LES GRANDS AXES DE L’ŒUVRE 11 Il est difficile de vouloir faire une présentatio
LES GRANDS AXES DE L’ŒUVRE 11 Il est difficile de vouloir faire une présentation exhaustive de l’œuvre de Serge Lebovici. Je ne m’y risquerai pas et je préfère donc insister sur quelques lignes de force de sa réflexion. Il me semble ainsi qu’on peut dégager quatre grands axes qui parcourent toute son œuvre, comme en filigrane, et qui organisent, qui sous-tendent – telle une charpente – les différents travaux de Serge Lebovici au fil des années. Ces quatre axes directeurs me paraissent être les suivants : 12 1 / Une tentative permanente d’articulation du concept de développement et de la notion de structure. Articulation et non pas assimilation. Ce que D. Widlöcher exprimait en 1980 dans son rapport au XLe Congrès des psychanalystes de langue française (soit un an après le fameux rapport de Serge Lebovici, lors du XXXIXe Congrès, sur « L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert ») en disant : Serge Lebovici « tente de montrer la différence entre une temporalité du développement (où s’inscrit la filiation des conduites, l’évolution des symptômes) et une temporalité de l’élaboration psychique (où se construit le souvenir) ». 13 2 / Une analyse des relations entre psychanalyse de l’adulte et psychanalyse de l’enfant. Et à ce propos, on peut à mon sens repérer deux mouvements successifs dans sa réflexion : un mouvement progrédient jusqu’en 1979 qui le conduit de la névrose infantile à la névrose de transfert avec, chemin faisant, la distinction si profonde et si utile entre névrose infantile et névrose clinique ; un mouvement régrédient ensuite, à partir de 1980, par l’approfondissement de l’étude des interactions précoces du bébé, celles-ci permettant alors d’éclairer l’organisation de la névrose infantile et de la névrose de transfert. 14 Ces deux mouvements, progrédient et régrédient, font ainsi écho à la double dimension de la notion d’après-coup elle-même chez S. Freud, comme l’a bien montré J. Laplanche : le passé influençant le présent mais le présent donnant sens, rétroactivement, au passé. 15 3 / Un intérêt intense pour les processus de transmission trans- ou intergénérationnelleavec toute une réflexion sur la dialectique serrée qui noue les phénomènes de filiation et d’affiliation. 16 4 / Une ouverture enfin sur le monde de la connaissance en général. Selon Serge Lebovici, en effet, il était important de laisser la psychanalyse se faire enrichir, féconder et interroger par toute une série de disciplines connexes (neurosciences, sciences cognitives, sciences de la communication, anthropologie, sociologie...) auxquelles, en retour, la lecture psychanalytique peut donner sens et cohérence au sein de l’histoire du mouvement des idées et des connaissances. 17 Cette position a certes donné lieu à des accusations de compromission et d’impureté. En réalité, l’adhésion profonde de Serge Lebovici à un modèle polyfactoriel de la psychopathologie l’amenait à penser que la psychanalyse n’avait rien à craindre des avancées actuelles des neurosciences et qu’elle avait au contraire tout à gagner à ne pas se résigner à vivre dans une tour d’ivoire. PRINCIPAUX THÈMES TRAVAILLÉS PAR S. LEBOVICI 18 Psychanalyse de l’adulte et psychanalyse de l’enfant n’étaient pas dissociables pour Serge Lebovici qui a beaucoup lutté pour qu’une formation à la psychanalyse de l’enfant puisse être introduite à la Société de psychanalyse de Paris (SPP). Beaucoup a déjà été fait mais beaucoup reste à faire même si, en 1997, le prix Bouvet de la SPP a été décerné pour la première fois à un travail effectué dans le champ de la psychanalyse de l’enfant par Nora Kurts (psychothérapeute-psychanalyste au centre Alfred-Binet)[3] Le 35e prix Maurice Bouvet a été attribué en 1997...[3]. 19 La démarche personnelle de Serge Lebovici est exemplaire en matière de psychiatrie du nourrisson et de formation à la psychanalyse précoce. Quand il aborde le bébé, à partir des années 1980, il a déjà été président de l’IPA (Association psychanalytique internationale) de 1973 à 1977, et il est déjà grand-père. Ainsi, son engagement vis-à-vis de la psychanalyse de l’adulte n’est plus à démontrer et, comme un certain nombre de pionniers de la psychanalyse de l’enfant, il se trouve alors dans cette position grand- parentale qui permet, peut-être mieux que la position parentale, un mixte d’empathie et de distanciation extrêmement efficace quant à la compréhension intime du très jeune enfant et de la dynamique familiale qui se joue autour de lui. 20 En tout état de cause, il y a bien dans sa démarche un mouvement rétrospectif qui le porte de la psychanalyse de l’adulte vers la psychanalyse de l’enfant, sans clivage et sans renoncement, démarche qui est au cœur même de la réflexion métapsychologique et qui est sans doute le meilleur garant que l’on puisse se donner quant aux formations, pour éviter que le choix du travail avec l’enfant ait valeur de résistance par rapport à l’analyse de l’adulte si ce n’est par rapport à l’analyse en général. 