Recherches en danse 10 | 2021 Observer, analyser et dire le geste dansé Éditori

Recherches en danse 10 | 2021 Observer, analyser et dire le geste dansé Éditorial Observer, analyser et dire le geste dansé Federica Fratagnoli, Nicole Harbonnier et Christine Roquet Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/danse/4364 DOI : 10.4000/danse.4364 ISSN : 2275-2293 Éditeur ACD - Association des Chercheurs en Danse Référence électronique Federica Fratagnoli, Nicole Harbonnier et Christine Roquet, « Éditorial », Recherches en danse [En ligne], 10 | 2021, mis en ligne le 12 décembre 2021, consulté le 03 mai 2022. URL : http:// journals.openedition.org/danse/4364 ; DOI : https://doi.org/10.4000/danse.4364 Ce document a été généré automatiquement le 3 mai 2022. association des Chercheurs en Danse Éditorial Observer, analyser et dire le geste dansé Federica Fratagnoli, Nicole Harbonnier et Christine Roquet Préambule 1 Observer, analyser et dire le geste dansé sont trois actes fondateurs de l’une des pratiques les plus courantes du champ de la danse en France depuis les années 1990. On peut regrouper sous l’appellation élargie d’analyse du mouvement ces pratiques qui font de l’expérience du geste, de son observation et de son interprétation le cœur du travail en danse. Dans le champ de la formation, l’Analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé (AFCMD), appelée à ses débuts « kinésiologie » (ou « science du mouvement »), irrigue les savoirs techniques des danseuses et des danseurs, qu’ils et elles se consacrent à l’enseignement ou non. Dans le champ de la création chorégraphique et/ou du travail d’interprétation, les savoirs des analystes du mouvement ont trouvé également à s’épanouir, en un échange incessant entre les artistes créateurs (d’œuvres et de gestes) et leurs observateurs et observatrices immergé·es à leur côté dans les processus de création. Parallèlement aux spécialistes des systèmes de notation qui ont la compétence de retranscrire sur partition les paramètres le plus souvent cinématiques (mais pas uniquement) du mouvement dansé, les analystes du mouvement interrogent davantage la « couleur » du geste, ses tonalités dynamiques, ses nuances, ses variations infimes, ce que les danseurs et danseuses appellent sa « qualité ». 2 « Comment moduler ma palette expressive ? », peut se demander l’interprète ; « comment développer des outils d’analyse qui rendent compte de la singularité du geste de l’autre ? », peut se demander le ou la pédagogue ; « comment développer mon autonomie gestuelle et perceptive à partir des connaissances traversées ? », se demande l’apprenti danseur ; « quels savoirs autres permettraient de nourrir mes interrogations et intuitions artistiques ? », peut se demander le ou la chorégraphe ; « qu’est-ce qui m’émeut dans le geste de l’autre ? », s’interroge le spectateur ; « quelles sont les questions sous-tendues par mon regard ? », s’interroge le chercheur ou la Éditorial Recherches en danse, 10 | 2021 1 chercheuse en ce domaine. Les outils de lecture du geste de l’analyse du mouvement, qu’ils soient issus de systèmes déjà plus ou moins cernés (les systèmes labaniens1 ou l’Ideokinesis2, par exemple) ou bien qu’ils empruntent à d’autres champs de connaissances (biomécanique, neurophysiologie, psychologie, etc.) évoluent selon les problèmes toujours contextualisés auxquels ils aspirent à répondre. Selon les contextes et les points de vue, l’analyse du mouvement, dont la désignation demeure encore flottante, peut servir d’outil de création ou d’interprétation pour l’artiste – chorégraphe ou danseur – qui désire préciser, ouvrir ou moduler sa palette expressive ; viser une certaine efficacité dans l’optimisation de ses coordinations ; affiner un outil d’évaluation pour des examens en danse ; féconder une communication pertinente pour l’enseignant, le chorégraphe ou le critique d’art chorégraphique ; alimenter les recherches qu’elles soient d’ordre esthétique, anthropologique ou historique. 3 « Je veux savoir ce que je fais » disait la regrettée Trisha Brown. À cette remarque, tout analyste du mouvement pourrait ajouter en quelque sorte : « je veux savoir ce que je regarde et comment je regarde ». L’analyse du mouvement est une pratique fondamentalement empirique qui constitue l’un des savoirs incorporés par les danseurs et danseuses sans que cela soit toujours su ou reconnu en dehors du studio ou de la scène. Cette force de la pratique explique sans doute que le domaine se trouve en quelque sorte en jachère d’écrits théoriques. Mais, il faut bien dire que dans le champ des sciences humaines et sociales en France la question du geste humain est souvent occultée par le recours au concept de « corps » qui n’aide pas toujours à en penser la complexité3. Un peu d’histoire 4 Des philosophes de l’antiquité (Aristote, Galien…) jusqu’au début du XIXe siècle, l’observation du mouvement sert surtout à des fins de connaissances anatomiques, d’abord sur les animaux, puis sur les hommes. La chronophotographie développée par le médecin, physiologiste et photographe français Étienne-Jules Marey (1830-1904), au courant du XIXe siècle, marque un tournant important dans l’étude du mouvement animal et humain. En effet, cette innovation technique permet d’obtenir des images qui décomposent le mouvement, donnant ainsi accès à des phénomènes complexes que leur rapidité ne permettait pas d’observer à l’œil nu4. Elle marque le début de l’analyse biomécanique du mouvement qui trouvera, notamment, un écho privilégié dans le domaine sportif pour optimiser les performances des athlètes. 