Christine Kerdellant Histoire des grandes erreurs de management Ils se croyaien

Christine Kerdellant Histoire des grandes erreurs de management Ils se croyaient les meilleurs… Denoël Christine Kerdellant, diplômée de HEC où elle a enseigné, a été chef d’entreprise avant de devenir journaliste et écrivain. Auteure d’une quinzaine d’essais économiques et de romans, dont en 2000 Le Prix de l’incompétence, déjà consacré aux erreurs des dirigeants, elle est directrice de la rédaction de L’Usine nouvelle et conférencière. À mon amour des 5 décembre Introduction « Il y a bien des manières de ne pas réussir, mais la plus sûre est de ne pas prendre de risques. » Benjamin Franklin On ne bâtit pas des Apple et des Microsoft avec des premiers de la classe. Quand Steve Jobs ou Bill Gates hier, Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg aujourd’hui, reçoivent un candidat à un poste de direction, ils lui demandent toujours de parler de ses échecs. Et pas question de répondre, comme les Français ont appris à le faire : « Ma première chute à bicyclette. » Mieux vaut avoir un ratage sérieux à raconter. Car aux États-Unis, et en particulier dans la Silicon Valley, celui qui n’a rien raté est celui qui n’a rien tenté. La première entreprise de Bill Gates fabriquait des logiciels pour faire fonctionner les feux rouges, et celle de Steve Jobs des petits gadgets en plastique permettant de passer des coups de fil gratuitement. Les deux ont échoué, ils n’en ont pas été traumatisés. En tant qu’employeurs, ils perçoivent l’échec comme une garantie : la certitude que leur collaborateur ne commettra pas deux fois la même erreur. Le meilleur des diplômes, c’est l’expérience. Bill Gates aime à dire : « J’ai un ami qui a réussi tous ses examens. Moi pas. Il est ingénieur chez Microsoft. Moi, je suis fondateur chez Microsoft. » Le système de formation français, tellement avide de parchemins et de diplômes, « fabrique » les élites les plus brillantes du monde… mais, jusqu’à une période récente, elles étaient incapables de créer une entreprise. Voire de la gérer. Car lorsqu’on parachute à la tête d’un groupe ces managers qui n’ont jamais managé que leur secrétaire dans une banque d’affaires ou un ministère, et qu’ils appliquent à l’entreprise leur géniale « vision stratégique », on obtient le Vivendi de Jean-Marie Messier ou le Dexia de Pierre Richard. Les François Pinault, Vincent Bolloré ou Xavier Niel, qui ont bâti des groupes pierre après pierre, qui ont su être « disruptifs » et triomphent aujourd’hui, ne sont pas des surdiplômés. Ils ont fait les frais de notre système scolaire, qui ne valorise que ceux qui excellent en mathématiques ou dans les disciplines purement académiques, et élimine implacablement ceux qui ont d’autres talents. Or parmi eux se trouvent de futurs artistes, de grands sportifs et… de grands entrepreneurs. La France grimace devant l’échec. L’échec embarrasse. Il fait peur. Il dévalorise. C’est un triple traumatisme : financier, personnel et professionnel, dont les Français mettent neuf ans à se relever, contre six ans pour un Allemand et un an pour un Norvégien, à en croire notre ministère des PME. Les banquiers marquent au fer rouge les dirigeants qui ont un jour déposé le bilan, et le fichier de la Banque de France, de sinistre mémoire, les a longtemps empêchés de recommencer. Un archaïsme bien français, que seuls les Japonais partagent, eux qui préfèrent envisager le seppuku plutôt que de vivre avec la honte. Dans la Silicon Valley, sur votre CV, vous développez aussi vos échecs ; en France, vous les transformez en année sabbatique. Sauf si vous faites partie des entrepreneurs de l’Internet. Eux affichent leurs erreurs comme des cicatrices de guerre. En eux réside sans doute l’espoir de faire évoluer les mentalités. Avec eux, le monde change, parler de ses faiblesses devient presque une mode : des failcons (conférences sur les failures, les échecs) sont désormais organisées à Paris, sur le modèle lancé à San Francisco en 2009. C’est le rendez-vous de ceux qui ont réussi… leur ratage. Les entrepreneurs viennent y faire la pédagogie de leurs défaillances, pour que ce partage d’expérience profite à tout le secteur. Les entrepreneurs les plus accomplis portent leurs erreurs en étendard : Marc Simoncini, fondateur du site de rencontres Meetic, a écrit un livre où il demande à ses pairs, de Pierre Kosciusko-Morizet (PriceMinister) à Jacques-Antoine Granjon (Vente-privée.com), de raconter leurs plus beaux loupés. Ce dernier a même décrit sur BFM, en novembre 2014, pourquoi il allait devoir fermer sa filiale américaine : il avait sous-estimé le fait que l’Amérique était le pays des outlets, des magasins d’usine et des négos au meilleur prix. Aude