HENRY MINTZBERG LE MANAGEMENT Voyage au centre des organisations Traduit par Je
HENRY MINTZBERG LE MANAGEMENT Voyage au centre des organisations Traduit par Jean-Michel Behar et révisé par Nathalie Tremblay Deuxième édition revue et corrigée © Éditions d’Organisation, 1990, pour l’édition originale. © Éditions d’Organisation, 1998, 2004 pour la présente édition. ISBN : 2-7081-3093-5 © Éditions d’Organisation CHAPITRE 1 La profession de manager Légende et réalité Lorsque nous pensons organisation, nous pensons management. Il est certain que l’organisation ne se réduit pas aux managers et aux systèmes de gestion qu’ils ont créés. Mais ce qui distingue, avant tout, une organisation formelle d’un quelconque rassemblement d’hommes – d’une foule, d’un groupe informel – c’est la présence d’un système d’autorité et d’administration, personnifié par un ou plusieurs managers dans une hiérarchie plus ou moins structurée et dont la tâche est d’unir les efforts de tous dans un but donné. Ceci étant et en considération du grand engouement que le peuple américain entretient depuis maintenant plus d’un siècle avec l’archétype du manager de Horatio Alger à Lee Iacocca, il est très surprenant de constater qu’il existe si peu d’études sur ce que le manager fait réel- lement. Comme des milliers d’étudiants de l’époque, j’ai passé un MBA, un diplôme dont le but est ostensiblement de former des managers, sans m’interroger sur le fait que personne n’avait jamais étudié de façon valable ce que le manager faisait concrètement. Imaginez un programme d’études médicales qui ne s’intéresserait pas une seule fois au travail réel du médecin. Certes, il ne manque pas de travaux sur ce que les managers sont censés faire (par exemple, suivre tout un ensemble de prescriptions simples que l’on nomme la gestion du temps ou employer les ordinateurs selon les 22 À PROPOS DU MANAGEMENT © Éditions d’Organisation recommandations de quelques spécialistes techniques sans aucune responsabilité). Malheureusement, en l’absence d’une compréhension réelle du travail de ges- tionnaire, beaucoup de ces conseils se révélèrent incohé- rents, voire pur gaspillage. Comment qui que ce soit pourrait-il prescrire des changements dans un phéno- mène aussi complexe que le travail de gestionnaire sans en avoir, au préalable, une profonde compréhension ? Au milieu des années 60, James Webb, qui dirigeait la NASA, eut le désir d’« être étudié ». La NASA avait senti le besoin de justifier son existence par les retombées d’applications pratiques de ses recherches (innovations) et Webb comptait ses principes de gestion parmi ces innovations. Webb s’ouvrit de cette idée avec un de mes professeurs de la Sloan School of Management du MIT, et comme j’étais le seul étudiant en doctorat qui s’était spé- cialisé dans le management (par opposition aux systèmes informatiques, aux modèles mathématiques ou encore aux motivations des consommateurs etc.), il me demanda d’étudier Webb comme sujet pour ma thèse de doctorat. Je déclinai cette proposition qui m’apparut comme une idée incohérente. C’était bien sûr le MIT, après tout, le bastion de la science. Mais passer des journées entières assis dans le bureau d’un important manager, décrivant ce qu’il faisait, ne me disait absolument rien. (Quoique, un autre de mes professeurs m’avait dit, quelque temps plus tôt, que le but ultime d’une thèse de doctorat du MIT était avant tout « l’élégance ». Il ne faisait nullement allusion aux résultats.) De toute façon, j’avais choisi de faire une thèse sur la façon de développer les procédures de pro- grammation stratégique dans le cadre des organisations. Mais par bonheur, et ce ne fut pas la dernière fois dans ma vie, des forces extérieures me sauvèrent de moi-même. Mon projet de thèse échoua par manque d’une seule organisation désirant se soumettre à un tel exercice (ou par manque de ténacité dans mes essais pour en trouver LA PROFESSION DE MANAGER 23 © Éditions d’Organisation une). J’assistais, alors, à une conférence au MIT à laquelle était venu participer un nombre important de personnali- tés pour discuter de l’impact de l’informatique sur le manager. Ils n’aboutirent à aucune conclusion ; pendant deux jours, ils tournèrent en rond, à peine effleurèrent-ils, dans leurs discussions, le fait que l’usage de l’informati- que par les managers est fonction de la difficulté à « programmer » (quel que soit le sens que l’on peut sup- poser donner à ce terme) leurs tâches. Je fus frappé de ce qu’il manquait à tous ces spécialistes un cadre de pensée cohérent pour saisir la réalité du travail du manager. Ils ne manquaient, toutefois, certainement pas d’une connais- sance intrinsèque du phénomène ; ils travaillaient tous avec des managers et bon nombre d’entre eux étaient des managers. Mais, ce