5 Dans le champ artistique, c’est au chanteur et pédagogue français François Delsarte (1811-1871) que l’on doit les débuts d’une approche qualitative du geste expressif dans le domaine théâtral. Tout en s’intéressant aussi à l’anatomie humaine, l’objectif de son travail est bien différent de ses contemporains scientifiques orientés vers la compréhension physiologique du mouvement dans un but surtout médical. Il s’agit pour lui de décomposer le comportement humain en unités d’action porteuses de significations expressives, le geste représentant « la traduction d’un mouvement intime5 ». Ses enseignements ont eu une influence déterminante sur les arts de la scène en Occident, et plus particulièrement aux États-Unis qui connurent « une véritable Delsartemania6 » vers la fin du XIXe siècle. Les pionniers de la danse moderne américaine, Isadora Duncan, Ruth Saint-Denis et Ted Shawn, ont baigné dans le delsartisme et cette approche expressive du geste ou encore son « Esthétique Éditorial Recherches en danse, 10 | 2021 2 appliquée » comme aime à l’écrire Franck Waille7, inspirera également nombre d’artistes en Europe comme, par exemple, Janine Solane (1912-2006), adepte de la danse libre en France ou encore Rudolf Laban, artiste et théoricien du mouvement en Allemagne. Ayant traversé les enseignements de la danse classique et de la danse libre, Janine Solane développe une méthode dans son école baptisée « Maitrise de danse Janine Solane » qui « enseigne des mouvements qui vont dans le sens du ‟développement naturel du corps” de l’enfant8 ». De son côté, Laban a été en contact avec le travail de Delsarte lorsqu’il séjournait à Paris entre 1900 et 1908 et en aurait reconnu l’aspect stimulant. La filiation entre ces trois pionniers de l’analyse expressive du mouvement (Delsarte, Solane et Laban) se retrouve dans leur conception partagée d’une appréhension globale de la personne, ainsi que dans leur quête d’un geste « authentique », capable de refléter notre impulsion intérieure. Les empreintes laissées par les circulations internationales du delsartisme ont cependant été peu étudiées et nécessiteraient de plus amples recherches historiques. L’article de Polina Manko sur « Sur les traces de Delsarte. Les circulations de la “science du geste expressif” dans la danse moderne russe (1910-1920) » arrive à point nommé pour nous offrir un début de défrichage sur des lignages méconnus d’artistes russes se référant aux enseignements de Delsarte au début du XXe siècle. Cet article révèle notamment l’influence des théories et des pratiques issues du delsartisme auprès de différents milieux artistiques (danse moderne, danse classique, théâtre, opéra) ainsi que l’existence d’un laboratoire choréologique ayant pour mission l’analyse du geste selon les lois du mouvement élaborées par Delsarte. 6 Si nous devons à Delsarte la prise en compte du corps, nouvelle pour l’époque, dans le travail de l’acteur, ainsi que l’analyse systématique du mouvement humain dans une visée expressive9, Laban représente celui qui a identifié et raffiné les différents paramètres qui caractérisent les fluctuations dynamiques et la singularité expressive du mouvement de chacun·e, travail rassemblé dans son système de l’Effort. L’ingéniosité et la pertinence de sa théorie est telle qu’elle constitue, à l’heure actuelle, une référence internationalement reconnue pour le travail expressif du danseur et de l’acteur. Intéressé avant tout par l’ouverture des possibilités qualitatives, expressives et relationnelles10, son travail est également intégré dans les pratiques de thérapie par la danse et le mouvement, et plus largement dans certaines approches psychologiques. 7 Par ailleurs, il est important de souligner la proximité de pensée et de pratique entre l’analyse du mouvement et le champ de l’éducation somatique. Si le terme « somatic11 », ne fut proposé par le philosophe américain et praticien de la méthode Feldenkrais, Thomas Hanna, que vers la fin des années 1970, c’était en fait pour rassembler, sous une appellation commune, une multitude de pratiques à l’œuvre depuis le début du XXe siècle partageant un intérêt certain pour une écoute sensible de l’expérience corporelle. Les pionniers en analyse expressive du mouvement que furent Delsarte et Laban influencèrent indubitablement la uploads/Management/ recharches-de-danse 1 .pdf

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  • Publié le Apv 28, 2021
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