Université Gustave Eiffel La suggestion : un pharmakon constitutif de la relatio
Université Gustave Eiffel La suggestion : un pharmakon constitutif de la relation thérapeutique Unité de recherche LIPHA en Partenariat avec le CFC : MPPPH de l’AP-HP Master mention Philosophie, Parcours « Ethique médicale et hospitalière appliquée » Directeur de formation : Pr. Eric Fiat Septembre 2022 Nicolas MEROT Université Gustave Eiffel La suggestion : un pharmakon constitutif de la relation thérapeutique Unité de recherche LIPHA en Partenariat avec le CFC : MPPPH de l’AP-HP Master mention Philosophie, Parcours « Ethique médicale et hospitalière appliquée » Directeur de formation : Pr. Eric Fiat Septembre 2022 Table des matières Introduction 1 Approcher la technique de suggestion 7 Hypnose conversationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Berheim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Coué et l’autosuggestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Suggestion psychanalytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Approcher la notion de suggestion 19 La rhétorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Convaincre ou persuader ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Suggestion et relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 La suggestion comme pharmakon 29 Oppositions en série . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Vérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Un discours incarné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Conclusion 39 2 Introduction Les monuments, la mer, la face humaine, dans leur plénitude, na- tifs, conservant une vertu autrement attrayante que ne les voi- lera une description, évocation dites, allusion je sais, suggestion : cette terminologie quelque peu de hasard atteste la tendance, une très décisive, peut-être, qu’ait subie l’art littéraire, elle le borne et l’exempte. Son sortilège, à lui, si ce n’est libérer, hors d’une poignée de poussière ou réalité sans l’enclore, au livre, même comme texte, la dispersion volatile soit l’esprit, qui n’a que faire de rien outre la musicalité de tout 1. Jacques Derrida dans Dissémination 2 nous met sur la piste de Stéphane Mallarmé et de l’usage que ce dernier fait de cette notion de suggestion. Il s’agit, chez Mallarmé dans la Musique et les Lettres de théoriser son art poé- tique. Ce terme de suggestion pourrait être conçue comme une tentative de décrire l’effet produit par l’auteur sur son lecteur. Il dit dans un entretien avec le journaliste Jules Huret 3 : « Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve. C’est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole : évoquer petit à petit un objet pour montrer un état d’âme, ou, inversement, choisir un objet et en dégager un état d’âme, par une série de déchiffrements 4 ». On entend ici combien la poésie appartient aux sciences occultes, combien elle tient du sortilège. Il est question de la capacité du poème à « voiler », c’est à dire à ouvrir la possibilité en soi d’être dévoilé ; en un sens, Mallarmé dit, dans ce premier extrait tout ce qui doit être dit de la suggestion. Le poète qui suggère, construit les effets de rythme, de sonorité, les allitérations les consonances, il choisit les images, les métaphores. Il leur assigne le rôle de 1. Mallarmé, S., Igitur, Divagations, Un coup de dés, Paris, Gallimard, p. 303. 2. Derrida, J., La Dissémination, Paris, Le Seuil, 1972, p. 249. 3. Campion, P., Mallarmé. Poésie et philosophie., Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 43. 4. Mallarmé, S., op. cit., p. 391. 1 produire un effet sur le lecteur. Le lecteur de son coté, récepteur, non récepteur passif, mais récepteur actif, perçoit, assimile et consciemment ou non, laisse émerger dans son esprit, idées, pensées, émotions. Elles ont étés suggérées par le poète. Ainsi le poète prend pouvoir pour agir sur le lecteur. Il agit par le moyen de la suggestion. Mallarmé théorise la pouvoir créatif de l’allusion, de l’évocation et de la suggestion. Il décrète la supériorité de la « suggestion » sur la « dénomination ». La suggestion, évidemment, ne nomme pas. Elle emprunte des chemin détournés, elle se cache, pour être plus efficace. Trop frontale, trop visible, son effet dis- paraît. Parce qu’elle avance voilée, elle trompe la vigilance et arrive à ses fin. Il appartient au lecteur de réaliser le travail de « déchiffrement »nécessaire. C’est d’ailleurs cette analyse que que produit Campion dans la poétique de la suggestion 5 en s’attachant à déceler ce qui relève dans la poésie de Mallarmé de techniques de suggestion. A