Guy MOREL Daniel TUAL-LOIZEAU PETIT VOCABULAIRE DE LA DÉROUTE SCOLAIRE RAMSAY L

Guy MOREL Daniel TUAL-LOIZEAU PETIT VOCABULAIRE DE LA DÉROUTE SCOLAIRE RAMSAY La langue va où la dent fait mal. Proverbe. Le but du novlangue était non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée. Georges Orwell, 1984. Hors d’oeuvre Conseil de discipline dans un lycée au XXIe siècle On examinait, sous la présidence du manager de la communauté éducative, le cas d’un apprenant particulièrement rétif. Le jeune en cause, dont le suivi était pourtant assuré par un tuteur expérimenté, s’en était pris physiquement au coordinateur des apprentissages lors d’une séance de vie de classe. À sa charge encore, une série d’incivilités dont la dernière était d’avoir crevé par malveillance trois référentiels bondissants. Plusieurs commissions d’écoute, la signature de contrats qui fixaient des objectifs personnalisés balisant son parcours individualisé, tous les outils de remédiation étaient restés inopérants. En outre, son livret de compétences, recensant ses capacités depuis la maternelle, révélait des conflits socio- cognitifs non résolus et une attitude constamment négative devant 1 les situations-problèmes. Lourd dossier donc, et la sanction promettait d’être exemplaire... Les délibérations devaient pourtant prendre, d’entrée de jeu, un tour inattendu. Un intervenant extérieur associé à la co-éducation plaida en effet tout de suite l’indulgence. L’impétrant, dit-il, en dépit de ses débordements, n’avait-il pas réalisé un TPE de qualité et montré une maîtrise incontestable des TICE, manifestant par là qu’il était un sujet social capable d’élaborer ses propres stratégies de formation et de s’autoévaluer ? Avait-on suffisamment pris en compte ses compétences transversales ? On ne pouvait à ce jour désespérer d’en faire un véritable acteur-auteur de sa formation. Le coordonnateur de l’équipe, soutenu par les soupirs appuyés de deux autres médiateurs des apprentissages, répondit timidement : “Nous avons pourtant usé dans son cas de tous les leviers qu’offrent la pédagogie du détour et la pédagogie de la dissonance, particulièrement adaptées aux nouveaux publics!” Ces propos firent bondir deux délégués des géniteurs d’apprenants. Comment des adultes-référents, s’indignèrent-ils en choeur, pouvaient-ils afficher une telle assurance ? Trop d’entre eux, en républicains aveuglés par un élitisme méritocratique hors d’âge, restaient, on le savait bien, murés dans leur insularité, prisonniers d’une relation frontale avec le groupe-classe, incapables d’une réelle centration sur l’apprenant. Qui plus est, beaucoup négligeaient les évaluations formatives au bénéfice des seules sommatives. Normal donc que le jeune, humilié par des contrôles décevants, ait fini par extérioriser sa révolte. Un interlocuteur de proximité se mit alors de la partie. L’équipe éducative, insinua-t-il, n’avait en effet peut-être pas suffisamment perçu l’autrement dit que traduisaient les insultes et les coups. Replacés dans un contexte de communication, ceux-ci n’étaient-ils pas les signes d’une violence positive en émergence forte dans le champ de l’enseignement ? Finalement, un consensus s’établit et, à l’instigation du délégué des élèves élu au CVL, il fut décidé que le creveur de ballons signerait une nouvelle charte de comportement et participerait aux réunions de la commission chargée de la prévention des conduites à risques dans l’établissement. Les dispositifs intégrés dûment pilotés, les partenariats contractualisés par le lieu-ressources pour insuffler aux jeunes de cette REP un peu d’esprit citoyen, avaient une fois de plus prouvé leur efficacité. Introduction 2 À l’automne de 1999, nous avons publié des copies du baccalauréat du mois de juin précédent. Elles montraient chez la plupart des candidats, entre autres carences, de graves déficiences dans la maîtrise de la langue. L’équité nous fait obligation aujourd’hui de rendre la copie de l’institution scolaire. Elle n’est pas moins consternante. Un extravagant jargon envahit, en effet, les circulaires administratives, pollue les instructions officielles et prolifère dans les textes d’innombrables experts en pédagogie et de technocrates de tout poil. Le hors-d’oeuvre constitué de collages, que nous nous sommes amusés à rédiger et que le lecteur a pu lire en ouverture de ce livre, n’en donne qu’une petite idée. Un “volapük Ed.nat.”, comme l’a déclaré un ministre1 ? Ce serait un moindre mal. Car quelle profession peut se vanter de n’avoir jamais cédé à la tentation jargonnante ? Si tel était le cas, on pourrait en sourire et même en rire sans vergogne. Et d’ailleurs on aurait tort de s’en priver. On s’esclaffe devant des euphémismes comme conduites à risques pour “alcoolisme et usage de stupéfiants”, des tautologies cocasses comme professionnaliser le métier d’enseignant. Et il y a vraiment de quoi se taper sur les cuisses en entendant parler de référentiel bondissant (le ballon), de mobilité en milieu aquatique (la natation) ou de géniteurs d’apprenant (les