LE TEST DE NÉCESSITÉ ENVIRONNEMENTALE ET LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION COMME ÉLÉMEN

LE TEST DE NÉCESSITÉ ENVIRONNEMENTALE ET LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION COMME ÉLÉMENTS DU DROIT DE L’EAU DOUCE Par Cosmina Chetan* et Lucian Bojin** Les auteurs analysent les potentiels effets sur le droit de l’eau douce des développements pratiques de deux concepts relativement récents : le test de nécessité environnementale et le principe de précaution. Provenant des deux champs différents du droit international (le droit du commerce international et le droit de l’environnement), les deux sont susceptibles d’influencer le droit de l’eau douce par plusieurs modalités, que les auteurs passent en revue. Leur conclusion est que la complémentarité des deux instruments peut rendre plus utile leur contribution (conjointe ou séparée) à la résolution des certains problèmes du droit de l’au douce. The authors ask themselves what might be the effects over the Water Resources Law of the practical developments of two relatively recent concepts: the environmental necessity test and the precautionary principle. Originated in two different fields of the International Law (International Trade Law and Environmental Law), the two are able to influence the Water Resources Law through different modalities, that the authors examine. The conclusion is that the complementarity of the two instruments can be helpful in order to increase the utility of their (independent or conjunct) contribution to solving some of the problems that Water Resources Law confronts with. * Juge au tribunal de première instance de Sibiu, Roumanie. ** Avocat au Barreau de Arad, Roumanie et assistant universitaire à l’Université de l’Ouest de Timisoara, Roumanie. (2006) 19.2 Revue québécoise de droit international 126 La nécessité environnementale est une notion dont la portée juridique est due, pour l’essentiel, à l’accord du GATT. Son article XX (tant avant qu’après 1994) énonce une série d’exceptions au régime établi par l’accord, dont la possibilité pour un État membre de mettre en œuvre des mesures qui sont jugées « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux »1. D’autres instruments internationaux adoptés dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contiennent des dispositions similaires. Tel est le cas de l’article XIV de l’Accord général sur le commerce des services et des articles 2.2 et 5.4 de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce2. Plus précisément, l’article XX b) du GATT est libellé comme suit : Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures: [...] b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux. La norme contenue dans l’article XX b) du GATT a donc trois éléments constitutifs qui peuvent être présentés aussi comme trois étapes à parcourir pour vérifier l’incidence de cette norme. Dans l’affaire États-Unis – Essence, le Groupe spécial de l’OMC a exposé cet ordre logique d’analyse comme suit : 1) la politique dans laquelle s'inscrivaient les mesures pour lesquelles la disposition était invoquée entrait dans la catégorie des politiques destinées à protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou à préserver les végétaux ; 2) les mesures incompatibles pour lesquelles l'exception était invoquée étaient nécessaires pour atteindre l'objectif de ladite politique ; et 3) les mesures étaient appliquées en conformité avec les prescriptions du paragraphe introductif de l'article XX.3 [Nos italiques] Le « test de nécessité environnementale » comprend donc les deux premières étapes. Dans un premier temps, l’aspect « environnemental » de la mesure ou de la 1 Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, 55 R.T.N.U. 187 (entrée en vigueur : 1er janvier 1948) [GATT de 1947]. 2 Accord sur les obstacles techniques au commerce, 15 avril 1994, en ligne : OMC <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/legal_f.htm> (entrée en vigueur: 1er janvier 1995). 