21 La psychanalyse, pour Serge Lebovici, est toute une et l’apport mutuel et réciproque des psychanalystes d’adultes et des psychanalystes d’enfants peut être très important si les uns comme les autres ne s’enferment pas dans une spécialisation étanche et exclusive. Tout ceci nous aide à comprendre que la clinique de l’enfant et du bébé ne peut pas être seulement descriptive mais qu’elle se doit d’être également interactive, empathique et historicisante. Sans doute est-ce là sa difficulté mais aussi sa richesse et son intérêt. 22 Pour se construire, le bébé a besoin d’une histoire et d’une histoire qui ne soit pas seulement une histoire génétique, mais une histoire relationnelle aussi. Les parents, comme les professionnels, doivent l’aider à s’inscrire ou à se réinscrire dans toute l’histoire de sa famille, voire de son groupe social et même de sa culture, ce qui donne toute sa place à l’effet de rencontre qui fait que le destin n’est pas un simple développement. 23 À la différence de l’amibe, l’être humain n’est pas prisonnier de son génôme (F. Jacob) et c’est d’ailleurs toute la question de la liberté qui se joue dans cet écart entre génôme et narrativité, laquelle donne accès à une histoire des désirs et des relations qui est peut-être différente de l’histoire vraie mais qui est une histoire rétrodite et, par là, tout autant constituée que constituante. 24 Je m’inspirerai maintenant du travail de F. Coblence quant à la recension des principaux thèmes qui fournissent la substance même de l’œuvre de Serge Lebovici. psychanalyse de l’adulte, observation 1 / Psychanalyse de l’enfant, 25 Pour S. Freud, « l’enfance de chacun est une sorte de passé préhistorique » et le défi de Serge Lebovici est d’avoir considéré que la psychanalyse de l’adulte, la psychanalyse de l’enfant et l’observation directe représentaient trois démarches aux statuts différents mais complémentaires quant à l’approche de cette préhistoire propre à chaque individu. 26 S. Freud était en fait à la fois un excellent observateur et un génial théoricien de l’après- coup, c’est surtout après sa mort qu’ont commencé à se déchirer les partisans de l’observation directe et ceux de la reconstruction dite pure et dure ! Tout au moins dans notre pays. On sait en effet l’importance du débat qui a eu lieu en France quant à la question de savoir quel est véritablement l’enfant de la psychanalyse. 27 A. Green s’est exprimé nettement à ce sujet, notamment dans son artice de 1979 sur « L’enfant modèle » et, Serge Lebovici l’ayant lui-même souvent raconté, il est possible de rappeler ici sans trahir de secret qu’A. Green posa un jour à Serge Lebovici la question suivante : « Quand cesseras-tu de t’occuper de l’enfant réel pour t’occuper de l’enfant vrai ? » 28 Dans son livre sur Le monde interpersonnel du nourrisson, D. N. Stern a plus récemment refait le point sur cette dialectique polémique entre les tenants de l’enfant observé et ceux de l’enfant reconstruit et il est certainement important de ne pas considérer les observateurs directs comme plus na ïfs qu’ils ne le sont et de ne pas se laisser happer par un cloisonnement fallacieux entre d’un côté un bébé pulsionnel et corporel qui serait celui de l’observation et un bébé sublimé et éthéré qui serait celui de la reconstruction... 29 Serge Lebovici nous propose au contraire une perspective synthétique et intégrative visant, nous l’avons vu, à articuler temporalité du développement et temporalité de l’après-coup, soit à mettre en relation le concept de genèse et celui de structure. 30 Rappelons encore une fois que le concept de développement nous tire plutôt du côté de l’endogène alors que le concept de destin nous renvoie davantage à l’effet de rencontre et en particulier de rencontre avec un autre porteur d’une histoire, ce qui montre bien à quel point la croissance et la maturation psychiques de l’enfant se jouent à l’exact entrecroisement de l’endogène et de l’exogène. 31 D’un point de vue étymologique, on remarque qu’en grec ancien, le verbe θεορειν signifie contempler, ce qui noue de manière étroite l’acte d’observation et l’activité de théorisation en se souvenant toutefois que les faits ne parlent pas d’eux-mêmes et uploads/Management/ s-lebovici.pdf
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- Publié le Dec 04, 2022
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