le suivre, on mesure combien la suggestion contient la possibilité d’imprimer sa marque dans le réel. Mallarmé propose là une définition de la suggestion qui lui confère une grande puissance créative. C’est une toute autre définition que celle qui suit. Dans L’homme qui rit, parlant de Barkilphedro, Victor Hugo dit : « Il excellait dans cet art, qu’on appelle la suggestion et qui consiste à faire dans l’esprit des autres une petite incision ou l’on met une idée à soi 6. » Chez Hugo, ce n’est plus une prescription à l’adresse du poète. Cette suggestion devient celle d’un manipulateur, dont les desseins sont clairement malhonnêtes. Dans ce passage de l’homme qui rit, Barkilphedro use d’un stratagème pour mieux faire souffrir celle dont il veut entraîner la chute, Josiane contre qui il manigance. Si le poète laisse à son lecteur l’opportunité de faire ce qu’il veut de la suggestion placée dans le poème, ce n’est pas le cas chez Hugo. Barkilphedro pousse Josiane à se rendre à un spectacle, anticipant et prévoyant toutes les conséquences en cascades que produira ce simple fait. Il s’arrange pour qu’elle ne se rende pas compte qu’en allant voir « l’homme qui rit », elle obéit en réalité à une injonction qui lui est faite. Victor Hugo propose une acception de ce terme bien moins flatteuse qui pointe son caractère maléfique. Nous avons donc ici deux visions qui semblent opposées : pour Mallarmé, idéal de création, pour Hugo, procédé de bandit, vile manipulation. 5. op. cit., p. 43 à 78. 6. Hugo, V. L’homme qui rit, A. Lacroix et Verkoekhoven, Paris, 1869. 2 C’est en effet de suggestion qu’il sera question ici. Ce détour par la poésie aura permis un décentrement de la relation médecin–malade qui n’est sans doute pas sans lien avec la relation poète–lecteur. En ce qui concerne ce travail, c’est l’usage de la suggestion dans la relation médecin patient qui m’intéresse. C’est donc une technique, un outil que je propose d’examiner, un outil aux vertus contradictoires ; un poison qui sait se faire remède, à moins que ce ne soit le contraire. C’est, si l’on suit Derrida, la définition d’un pharmakon. Je suivrai ce fil rouge. À suivre ce fil, je serai amené à le considérer plus que comme un seul outil, mais comme un effet consubstantiel de la relation. En médecine, suggestion et hypnose sont deux termes qui sont historique- ment associés. C’est en se formant à l’hypnose que l’on apprend la suggestion. Ces deux termes sont utilisés de telle manière qu’ils paraissent presque être indissociables. Dans le sillon de Milton H. Erickson, L’hypnose connaît de nos jours un succès renouvelé. Technique de soins déjà décrite et étudiée dès le XVIIè siècle, elle connut une succession de périodes de succès et de déclin. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que le renouveau de cet intérêt. En effet, l’hypnose charrie avec elle des représentations peu flatteuses, tantôt identifiée aux spec- tacles de music-hall, tantôt aux divers charlatans qui peuvent, ou ont pu, uploads/Management/ suggestion-n-merot 1 .pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/6xOfVrvp0b8JsQdAJksL1cuNg4Q0JIzvLBcAnq66jimgQMhGDSjLbkLFjRQMw9ztJdisnAtUC786KKqeQPXtkJRr.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/fztNHPCAWsclhbEBj2hyMVMTjc1yNmHxAopUf91vON8nMYDRA4ISOJvWnLjaE7nbM5ZDjMlBLEB1PT72xoXK2NOI.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/HlIq8BLIb7QmCzvRyVLJA5OnnUdCNuaVNrhxmf7od544p8fkJ2X8m9c5xI8ioqpAwpiIFqGgC5A3BfSWGqgI996w.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Zzu9ZuS6ITPtKtNoR7316jt8jtBc5scrzCe4ExMj3chZ8XQmeSitzACSPItTJod3d2lZs3VsvngkrhEW9aG4RbEl.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/TnW8NLBieNktQhhgtsBSzW7qm29enqfHi9ZglMw8jO1CKsrtyccrShLnCbwFw6bd0M7575BqDLfHlyyZNhtOIuqC.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/pKJJc3eamERXvxbySAmDjGYYqyf24yHFP1VGNEFQ5YBsdnIEuhWfxOtKa8oQnVl4q239AmNQt4BabSYfPH6D7pEb.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/dsLmRIQCRHB3Pi2Tcb14CyAb6DPi48xN4DJKbRHjzL5N9up3AvTxQ2IyVDIyYCH7Ghz6BJzaMoFdAU7MM24YHFCA.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/m6KEapg8D4IHuh15muMlHutO400wl4ZUb21nN7qluFLjHTjIuR5xgySqNg8t7wRccyOGS5Q8Dn1KUNrOxuWqVFeX.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/FbqkpNx3ut72RjoUpsdmKkzYtNApzV7lTZYcZFWbBdvGi4D8Sc8NhPMMIPUVl9NobijWnfWwFEwBd464XG1f6wTi.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/90tTkdrHn5gnMHlRfxBQItSEJxzJ5gt7v2sJf2L57bU8l7jJM6sybphvAIdOZVKq3uFR11b8KuHDBv6FkwnlVnRO.png)
-
26
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 21, 2022
- Catégorie Management
- Langue French
- Taille du fichier 0.3055MB