réel. La performance se veut, en effet, mode d'intervention et d'action sur le réel, un réel qu'elle cherche à déconstruire par l'intermédiaire de l'oeuvre d'art qu'elle produit. Aussi va-t-elle travailler à un double niveau, cherchant d'une part à le reproduire en fonction de la subjectivité du performeur, d'autre part à le déconstruire par l'intermédiaire soit du corps--performance théâtrale-- soit de l'image--image du réel que projette, construit ou détruit la performance technologique. Dans un cas comme dans l'autre, l'image n'est jamais fixe et le performeur la manipule à son gré, selon l'installation qu'il a mise en place. C'est ce rapport à l'image que nous envisagerons ici comme un rapport au spéculaire, qui nous permet de classer aujourd'hui les performances en deux grandes catégories, l'une qui se situe du côté 3 du théâtral, l'autre du côté du technologique, soulignant par là une divergence d'ordre esthétique que l'évolution actuelle de la performance semble confirmer. En effet, face aux performances théâtrales qui semblent n’être que le prolongement des pratiques des années 70, les performances médiatiques connaissent depuis quelques années déjà un essor qui les a propulsées au devant de la scène, faisant d'elles un art autonome, doté de lois propres qui n'ont plus qu'un souvenir lointain avec les formes artistiques dont elles sont issues. Faut-il voir dans cette évolution la fascination de notre époque pour le monde de l'image dont J. Baudrillard et M. Pleynet ont montré l'importance aujourd’hui? Ou faut-il y voir plutôt le refus d'une certaine théâtralité que la performance affiche depuis ses origines? A ces deux questions il convient de répondre en s'interrogeant toutefois sur le prix que paye la performance pour cette évolution? Le théâtral de la performance M. Fried affirmait en 1968, "le succès, même la survie des arts, est venue à dépendre de manière accrue de leur faculté de mettre le théâtre en échec" et il ajoutait un peu plus loin: "L'art dégénère au fur et à mesure qu'il se rapproche du théâtre"3. L'on peut s'interroger sur les raisons de cette méfiance des arts, et il faut entendre par art les arts plastiques, par rapport au théâtre. Pourquoi cette inquiétude? Pourquoi ce refus? La méfiance de M. Fried à l'égard du théâtre porte en fait avec elle le refus de certaines notions fondamentales: celle de théâtralité tout d'abord (la performance ne doit pas faire appel au théâtral, faute de quoi elle sombre dans l'exagération, la mise en scène, le faux); celle de jeu ensuite (le performeur ne doit pas jouer, sinon il s'installe dans le mensonge puisqu'il n'est plus lui-même. Or jouer implique nécessairement de devenir autre en étant à l'écoute de l'autre en soi); celle de représentation enfin, notion fondamentale ici dans la mesure où la performance dès ses origines, devenues maintenant lointaines, insistait sur l'aspect "présence" de toute manifestation. Le temps s'y écoule effectivement et les corps s'y transforment de uploads/Management/ la-perfor.pdf

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  • Publié le Aoû 17, 2021
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