L'invisible (1870-1890) : une inscription somatique Author(s): Nicole Edelman S

L'invisible (1870-1890) : une inscription somatique Author(s): Nicole Edelman Source: Ethnologie française, nouvelle serie, T. 33, No. 4, VOIX, VISIONS, APPARITIONS (Octobre-Décembre 2003), pp. 593-600 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40990618 . Accessed: 10/06/2014 09:49 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Ethnologie française. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.140 on Tue, 10 Jun 2014 09:49:38 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions L'invisible (1870-1890) : une inscription somatique Nicole Edelman Paris X-Nanterre I RÉSUMÉ Dans la seconde moitié du XIXe siècle, et plus encore après les années 1860, le corps, en tant qu'organisme de chair, occupe en France une place grandissante dans l'interprétation des manifestations de l'invisible, fort nombreuses en ces décennies. A travers les expériences médicales entreprises dans les grands hôpitaux parisiens de la Charité et de la Salpêtrière, à travers celles de spirites et enfin à travers celles de théologiens catholiques, chacun cherche à démontrer la véracité de ses conceptions des visions et des hallucinations. Chacun prend appui, dans le concret de la réalité somatique, dans une surenchère d'arguments dont les enjeux sont le plus souvent opposés. Mots-clefs : Hysterie. Spiritisme. Hôpital. Hallucination. Lourdes. Nicole Edelman Université Parix X-Nanterre 200, av. de la République 92001 Nanterre nicole.edelman@wanadoo.fr ■ Expériences hospitalières Ces années sont celles de la toute-puissance de Jean Martin Charcot (1825-1893). Les travaux de ce médecin construisent une spécialité à part entière : la neurologie [Bonduelle, Gelfand, Goetz, 1996]. En janvier 1882, la première chaire des maladies du système nerveux est créée pour lui par Gambetta à la Salpêtrière. Les rapports entre anatomie et physiologie se modifient alors profon- dément grâce au développement considérable de l'étude clinique de ces pathologies nerveuses. La compréhension du cerveau humain en est bouleversée [Gasser, 1995]. Les études sur l'hystérie se déploient dans ce cadre neurolo- gique. Extases, hallucinations, visions deviennent l'objet d'expériences répétées dans différents hôpitaux. Autour de 1'« école de Paris », toutes sont rapportées à des phé- nomènes neurologiques liés à une pathologie hystérique. Elles sont le plus souvent obtenues sous hypnose que Jean Martin Charcot considère comme une hystérie expéri- mentale [Carroy, 1991]. Cette « neurologisation » vise non seulement à écarter toute conception non naturelle, mais aussi à pathologiser les phénomènes visionnaires, qu'ils soient catholiques, spirites ou plus généralement occultes. Les expériences hospitalières, accomplies selon des protocoles donnés comme scientifiques, sont trans- crites et publiées dans des revues et des ouvrages médicaux. Elles se déroulent essentiellement dans les hôpitaux de la Salpêtrière autour de J. M. Charcot et de la Charité autour de Jules Luys (1828-1897). Ces expé- riences sont ainsi largement reçues comme vraies. À la Salpêtrière, Désiré-Magloire Bourneville (1840- 1909), bras droit de Charcot de 1871 à 1879, observe précisément ces hallucinations : gaies, tristes, bien sou- vent « génésiques », à savoir liées au système génital. Il transcrit aussi le délire verbal des malades de la salle des hystériques et épileptiques non aliénées du service dont est responsable son patron. Ces femmes sont hallucinées. Elles voient des hommes, des animaux, des morts, la Vierge, etc. Ainsi, Rosalie Ler..., lors de ses attaques de crucifiements1, aperçoit la Vierge « dorée » et Jésus avec une grande barbe rouge [Bourneville et Régnard, 1876- 1878, t. 1 : 23]. Augustine a des visions, que Bourneville transcrit ainsi : « Tantôt, elle voit Jules (l'ouvrier peintre), qui tient un couteau d'une main, la menace et lui intime Vordre de venir avec lui ; il a sur les épaules des corbeaux qui appellent la malade ; tantôt elle voit le chariot des morts traîné par six bêtes de la grosseur d'un chien de Terre-Neuve, avec des oreilles toute noires, longues et plates. Les morts sont décharnés, ils ouvrent la bouche et ont des lumières dans les yeux. Le chariot est accompagné d'une dizaine d'hommes qui l'appel- lent, entourés de flammes, de corbeaux et ornés d'un drapeau tricolore» [Bourneville et Régnard, 1876-1878, t. 1: Ethnologie française, XXXIII, 2003, 4, p. 593-600 This content downloaded from 195.78.108.140 on Tue, 10 Jun 2014 09:49:38 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 594 Nicole Edelman 132]. Elle a de longs délires verbaux. Elle converse avec « ses Invisibles » : parents, amants, violeurs [Bourneville et Régnard, 1876-1878, t. 1 : 150]. Comme pour le délire alcoolique, la zoopsie appartient aussi au tableau clinique de ces hallucinations. Les hystériques voient des animaux de toutes sortes, généralement fort patibulaires, des bêtes souvent en forme d'araignées, parfois grosses comme une tortue noire et couverte de poils. Rats, souris, chiens, vipères, lion, lézard dans le ventre sont les visions les plus fréquemment rapportées. Catherine Paring... raconte ses poursuites de rats qu'elle rencontre lors de ses hallucinations [Bourneville et Régnard, 1876-1878, t. 3 : 81]. Une autre malade décrit « un serpent très gros, très long et tout vert »2 [Bourneville et Régnard, 1876-1878, t. 1 : 102]. Le délire des hystériques, hallucinatoire ou non, a toujours trait aux différents événements qui ont marqué leur vie. Bourneville souligne ces « réminiscences », sans pour autant les rattacher à des phénomènes psychiques, mais toujours, bien au contraire, à une étiologie neu- rologique hystérique [Bourneville et Régnard, 1876- 1878, t. 1 : 97]. Pour mieux observer ces phénomènes, les médecins provoquent eux-mêmes les hallucinations qu'ils désirent observer. Pour ce faire, ils mettent le malade en état de catalepsie ou de fascination, c'est-à-dire un état de dépendance hypnotique complète par rapport au médecin. Ce dernier simule alors certains actes, par exemple poursuivre un oiseau ou écraser un serpent... Le malade voit aussitôt ici un oiseau, là un serpent. Si le médecin évoque tel ou tel sentiment, tel ou tel ali- ment ou encore telle ou telle senteur, le malade réagit à son tour par la joie, l'admiration, le dégoût, le plaisir... L'hallucination du malade peut aussi être obtenue par l'absorption de certains produits : l'éther ou le nitrite d'amyle, par exemple. L'éther provoque chez Augustine, l'une des divas charcotiennes, des hallucinations très voluptueuses. Les effets du nitrite d'amyle sont en revan- che déplaisants : elle peut voir en ce cas des « yeux rouges, des dents bleues, du sang » [Bourneville et Régnard, 1876- 1878, t. 1 : 190]. À la Charité, J. Luys pose sur la joue ou le cou de ses malades des tubes contenant diverses substances. Il provoque ainsi toutes sortes de réactions de leur part, allant du plaisir au dégoût [Luys, 1887]. A la Salpêtrière, pour suggérer des hallucinations, les médecins Georges Guinon et Sophie Woltke entreprennent une série d'expériences variées. Ils posent des verres de couleur devant les yeux du malade. Ils le refroidissent ou le réchauffent. Ils le mouillent. Ils lui font entendre toutes sortes de bruits ou de sons, etc. « Chacun [des malades] l'interprète à sa manière et agit ou parle selon son interpréta- tion. C'est là précisément un des phénomènes caractéristiques de ce fait pathologique [...] » L'un évoque un bain froid en réaction à l'eau qu'il reçoit ; l'autre un incendie en regardant à travers un verre rouge ; un troisième se croit à un défilé militaire lorsqu'il entend le son d'une trom- pette... Les deux médecins closent ces expériences en affirmant : « En résumé, nous pouvons conclure des faits que nous avons rapportés : T Que dans le délire de la phase pas- sionnelle de V attaque hystérique, on peut modifier la marche des hallucinations et en créer de nouvelles à Vaide d'excitations diverses, mais toujours simples, des organes des sens. 2° Que ces hallucinations sont toujours indépendantes de la volonté de l'opérateur et laissées exclusivement à l'initiative du malade, qui s'approprie la sensation perçue et la transforme à son gré en une hallucination correspondant à ses habitudes, à son genre de vie, à ses souvenirs, en un mot à sa propre personnalité » [Charcot, 1893 : 54-55]. ■ Hystérie et hallucination Dans tous ces cas, l'hallucination est intégrée à la nosologie hystérique. Elle en constitue une des phases quasiment nécessaire et attendue. La crise hystérique débute normalement par la période épileptoïde, qui se divise elle-même en une phase tonique puis clonique de tétanisation, terminée par un moment de détente. La deuxième période est plus spectaculaire, c'est celle des grands mouvements, des contorsions, des tours de force, de Vare. La troisième propose toutes sortes d'attitudes : prière, extase, séduction... La quatrième enfin ouvre sur le délire et les hallucinations. Charcot note cependant que certaines périodes peuvent manquer. Pourtant, « si vous avez la clé », affirme-t-il, « vous êtes ramenés tout de suite au type que vous reconstituez dans votre esprit et, uploads/Management/ presses-universitaires-de-france 1 .pdf

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  • Publié le Oct 09, 2021
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