Communications Les « points de contact » entre anthropologie et performance Ric
Communications Les « points de contact » entre anthropologie et performance Richard Schechner Citer ce document / Cite this document : Schechner Richard. Les « points de contact » entre anthropologie et performance. In: Communications, 92, 2013. Performance - Le corps exposé. Numéro dirigé par Christian Biet et Sylvie Roques. pp. 125-146; doi : https://doi.org/10.3406/comm.2013.2698 https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2013_num_92_1_2698 Fichier pdf généré le 18/03/2019 Résumé L''article interroge la pertinence actuelle des six points de contact entre théâtre et anthropologie définis en 1985 par l''auteur, Richard Schechner. À l''aide d''outils critiques caractéristiques de l''hybridité disciplinaire des Performance Studies (anthropologie, médecine, histoire), il envisage comme performances des pratiques rituelles dites «indigènes » et préhistoriques représentatives d''un «savoir incarné » délaissé ou déformé par le cadrage positiviste des sciences occidentales, et plaide pour une adaptation méthodologique à cet objet. Abstract The article interrogates the current relevance of the six points of contact between theatre and anthropology defined in 1985 by the author. By means of critical tools characteristic of the disciplinary hybridity of Performance Studies (anthropology, medicine, history), it frames as performance so-called “ indigenous” and prehistoric ritual practices representative of an “ embodied knowledge” left out or distorted by the positivist outlook of Western science, and pleads for a methodological adaptation to this object. Resumen El artículo interroga la pertinencia actual de los seis puntos de contacto entre teatro y antropologia definidos en 1985 por el autor, Richard Schechner. A la ayuda de herramientas criticas caracteristicas de la hibridad disciplinaria de las Performance Studies (antropologia, medicina, historia), el contempla como “ performance” las practicas rituales dichas indigenas y prehistoricas representativas de un “ saber encarnado” dejado o deformado por el encuadrado positivista de las ciencias ocidentales, y pleitea por una adaptación metodológica a este objeto. Richard Schechner Les « points de contact » entre anthropologie et performance En 1985, j'ai délibérément intitulé le premier chapitre de mon ouvrage Entre théâtre et anthropologie (1985, p. 3-33) « Points de contact entre les pensées anthropologique et théâtrale ». Moins de deux ans après la mort de Victor Turner, j'utilisais le terme « entre » – substitut de « liminal » – pour annoncer mon intention de prolonger ses idées et de les intégrer au champ d'études encore presque neuf des Performance Studies, dont le premier département universitaire avait été créé à New York University en 1980. Et, au-delà de Turner, je m'intéressais à un ensemble important de spécia- listes en sciences humaines nord-américains qui adoptaient le « tournant performatif ». D'Erving Goffman à Clifford Geertz, de Richard Bauman à William Beeman, de Barbara Myerhoff à Barbara Kirshenblatt-Gimblett et tant d'autres, la performance promettait un mode de compréhension dyna- mique des relations humaines dans la vie quotidienne et dans diverses situations extraordinaires. La « performance », telle que je la résumais alors (et c'est encore le cas), est un « large spectre » d'activités recouvrant les rituels et les jeux (dans toute leur variété déroutante et difficile à défi- nir), les divertissements populaires, les célébrations, les activités liées à la vie quotidienne, au monde des affaires, à la médecine, et les genres esthé- tiques du théâtre, de la danse et de la musique. Ce n'était pas tant que tout dans ces activités était performatif, mais plutôt que toutes possédaient des qualités susceptibles d'être analysées et comprises « comme » performance. La portée de cette théorie était sans limites. Je défendais l'idée que tout pouvait être évalué et analysé « comme » performance alors que ce qui « est » performance – domaine beaucoup plus restreint – ne pouvait être déterminé que dans des contextes culturels précis, eux-mêmes situés à des moments ou périodes précis. Les six « points de contact » abordés dans cet essai étaient les suivants : 1) transformation de l'être et/ou de la conscience, 2) intensité de la performance, 125 3) rapports public-acteurs, 4) séquence performative dans son ensemble, 5) transmission du savoir performatif, 6) comment les performances sont créées et évaluées. Après avoir passé ces points en revue, j'écrivais : « Ces six points de contact doivent être élargis et approfondis. Les méthodes anthropologiques et théâtrales sont en passe de converger. Un nombre croissant de praticiens traverse les frontières dans les deux sens » (ibid., p. 26). Je donnais alors comme exemples de ce brouillage des frontières le travail de mise en scène de Peter Brook, dont le spectacle Les Iks (1975) était inspiré de l'ouvrage du même nom de Colin Turnbull ; l'École internationale d'anthropologie