1948-05-00 L'AGRESSIVITÉ EN PSYCHANALYSE Conférence prononcée à Bruxelles en ma
1948-05-00 L'AGRESSIVITÉ EN PSYCHANALYSE Conférence prononcée à Bruxelles en mai 1948 au 11ème Congrès des psychanalystes de langue française, publiée dans la Revue Française de Psychanalyse, juillet-septembre 1948, tome XII, n° 2 pp. 367-388. L’AGRESSIVITÉ EN PSYCHANALYSE PAR JACQUES LACAN (367)Mon savant collègue ayant étudié l’agressivité en clinique et en thérapeutique, il me reste la charge de discuter devant vous si l’on peut en former une notion ou concept tel qu’il puisse prétendre à un usage scientifique, c’est-à-dire à objectiver des faits d’un ordre comparable dans la réalité, plus catégoriquement à établir une dimension de l’expérience dont les faits objectivés puissent être considérés comme des variables. Nous avons tous en commun dans cette assemblée une expérience fondée sur une technique, un système de concepts auquel nous sommes fidèles, autant parce qu’il a été élaboré par celui-là même qui nous à ouvert toutes les voies de cette expérience, que parce qu’il porte la marque vivante des étapes de cette élaboration. C’est-à-dire qu’à l’opposé du dogmatisme qu’on nous impute, nous savons que ce système reste ouvert non seulement dans son achèvement, mais dans plusieurs de ses jointures. Ces hiatus paraissent se conjoindre dans la signification énigmatique que Freud a promue comme instinct de mort : témoignage, semblable à la figure du Sphynx, de l’aporie où s’est heurtée cette grande pensée dans la tentative la plus profonde qui ait paru de formuler une expérience de l’homme dans le registre de la biologie. Cette aporie est au cœur de la notion de l’agressivité, dont nous mesurons mieux chaque jour la part qu’il convient de lui attribuer dans l’économie psychique. C’est pourquoi la question de la nature métapsychologique des tendances mortifères est sans cesse remise sur le canevas par nos collègues théoriciens, non sans contradiction, et souvent, il faut le dire, avec quelque formalisme. Je veux seulement vous proposer quelques remarques ou thèses, que m’ont inspirées mes réflexions de longtemps autour de cette aporie véritable de la doctrine, et aussi le sentiment qu’à (368)la lecture de nombreux travaux j’ai de notre responsabilité dans l’évolution actuelle de la psychologie de laboratoire et de cure. Je pense d’une part aux recherches dites behaviouristes dont il me semble qu’elles doivent le meilleur de leurs résultats (qui parfois nous semblent un peu minces pour l’appareil dont ils s’entourent) à l’usage souvent implicite qu’elles font des catégories que l’analyse a apportées à la psychologie de l’autre, à ce genre de cure – qu’elle s’adresse aux adultes ou aux enfants – qu’on peut grouper sous le terme de cure psychodramatique, qui cherche son efficacité dans l’abréaction qu’elle tente d’épuiser sur le plan du jeu, et où ici encore l’analyse classique donne les notions efficacement directrices. THÈSE I – L’agressivité se manifeste dans une expérience qui est subjective par sa constitution même. Il n’est pas vain, en effet, de revenir sur le phénomène de l’expérience psychanalytique. Pour viser des données premières, cette réflexion est souvent omise. On peut dire que l’action psychanalytique se développe dans et par la communication verbale, c’est-à-dire dans une saisie dialectique du sens. Elle suppose donc un sujet qui se manifeste comme tel à l’intention d’un autre. 1 1948-05-00 L'AGRESSIVITÉ EN PSYCHANALYSE Cette subjectivité ne peut nous être objectée comme devant être caduque, selon l’idéal auquel satisfait la physique, en l’éliminant par l’appareil enregistreur, sans pouvoir éviter pourtant la caution de l’erreur personnelle dans la lecture du résultat. Seul un sujet peut comprendre un sens, inversement tout phénomène de sens implique un sujet. Dans l’analyse un sujet se donne comme pouvant être compris et l’est en effet : introspection et intuition prétendue projective ne constituent pas ici les viciations de principe qu’une psychologie, à ses premiers pas dans la voie de la science, a considérées comme irréductibles. Ce serait là faire une impasse de moments abstraitement isolés du dialogue, quand il faut se fier à son mouvement : c’est le mérite de Freud d’en avoir assumé les risques, avant de les dominer par une technique rigoureuse. Ses résultats peuvent-ils fonder une science positive ? Oui, si l’expérience est contrôlable par tous. Or, constituée entre deux sujets dont l’un joue dans le dialogue un rôle d’idéale impersonnalité (369)(point qui requerra plus loin notre attention), l’expérience, une fois achevée et sous les seules conditions de capacité exigible pour toute recherche spéciale, peut être reprise par l’autre sujet avec un troisième. Cette voie apparemment initiatique n’est qu’une transmission par récurrence, dont il n’y a pas lieu de s’étonner puisqu’elle tient à la structure même, bipolaire, de toute subjectivité. Seule la vitesse de diffusion de l’expérience en est affectée et si sa restriction à l’aire