La théorie positive de l'agence : lecture et relectures… ----------------------
La théorie positive de l'agence : lecture et relectures… -------------------------------------- Gérard CHARREAUX(*) _________________________ Septembre 1998 (*) Professeur en Sciences de Gestion, Directeur du Programme doctoral en Sciences de Gestion de l'Université de Bourgogne IAE DIJON - CREGO / LATEC 2, Bd Gabriel, Pôle d’Économie et de Gestion, BP 26611, 21066 Dijon Cédex ; Tel. 03.80.39.54.35; Fax. 03.80.39.54.88 E-mail : gerard.charreaux@satie.u-bourgogne.frIntroduction 2 Si on admet que le but ultime des sciences de gestion est d’aider à la création de richesse — ou de valeur en se conformant à l’usage actuel —, il est difficilement niable qu’une meilleure compréhension du fonctionnement des organisations et, plus particulièrement des entreprises, facilite la réalisation d’un tel objectif. Avant de conclure à l’inefficience1 d’une forme organisationnelle (par exemple, la coopérative ou l’entreprise publique), d’un mécanisme organisationnel (par exemple, le conseil d’administration), ou à l’inefficacité d’un système de gestion (par exemple, le système de promotion à l’ancienneté), et d’en proposer la suppression ou la réforme, encore faudrait-il en avoir compris le rôle et le fonctionnement au sein d’une architecture organisationnelle souvent extrêmement complexe. En ce sens, l’apport des théories néoinstitutionnelles des organisations — dénommées également, théories de l’économie organisationnelle ou théories contractuelles des organisations (désormais TCO)—, qui regroupent les théories des droits de propriété (désormais TDP), des coûts de transaction (désormais TCT) et de l’agence ainsi que certains courants de la théorie des conventions2, est considérable. Depuis plus de vingt ans, ces théories ont contribué à construire de nouvelles grilles de lecture des organisations et constituent la base d’une théorie des formes et de l’architecture organisationnelles en gestation. Ces théories ont deux grands domaines d’application, externe et interne à l’organisation. Dans le premier domaine, externe, elles se préoccupent de l’analyse du partage des activités sociales (production, échange, répartition) entre les marchés3 et les organisations ainsi qu’entre les différentes formes organisationnelles (entreprises privées sous leurs différentes formes : organisations à but non lucratif, administration et entreprises publiques…). Dans le second domaine, interne, elles étudient l’architecture organisationnelle, notamment les mécanismes organisationnels participant aux systèmes d’incitation et de contrôle (systèmes de rémunération, systèmes de mesure de performance, etc.). Toutes les approches traditionnelles relevant des différents domaines des sciences de gestion ont été influencées par ces théories qu’il s’agisse de la finance, du marketing, de la gestion des ressources humaines, du contrôle de gestion, de la comptabilité ou de la gestion de la production. Un des apports les plus essentiels de ces « nouvelles » lectures a peut-être été, au-delà de leurs contributions aux différents domaines fonctionnels, 1 L’efficience, que nous définirons plus précisément, ultérieurement, fait référence à la performance d’une entité collective appréciée par le bien-être procurée à ses parties-prenantes, c’est-à-dire par l’ensemble des individus dont l’utilité est affectée par les décisions de l’entité. En revanche, l’efficacité est une notion différente qui fait référence aux moyens employés par les acteurs pour atteindre leurs objectifs ; une négociation est réputée efficace si les acteurs ont utilisé au mieux leurs ressources pour atteindre leurs objectifs. L’agrégation des comportements efficaces des individus n’aboutit pas nécessairement à produire un comportement organisationnel efficient. Dans certains cas, on parlera également d’efficience « informationnelle » pour qualifier la capacité des marchés (notamment financiers) à réfléter l’information dans les prix. 2 Cette liste n’est pas exhaustive, on pourrait y ajouter la théorie économique de la bureaucratie, en particulier celle de la recherche de rentes (rent seeking) et certaines courant de la science politique (B.M. Mitnick, 1992). La théorie des contrats incomplets (O.D. Hart et B.R. Holmstrom, 1987 ; O.D. Hart, 1991) représente une approche normative qui permet également d’englober les différentes théories. La théorie des conventions n’est une composante de ces théories des TCO que dans la mesure où on admet que les conventions – c’est-à-dire, un schéma de comportement qui est coutumier, anticipé et autoexécutoire – sont issues de la confrontation des rationalités individuelles et constituent un moyen de coordination conduisant à réduire les coûts de transaction. Sur la formation des conventions, on consultera notamment H. Peyton Young (1996) et P.Y. Gomez (1996). On ajoutera, que certains aspects des TCO, notamment ceux qui sont liés à la production et à l’utilisation de la connaissance et au rôle de la sélection, conduisent également à faire des rapprochements avec la théorie évolutionniste des organisations ( R.R. Nelson et S. Winter, 1982). 