théâtrale d'Eugenio Barba ; la « performance de l'ethnographie » théorisée et mise en pratique par Victor et Edith Turner ; le « jeu des castes indiennes » pratiqué par McKim Marriott à l'université de Chicago ; et le projet de « drame objectif » de Jerzy Grotowski. Je concluais ainsi mon chapitre : Je me tourne vers l'anthropologie non parce qu'elle serait une science bonne à résoudre des problèmes, mais parce que je sens qu'il y a convergence de paradigmes. Tout comme le théâtre s'anthropologise, l'anthropologie se théâtralise. Cette convergence est une occasion histo- rique d'échanges en tout genre. La convergence de l'anthropologie et du théâtre s'inscrit dans un mouvement intellectuel plus large dans lequel la compréhension du comportement humain passe de différences quan- tifiables de cause à effet, entre passé et présent, forme et contenu, etc. (et des modes d'analyse linéaires sous-tendant cette vision du monde), à une insistance sur la déconstruction/reconstruction des réalités : les pro- cessus d'encadrement, de montage et de répétition […] (ibid., p. 33). Quelle est donc ma position actuelle sur ces questions ? Les anciens « points de contact » sont-ils toujours pertinents ; y en a-t-il d'autres ; cer- tains, abordés il y a plus d'un quart de siècle, ont-ils disparu ; les para- digmes théâtral et anthropologique ont-ils convergé davantage ou ont-ils divergé ; le comportement humain est-il plus susceptible d'être analysé en termes culturels ou quantifiables ? Les anciens points de contact sont tou- jours valables. Mais ils concernent tous la manière d'aborder la création et la réception de performances à l'aide de méthodologies qui rapproche- raient les Performance Studies (alors, au début des années 1980, en cours de formation) et l'anthropologie : un programme méthodologique mutuel, si l'on veut. On a beaucoup progressé depuis. On a assisté au « tournant performatif » en anthropologie, particulièrement visible dans les œuvres de Goffman, 126 Richard Schechner Singer, Turner et Geertz, si l'on s'en tient aux anthropologues américains. Ce qui a suscité un intérêt croissant de la part à la fois des théoriciens de la performance et des anthropologues vis-à-vis de nombreux sujets, depuis les neurones-miroirs/la neurobiologie ; l'étude des centres performatifs paléo- lithiques : une réévaluation de la « peinture rupestre » non plus comme art visuel mais comme lieu cérémoniel ; l'application de la « performance eth- nographique » pionnière de Turner, en particulier dans le travail de sa femme Edith ; la multiplication des « connaissances locales » (pour reprendre le terme de Geertz) en lien avec le Théâtre de l'Opprimé et diffé- rents « théâtres du développement » – actions libératoires ou, moins positi- vement, interventions postcoloniales néo-libérales. Tous, et d'autres encore, forment une nouvelle galaxie de contacts entre les pensées anthro- pologique et théâtrale. Ces points ne sont pas isolés, ils se répondent. On peut les classer ainsi : 1) Incarnation. L'expérience comme socle de savoir indigène partagé à travers le jeu. Les épistémologies et pratiques indigènes réalisant l'unité de l'émotion, de la pensée et de l'action. Une partie de ce travail prolonge les « performances ethnographiques » mises en scène par Victor et Edith Tur- ner dans les années 1980. C'est un regard critique sur les travaux univer- sitaires occidentaux classiques, « objectifs », qui respectent la théorie indigène en/comme action. 2) Les sources de la culture humaine sont performatives. La question de la singularité humaine est fréquemment posée, parce que nous sommes une espèce narcissique. Aucun trait unique biologique, comportemental ou culturel ne distingue l'homme de l'animal, si ce n'est la complexité de l'ensemble. Ce qui m'intéresse, c'est la « performativité » : la capacité humaine à se comporter réflexivement, ludiquement, à présenter son com- portement comme « vécu deux fois »1. 3) Le cerveau comme site performatif. L'esprit est-il un muscle ? Peut-on former le cerveau ? Qu'ont en commun la transe, la catharsis et l'empathie, les neurones-miroirs et les techniques de formation émotionnelles ? Est-on en train de réhabiliter la théorie de Lamarck de la transmission héréditaire des caractères acquis ? Ce qui sous-tend ces trois (nouveaux) points de contact, c'est l'idée que « la performance constitue un répertoire de savoir incarné, un apprentis- sage passant dans et à travers le corps, ainsi qu'un moyen de création, de conservation et de transmission du savoir » (Taylor, 2003). Dans mon essai, j'évoquais les pensées « théâtrale et anthropologique » ; je parle maintenant du savoir incarné de l'anthropologie et des Perfor- mance Studies. Sans définir ici les Performance Studies2, je me contenterai de dire que la performance est un comportement deux fois uploads/Management/ les-points-de-contact-entre-anthropologie-et-performance.pdf
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- Publié le Mai 05, 2021
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