d’une culture peut être discutée, outre qu’aucune saine anthropologie n’en peut tirer objection, tout indique que ses résultats peuvent être relativés assez pour une généralisation qui satisfasse au postulat humanitaire, inséparable de l’esprit de la science. THÈSE II – L’agressivité, dans l’expérience, nous est donnée comme intention d’agression et comme image de dislocation corporelle, et c’est sous de tels modes qu’elle se démontre efficiente. L’expérience analytique nous permet d’éprouver la pression intentionnelle. Nous la lisons dans le sens symbolique des symptômes, dès que le sujet dépouille les défenses par où il les déconnecte de leurs relations avec sa vie quotidienne et avec son histoire, – dans la finalité implicite de ses conduites et de ses refus, – dans les ratés de son action, – dans l’aveu de ses fantasmes privilégiés, – dans les rébus de la vie onirique. Nous pouvons quasiment la mesurer dans la modulation revendicatrice qui soutient parfois tout le discours, dans ses suspensions, ses hésitations, ses inflexions et ses lapsus, dans les inexactitudes du récit, les irrégularités dans l’application de la règle, les retards aux séances, les absences calculées, souvent dans les récriminations, les reproches, les craintes fantasmatiques, les réactions émotionnelles de colère, les démonstrations à fin intimidante ; les violences proprement dites étant aussi rares que l’impliquent la conjoncture de recours qui a mené au médecin le malade, et sa transformation, acceptée par ce dernier, en une convention de dialogue. * L’efficacité propre à cette intention agressive est manifeste : nous la constatons couramment dans l’action formatrice d’un individu sur les personnes de sa dépendance : l’agressivité intentionnelle ronge, mine, désagrège ; elle châtre ; elle conduit à la mort : (370)« Et moi qui croyais que tu étais impuissant ! » gémissait dans un cri de tigresse une mère à son fils qui venait de lui avouer, non sans peine, ses tendances homosexuelles. Et l’on pouvait voir que sa permanente agressivité de femme virile n’avait pas été sans effets ; il nous a toujours été impossible, en de semblables cas, d’en détourner les coups de l’entreprise analytique elle-même. 2 1948-05-00 L'AGRESSIVITÉ EN PSYCHANALYSE Cette agressivité s’exerce certes dans des contraintes réelles. Mais nous savons d’expérience qu’elle n’est pas moins efficace par la voie de l’expressivité : un parent sévère intimide par sa seule présence et l’image du Punisseur a à peine besoin d’être brandie pour que l’enfant la forme. Elle retentit plus loin qu’aucun sévice. Ces phénomènes mentaux qu’on appelle les images, d’un terme dont toutes les acceptions sémantiques confirment leur valeur expressive, après les échecs perpétuels dans la tâche d’en rendre compte qu’a enregistrés la psychologie de tradition classique, la psychanalyse la première s’est révélée à niveau de la réalité concrète qu’ils représentent. C’est qu’elle est partie de leur fonction formative dans le sujet et a révélé que si les images déterminent telles inflexions individuelles des tendances, c’est comme variations des matrices que constituent pour les « instincts » eux-mêmes, celles-là spécifiques, que nous faisons répondre à l’antique appellation d’imago. Entre ces dernières il en est qui représentent les vecteurs électifs des intentions agressives, qu’elles pourvoient d’une efficacité qu’on peut dire magique. Ce sont les images de castration, d’éviration, de mutilation, de démembrement, de dislocation, d’éventrement, de dévoration, d’éclatement du corps, bref, les imagos que personnellement j’ai groupées sous la rubrique qui paraît bien être structurale, d’imagos du corps morcelé. Il y a là un rapport spécifique de l’homme à son propre corps qui se manifeste aussi bien dans la généralité d’une série de pratiques sociales – depuis les rites du tatouage, de l’incision, de la circoncision dans les sociétés primitives, jusque dans ce qu’on pourrait appeler l’arbitraire procustéen de la mode, en tant qu’il dément dans les sociétés avancées ce respect des formes naturelles du corps humain, dont l’idée est tardive dans la culture. Il n’est besoin que d’écouter la fabulation et les jeux des enfants, isolés ou entre eux, entre deux et cinq ans pour savoir qu’arracher la tête et crever le ventre sont des thèmes spontanés de leur imagination, que l’expérience de la poupée démantibulée ne fait que combler. (371)Il faut feuilleter un album reproduisant l’ensemble et les détails de l’œuvre de Jérôme Bosch pour y reconnaître l’atlas de toutes ces images agressives qui tourmentent les hommes. La prévalence parmi elles, découverte par l’analyse, des images d’une autoscopie primitive des organes oraux et dérivés du cloaque, a ici engendré les formes des démons. Il n’est pas jusqu’à l’ogive uploads/Management/ lacan-jacques-l-x27-agressivite-en-psychanalyse-conference.pdf
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- Publié le Jui 02, 2021
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