3 États-Unis – Normes concernant l'essence nouvelle et ancienne formules (Plainte du Venezuela et du Brésil) (1996), OMC Doc. WT/DS2/R au para. 6.20 (Rapport du Groupe spécial) [États-Unis – Essence]. Droit de l’eau douce 127 politique visée est abordé. Nous appellerons cette première étape de « test environnemental ». Dans un second temps, c’est la nécessité de la mesure ou de la politique qui est évaluée. Nous appellerons donc cette deuxième étape « test de nécessité ». En ce qui a trait au « test environnemental », il s’agit de vérifier si l’objectif poursuivi par la mesure en cause vise la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux. Un organe juridictionnel de l’OMC, soit le Groupe spécial ou l’Organe d’appel, devra établir si la mesure contestée (ou incompatible de manière générale avec le GATT) vise ou fait partie d’une politique visant à protéger la vie ou la santé des personnes ou des animaux ou à préserver les végétaux. Jusqu’à présent, les organes de l’OMC ont constaté que les objectifs des mesures en cause s’inscrivaient parmi ceux énumérés à l’article XX b) dans quatre cas. Ainsi : - dans l’affaire Thaïlande – Cigarettes, le Groupe spécial a reconnu que « l'usage du tabac constituait un risque sérieux pour la santé des personnes et qu'en conséquence les mesures destinées à réduire la consommation de cigarettes entraient dans le champ d'application de l'article XX b) »4; - dans les affaires du Thon, États-Unis – Thon (Mexique)5 et États-Unis – Thon (CEE)6, les groupes spéciaux ont admis que la protection de la vie et de la santé des dauphins « était une politique qui pouvait relever de l'article XX b) »7; - dans l’affaire États-Unis – Essence, le Groupe spécial a établi qu’ « une mesure destinée à réduire la pollution de l'air résultant de la consommation d'essence entrait dans la catégorie des mesures concernant la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux mentionnées à l'article XX b) »8; - finalement, dans l’affaire CE – Amiante, le Groupe spécial a affirmé qu’ « en principe, une politique visant à réduire l'exposition des personnes à un risque devrait entrer dans le cadre de l'objectif général de protection de la santé et de la vie des personnes, pour autant qu'un risque existe »9. 4 Thaïlande – Restrictions à l'importation et taxes intérieures touchant les cigarettes (Plainte des États- Unis) (1990), GATT Doc. IBDD, S37/214, au para. 73 (Rapport du Groupe spécial) [Thaïlande – Cigarettes]. 5 États-Unis – Restrictions à l'importation de thon (Plainte du Mexique) (1991), OMC Doc. DS21/R aux paras. 5.24-5.29 (Rapport du Groupe spécial) [États-Unis – Thon]. 6 États-Unis – Restrictions à l'importation de thon (Plainte de la Communauté européenne et des Pays- Bas) (1994), OMC Doc. DS29/R aux paras. 5.30 (Rapport du Groupe spécial). 7 Ibid. 8 États-Unis – Essence supra note 3 au para. 6.21. 9 Communautés européennes – Mesures affectant l'amiante et les produits en contenant (Plainte du Canada) (2000), OMC Doc. WT/DS135/R au para. 8.182 (Rapport du Groupe spécial) [CE – Amiante 2000]. (2006) 19.2 Revue québécoise de droit international 128 Il en résulte donc qu’en matière de « test environnemental », il est assez aisé de qualifier une mesure comme entrant dans le champ général d’application de l’article XX b). Le seul cas qui pourrait soulever des problèmes est l’affaire CE – Amiante10, où le Groupe spécial parle du risque pour la santé qui doit être prouvé par la partie défenderesse11. La question ne manque pas d’intérêt, car il s’agit d’abord de l’appréciation d’un sujet environnemental faite par un organe non spécialisé. Les organes de l’OMC sont en effet composés d’experts en commerce, et non pas d’experts en droit environnemental12. Le test de nécessité et la vérification de la conformité des mesures avec le paragraphe introductif de l’article XX b) supposent, quant à eux, des analyses de type économique. Dans le premier cas, il s’agit en principe d’une analyse de type coûts- bénéfices d’alternatives possibles à la mesure contestée. Dans le deuxième cas, il s’agit d’étudier les effets de la mesure sur la concurrence, donc un aspect purement commercial. Seul le test environnemental semble obliger l’organe de l’OMC à fournir une qualification relevant du droit environnemental. Le test de nécessité suppose une analyse des alternatives à la mesure en cause. Ainsi, dans l’affaire Thaïlande – Cigarettes, le Groupe spécial a défini le critère de « nécessité » comme suit : les restrictions à l'importation imposées par la Thaïlande ne pouvaient être considérées comme "nécessaires" au sens de l'article XX b) que s'il n'y avait pas d'autres mesures compatibles, ou moins incompatibles, avec l'Accord général qu'elle pouvait raisonnablement être censée employer pour atteindre les objectifs de sa politique de santé.13 Selon cette définition, une mesure apparaît comme nécessaire dans les situations suivantes : - lorsqu’il n’y a pas d’autres mesures compatibles avec le GATT, ou moins incompatibles avec celui-ci, pour atteindre les uploads/Management/ test-de-necessite-omc-pdf.pdf

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  • Publié le Jul 04, 2022
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