de Thuin, la fondatrice du Women’s Forum, de l’Art du jardin et de la Semaine du marketing, véritable experte ès tendances, raconte son expérience vécue et douloureuse dans un livre-thérapie, Forcer le destin. Quant à Frédéric Mazzella, le patron de BlaBlaCar, il affiche dans les bureaux une devise 100 % américaine : Fail. Learn. Succeed (« Échouer, apprendre, réussir »). Le leader français du covoiturage s’en explique : « Les échecs, c’est de l’apprentissage. Et l’apprentissage, c’est la réussite. » « Si vous n’avez jamais échoué, c’est que vous n’avez jamais rien tenté », répètent à l’envi les héros de la Silicon Valley, qui se complaisent à raconter dans des livres, des vidéos ou sur des blogs comme Startupfailures.com leur responsabilité dans la faillite de telle ou telle entreprise. Pour montrer aux gens trop brillants qu’accomplir de grandes choses suppose de ne pas avoir peur de se rater, Larry Page, le cofondateur de Google, confie à ses collaborateurs « super-intelligents » des missions impossibles, des problèmes insolubles sur lesquels ces cerveaux d’exception vont achopper. Son but avoué ? Les obliger à comprendre qu’un fiasco n’est pas la fin du monde. Pour les entrepreneurs de la côte Ouest, l’échec est tout bonnement indispensable à la réussite. Pourtant, ils n’ont rien inventé. Bien avant eux, le roi du stylo-bille, du rasoir et du briquet jetables, le baron Marcel Bich, reconnaissait : « Un patron, ça prend sept bonnes décisions pour deux foireuses et une carrément mauvaise. » Il parlait en connaissance de cause : ses trois triomphes avaient été suivis de quelques demi-échecs (partagés, il est vrai, avec son fils Bruno) dans les planches à voile, la haute couture et les collants, et d’un vrai ratage : le parfum à trois euros. Comme lui, Nicolas Hayek, le visionnaire président du groupe Swatch (et l’inventeur de la Smart), revendiquait « le droit à l’échec pour chacun d’entre nous ». Selon les calculs de la Harvard Business Review, plus pessimistes que ceux du baron, les entrepreneurs connaissent trois ratages pour un succès. Qu’ils décident seuls, à l’intuition, ou en s’entourant de conseils et d’études, tous ceux qui doivent choisir sont faillibles. Même les entrepreneurs visionnaires se trompent parfois, et ce livre qui raconte les défaillances des plus grands entend montrer à quel point le baron avait raison. En 2000, nous avions publié un premier ouvrage sur le même thème 1. C’était à l’aube de l’ère Internet. Déjà, les groupes avaient du mal à imaginer des plans à cinq ans, ils avaient le sentiment que les marchés évoluaient trop vite, que les retournements de situation étaient trop rapides pour que rien ne soit jamais acquis. Mais le « business » s’est accéléré au XXIe siècle, avec le numérique et l’« ubérisation » de l’économie. Dans de nombreux secteurs, des start-up lancent des plates-formes qui mettent en relation les particuliers entre eux et court-circuitent les entreprises. La concurrence pure sinon parfaite, qui n’existait que dans les manuels d’économie, se réalise d’un coup de pouce, sur un smartphone, en apparence au moins ; des sites favorisent la transparence, rendant possibles les comparaisons entre toutes les offres en une poignée de secondes. En parallèle, les frontières des marchés sont devenues plus floues : le smartphone ne concurrence pas seulement le téléphone fixe, il menace les éditeurs de journaux, la télévision, tous ceux qui se positionnent sur le marché du temps libre. Mais il leur offre, aussi, des opportunités. Les hiérarchies sont bousculées. IBM s’était fait doubler par Microsoft, Microsoft s’est fait doubler par Google. De nouvelles problématiques sont apparues. Les trentenaires ne peuvent pas se souvenir de la « poire » de Renault ou du New Coke, mais ils doivent connaître l’histoire secrète de ces échecs car en tirer les leçons demeure très utile. Ils ont vécu, en revanche, le désastre Vivendi sous la houlette de Jean-Marie Messier, les déboires de la Société Générale avec Jérôme Kerviel, la crise des suicides chez Orange, le logiciel effaceur de pollution de Volkswagen et les multiples erreurs de Google : il leur faut maintenant en comprendre les ressorts pour en tirer les enseignements. Il n’existe pas à proprement parler de « théorie de l’erreur ». Dans les écoles de commerce, les erreurs commises par les décideurs sont étudiées sous forme de cas pratiques, à défaut de les chercher dans Corneille (« Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes : ils peuvent se tromper comme les uploads/Management/histoire-des-grandes-erreurs-de-management.pdf

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  • Publié le Jan 25, 2022
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