qui leur manquait, c’était une base conceptuelle pour appréhender ce sujet. J’ai appris deux choses à cette conférence. La première chose fut que le savoir explicite était très différent du savoir implicite et que les deux ont des conséquences importan- tes dans la conduite des organisations. La seconde chose fut de considérer qu’il existait une nécessité urgente d’une étude rigoureuse de ce que les managers font réellement, ce qui, même en un lieu comme le MIT, peut constituer la matière d’une thèse dont le but n’est pas l’élégance de la méthode mais la pertinence du sujet. Et c’est ainsi que j’ai commencé mes premières recher- ches sur le travail du « manager au quotidien » (ce fut le titre du livre publié à partir de ma thèse). Mais ce ne fut pas avec James Webb qui n’était plus disponible à ce moment. Utilisant un chronomètre (dans un style très pro- che de celui de Frederick Taylor lorsqu’il étudiait les ouvriers d’une usine quelques années plus tôt), j’observai au cours d’une semaine complète les activités de cinq managers dirigeants appartenant à : une grande société de conseils, un célèbre hôpital universitaire, une grande uni- versité, une société de technologie de pointe et une 24 À PROPOS DU MANAGEMENT © Éditions d’Organisation grande fabrique de biens de consommation. Une semaine, ce n’est pas très long mais je m’intéressais surtout à la durée et à la nature de leurs travaux plutôt qu’aux déve- loppements ultérieurs des sujets abordés dans le long terme. Ma thèse était achevée en 1968 et le livre en 1973 ; deux ans plus tard la Harvard Business Review publiait l’article que l’on trouve ici (avec quelques changements mineurs). Tout aussi bien dans ses orientations et le ton que j’y adoptais que dans le thème central que j’y traitais, cet arti- cle fut réellement la base de tous mes travaux postérieurs. Le New York Times – 29 octobre 1976 – (1) utilisa à pro- pos de ma description du « travail du manager » les termes de « chaos calculé » ou encore de « désordre contrôlé » . Il usait également d’une expression que j’en suis venu à pré- férer, à beaucoup d’autres, pour caractériser mes travaux : « la célébration de l’intuition ». Si vous demandez à des managers ce qu’ils font, ils vous répondront vraisemblablement qu’ils planifient, organisent, coordonnent et contrôlent. Alors, observons ce qu’ils font. Et personne ne sera surpris de constater que leurs activités peuvent difficilement être décrites au moyen des quatre mots ci-dessus. Quand on les appelle pour leur dire qu’une de leurs usi- nes vient juste d’être détruite par le feu et qu’ils conseillent à leur correspondant d’étudier s’il est possible de mettre en place un arrangement temporaire avec d’autres filiales étrangères pour assurer l’approvisionnement des clients, peut-on dire qu’il y a là planification, organisation, coordi- nation ou contrôle ? Et que penser lorsqu’ils sont en train de remettre en cadeau, à un employé qui prend sa retraite, une montre en or ? Ou lorsqu’ils assistent à une confé- rence pour y rencontrer d’éventuelles relations d’affaires ? Ou lorsque revenant de ce type de conférence, ils expli- quent, à un de leurs subordonnés, l’idée d’un produit inté- ressant qu’ils y ont glanée à ce moment-là ? LA PROFESSION DE MANAGER 25 © Éditions d’Organisation La réalité nous fait comprendre que les quatre mots- clefs qui ont dominé la gestion depuis qu’Henri Fayol, le spécialiste de l’économie industrielle, les a introduits en 1916, n’apportent que bien peu de précisions sur ce que font réellement les managers. Au mieux, décrivent-ils quelques vagues objectifs que des managers peuvent avoir lorsqu’ils travaillent. Mon but, ici, est très simple : briser les chaînes qui retenaient le lecteur aux quatre termes fondamentaux de Fayol et l’introduire à une vision plus supportable, et que je considère comme plus utile, du travail du manager. Cette vision est fondée sur ma propre étude du travail de cinq managers dirigeants, corroborée par un petit nom- bre d’autres travaux sur la façon dont divers managers uti- lisent leur temps. Dans certains de ces travaux, les managers sont soumis à une observation intensive (« dans leur ombre » est le terme que l’on y trouve employé), dans d’autres, on tient un journal détaillé de leurs activités, et dans un petit nom- bre, on analyse même leurs dossiers. Bien des genres dif- férents de managers sont ainsi étudiés ; les contremaîtres, les directeurs d’usines, les managers de direction géné- rale, les managers commerciaux, les administrateurs de centres hospitaliers, les présidents de uploads/Management/ management-mintzberg.pdf
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- Publié le Aoû 10, 2021
- Catégorie Management
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