3 Certains auteurs considèrent que les marchés sont une forme d’organisation particulière. Nous maintiendrons cependant cette distinction traditionnelle en considérant notamment que les marchés sont les interfaces entre les organisations et également entre les organisations et les individus, lorsque les transactions sont régies par un mécanisme de prix. Bien entendu, l’analyse du marché en tant qu’organisation chargée de produire les prix n’en est pas pour autant disqualifiée. 3 de réinsister sur leur interdépendance et, finalement, de leur proposer une grammaire commune. Bien que la séparation entre les différentes TCO soit de moins en moins tranchée, chacun des grands courants prétendant inclure l’autre, nous nous intéresserons plus particulièrement à la théorie de l’agence. L’idée qui sous-tend cette théorie est d’une simplicité extrême. En raison des divergences d’intérêts entre individus ou organisations, les relations de coopération s’accompagnent nécessairement de conflits inducteurs de coûts qui réduisent les gains potentiels issus de la coopération. La théorie de l’agence cherche soit à expliquer les formes organisationnelles comme modes de résolution de ces conflits ou, plus exactement, de réduction des coûts induits — théorie « positive » de la théorie (désormais TPA) —, soit à proposer des mécanismes qui permettent de réduire le coût de ces conflits — théorie « normative » ou, plus exactement, prescriptive4 de l’agence. Le point de départ, l’unité de base, de la théorie – la relation « conflictuelle » entre personnes – apparaissent ainsi différents de ceux qui sous-tendent la TDP (la structure des droits de propriété) et la TCT (la notion de transaction). Cependant, la jonction avec ces dernières se fait naturellement en précisant que les conflits portent nécessairement sur des droits de propriété et que toute coopération implique une transaction sur ces droits, entendus au sens large, c’est-à-dire relativement aux droits décisionnels résiduels et à l’appropriation des gains résiduels5. Pour situer le débat par rapport au thème actuel de la création de valeur, central dans les préoccupations des gestionnaires, les conflits potentiellement associés à toute coopération naissent soit de l’allocation des décisions régissant le processus de création de valeur, soit de l’appropriation de la valeur créée. Précisons cependant, dès à présent, que la notion de conflit ne doit pas être prise dans un sens agressif, comme le considèrent trop souvent certains critiques qui caricaturent la théorie de l’agence. Le fait que les intérêts des acteurs ne coïncident pas dans une relation de coopération ne signifie pas pour autant qu’un des acteurs cherche à exploiter une des autres parties. La TPA est avant tout est une théorie de la coopération efficace et non du conflit ; il n’y a conflit que parce qu’il y a coopération et perspective de gain mutuel. Les objectifs que nous poursuivons dans cet article sont à la fois multiples et modestes. Le premier objectif est de présenter les fondements du paradigme que constitue la théorie de l’agence, en montrant notamment comment ceux-ci ont évolué depuis les travaux fondateurs. Le second objectif est de mettre en évidence ce qui nous semble être le cœur de la TPA, c’est- 4 Cette distinction a été introduite par M. C. Jensen et W. H. Meckling (1976, p. 309 et 310) et, surtout, par M. C. Jensen (1983, p. 334 et s.). Ce dernier qualifie la branche normative de théorie « principal-agent ». Cette séparation qui peut apparaître arbitraire et qui tend à s'estomper, a pour l'essentiel des fondements « sociologiques » ; il existe un clivage assez net entre les milieux de recherche et les publications scientifiques utilisées pour la diffusion des travaux. La théorie normative apparaît plus formalisée et est, pour l'essentiel, due à des économistes moins directement intéressés par l'étude des problèmes de gestion. À partir de modèles fondés sur des hypothèses portant sur les structures de préférence des agents, les structures d'information et la nature de l'incertitude, cette théorie permet d’étudier le partage optimal du risque entre les agents, les caractéristiques des contrats optimaux et les propriétés des solutions d'équilibre selon l'optique de l' « analyse du bien-être ». En raison des difficultés liées à la formalisation, le cadre retenu reste relativement simple et ne retient le plus souvent qu'un principal et un agent, encore que l'analyse se soit fortement complexifiée dans les développements récents. Inversement, la TPA cherche principalement à comprendre les effets des modifications de l’environnement contractuel et des techniques de surveillance et de dédouanement sur la forme des contrats et la survie des organisations. Précisons que la branche normative n'est pas dépourvue d’implications explicatives ; elle peut permettre de comprendre certains phénomènes réels tels que, par exemple, l'existence des franchises dans les contrats d'assurance ou l'analyse des circuits de distribution ou encore, la structure des systèmes de rémunération. 5 Conformément à la décomposition proposée par P. Milgrom et J. Roberts (1992) uploads/Management/ la-theorie-positive-de-l-x27-agence-lecture-et-relecture.pdf
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- Publié le Fev 04, 2021
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