parents), périphrases dont de modernes cuistres se gargarisent. Cependant, si grotesque qu’il soit, ce galimatias, qui emprunte volontiers aux vocabulaires de l’informatique (réseau, guidance), de l’entreprise (audit, compétences, efficience, management ), des statistiques (item ), ou encore de la psycho-sociologie (conflits cognitifs), du sponsoring (partenariat ), du scoutisme (guide des apprentissages) et même à Monsieur Trigano (organisateur des apprentissages ), s’est bel et bien imposé, à tous les niveaux, dans l’Éducation nationale. Bouleversant repères et pratiques, engendrant un bricolage pédagogique hasardeux, il a fini par compromettre, à tous les étages de l’édifice scolaire, la transmission des connaissances et par entraîner une dévaluation massive de la qualité des études. Plus personne n’ose nier d’ailleurs que s’est produit ces quatre ou cinq dernières années, non le redressement annoncé par les idéologues de l’efficience et les néo-pédagogues bien en cour, mais ce qu’un ministre2 a appelé pudiquement “un affaissement sur les fondamentaux”. Pour ne rien dire de la multiplication des incivilités, 1 Claude Allègre, France­soir, 23 novembre 1999. 2Ibidem 3 c’est-à-dire pour parler français des actes délictueux, signe le plus patent de la dégradation accélérée des conditions de l’enseignement. Faut-il s’en étonner ? Sauf à considérer que les mots n’ont aucune importance, on ne transforme pas en effet impunément l’élève en apprenant, acteur- auteur de sa formation, ni l’instituteur en professeur des écoles, et le professeur en médiateur des apprentissages ou en accompagnateur. Pas plus que l’on ne décrète sans conséquence que la classe doit éclater en groupes de besoins, que le savoir doit devenir le plus petit dénominateur commun entre savoir-faire et savoir-être, que la leçon, soudain périmée, doit être remplacée par une autodidaxie nouvellement proclamée, cette dernière fût-elle confiée aux ressources réputées miraculeuses des technologies de l’information et de la communication (TIC). Et comment ne pas voir que la remédiation, au prétexte d’aider les élèves, institutionnalise le retard scolaire, que l’individualisation est contraire au principe même de l’instruction publique et à son efficacité ? Que le prêchi- prêcha sur l’éducation à la citoyenneté, la prévention des conduites à risques, l’école lieu de vie et autres sornettes lénifiantes vise à exonérer les responsables de la politique scolaire de leur devoir d’instruction et de discipline ? Que la culture commune est à la culture générale ce que la soupe populaire est à un quatre étoiles du Michelin ? Ou encore que l’égalité des chances est la ruine de l’égalité des droits ? Mots prescrits contre mots proscrits ou discrédités. L’école est devenue le théâtre d’un combat feutré mais sans merci dont les enfants sont les premiers à faire les frais. Son enjeu : le contrôle des conduites enseignantes et du système éducatif. Son premier résultat : une déroute scolaire éclatante. Il est plus que temps de faire sortir cette sourde querelle de mots des murs capitonnés de l’institution afin que le public puisse en saisir les tenants et les aboutissants. Le lecteur trouvera dans ces pages un glossaire commenté des errances lexicographiques qui ont mis l’école dans l’impasse. Il ne prétend pas plus à l’objectivité qu’à l’exhaustivité. Nous ne nous sommes pas privés d’afficher nos partis-pris, tant dans le choix des citations introductives que dans le corps de chaque article. Chaque mot retenu est suivi de quatre à une étoiles selon qu’il est actuellement recommandé, communément admis, dévalorisé ou proscrit par les oukases des réformateurs d’hier ou d’aujourd’hui.. Les propositions pour l’École par quoi nous terminons ce livre sont le fruit de nos échanges avec les centaines d’instituteurs, de 4 professeurs, d’étudiants des Iufm, de parents et d’élèves qui nous ont fait part de leurs réactions et de leurs observations après la parution de notre ouvrage L ’Horreur pédagogique. Nous tenons à leur exprimer ici toute notre gratitude Guy Morel et Daniel Tual-Loizeau. A Acteur ---- “L’acteur est las, et vous tristes.” ( Denis Diderot.) Substantif utilisé métaphoriquement s’appliquant à l’élève, comme à tout un chacun considéré du point de vue de son rôle dans la société. Un courant des sciences sociales a décidé, dans les années 1980, que l’individu dispose d’une relative autonomie d’action et de pensée. Il n’est pas un agent totalement prisonnier des structures sociales... qui guideraient en sous-main sa destinée. L ’acteur possède des compétences, une réflexivité (capacité à analyser une situation) et des marges d’action3. Fi donc du poids des déterminations sociales : on ne subit plus, on agit, comme on peut, à sa place, l’essentiel étant de participer à la comédie. T ous acteurs, tous en scène ! Les “acteurs” de la filière uploads/Management/ petit-vocabulaire.pdf

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  • Publié le Mar 19, 2021
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