Le sport et l’entreprise en France. Sociologie historique des modèles d’organis
Le sport et l’entreprise en France. Sociologie historique des modèles d’organisation et des rapports de force en présence Sport and companies in France. Historical sociology of organizational models and power relations Deporte y empresas en Francia. Sociología histórica de los modelos de organización y las relaciones de poder en presencia Jean-Paul Callède RÉSUMÉS FRANÇAIS ENGLISH ESPAÑOL L’entreprise est au cœur d’enjeux complexes, parfois contradictoires et antagonistes. Cette étude traite en particulier de la question sportive dans ce secteur. En effet, plusieurs modèles – et contre-modèles – de l’activité sportive organisée se sont succédé et même concurrencé, au gré des rapports de force en présence, depuis les années 1890 jusqu’à aujourd’hui. Pour les premières décennies, un travail préalable de recherche documentaire est indispensable. Ensuite, quelques publications d’historiens et de sociologues s’ajoutent aux informations de première main. Au terme de l’étude, conduite sous l’angle d’une sociologie historique, les repères et les enjeux identifiables au début du XXe siècle apparaissent encore présents cent ans plus tard, sans doute avec des moyens financiers accrus et un vocabulaire renouvelé mais les fondamentaux demeurent. Ces rapports hiérarchiques et ces relations de domination restent fondateurs de groupes particuliers au sein de la division du travail dans l’entreprise. Ils sont simplement moins visibles dans le sport où prévalent les « valeurs » de participation, de coopération et l’esprit d’équipe. Haut de page ENTRÉES D’INDEX PLAN Le « premier âge » du sport lié à l’entreprise. Concevoir un sport pour les salariés… Les premières sociétés sportives issues du monde du travail Le militantisme politique et syndical au service d’un sport émancipateur Des œuvres sociales patronales qui s’ouvrent aux sports Changement dans l’entreprise : le sport par les salariés et l’action syndicale L’élan du Front populaire Faire une place à « Vichy » ? L’élan de la Libération et la création des comités d’entreprise L’annonce d’une « civilisation du loisir » Parler sport avec l’entreprise : affirmation d’un « nouvel âge » du sport lié au monde du travail La réalité du sport en entreprise sous tensions Déclin du syndicalisme et redéploiement militant de la FSGT La Fédération française du sport d’entreprise : un renouveau… en images Conclusion Haut de page TEXTE INTÉGRAL L’entreprise est au cœur d’enjeux majeurs, complexes, parfois contradictoires et antagonistes. Elle donne à voir plusieurs conceptions du sport, les unes anciennes, d’autres récentes et se voulant nouvelles. Sous l’angle diachronique, les années 1890 permettent de repérer les premières initiatives caractéristiques d’une pratique sportive née dans les milieux du travail, et qui s’est transformée jusqu’à nos jours. L’intérêt que porte la sociologie au sport dans l’entreprise est récent. Aux publications anciennes et isolées (Pinot, 1924 ; Duporcq, 1936) vont succéder les travaux des historiens (Fridenson, Noiriel, Le Crom ou encore Arnaud, 1994) et quelques thèses de sociologie (Miège, 1973 ; Weiner, 1980 ; Lamoureux, 1987). L’attention accordée au sport y est variable. Un regain d’intérêt universitaire s’est concrétisé par la suite. Il permet d’individualiser des recherches sociologiques qui envisagent la question des convergences ou similitudes, réelles ou supposées, entre organisation sportive et organisation de l’entreprise (Barbusse, 1997, 2002), le sport comme outil de cohésion interne dans l’entreprise (Burlot, 1997), la politique de communication de l’entreprise (Pichot, 1997), l’investissement sportif des cadres dans l’entreprise (Pierre, 2009), le recours aux managers sportifs au sein de l’entreprise (Burlot, Pierre et Pichot, 2009). Enfin, la publication récente de l’ouvrage synthétique de Julien Pierre Le sport en entreprise. Enjeux de sociétés (2016) établit un point d’étape devenu indispensable. 2C’est sous l’angle d’une sociologie historique que nous nous proposons d’analyser plusieurs modèles d’organisation du sport repérables dans et autour de l’entreprise. Ils se définissent à l’articulation de trois niveaux : les stratégies et les logiques d’action des protagonistes en situation, les supports matériels (installations sportives, ressources budgétaires…), les valeurs défendues en termes de représentations collectives partagées et d’enjeux idéologiques. La sociologie historique s’intéresse au devenir des phénomènes sociaux, en portant l’attention sur les contextes dans lesquels ils sont apparus, puis développés et avec lesquels ils entretiennent un rapport permanent. Il s’agit ici de vérifier, au titre d’une sociologie historique, si et dans quelle mesure des formes déjà anciennes de prise en considération du sport, dans l’entreprise, restent aujourd’hui à la fois présentes, actualisées et efficaces. Pour les premières décennies, au plan méthodologique, notre démarche s’appuie sur une recherche documentaire dont les références figurent en notes ou dans la bibliographie, accompagnée de témoignages directs pour la période récente. Trois « âges » successifs s’imposent pour traiter de la problématique de l’activité sportive dans ses rapports avec l’entreprise. Le « premier âge » du sport lié à l’entreprise. Concevoir un sport pour les salariés… 3La période initiale s’étend du début des années 1890 jusqu’au milieu des années 1930. Les années 1890 correspondent à l’avènement du sport comme modèle spécifique d’activité physique organisée. La pratique sportive apparaît dans les entreprises et les milieux du travail. Trois composantes organisationnelles d’inégale consistance sociale peuvent être identifiées à partir des niveaux et traits indiqués plus haut : les sociétés sportives qui procèdent de l’esprit associatif, la mobilisation politique et syndicale d’émancipation par le sport, et surtout l’enrichissement des œuvres sociales patronales par l’ouverture du sport pour les salariés. Les premières sociétés sportives issues du monde du travail 4Ce modèle associatif se définit par un « entre-soi » quasi corporatif et non politisé. Le monde des employés (services, commerce, boutique…) semble le plus entreprenant pour se regrouper dans des sociétés affinitaires. Ces « traces patentes sont délicates à dater », note Julien Pierre (2016, 28). Sans doute mais les Archives départementales conservent dans leurs fonds les demandes d’autorisation présentées aux autorités préfectorales par ces premières sociétés sportives. À Bordeaux et dans l’agglomération bordelaise, par exemple, les faits sont clairement établis. Georges Dupeux, dans l’ouvrage Bordeaux au XIXème siècle (1969), met en évidence cette réalité associative, certes encore confidentielle, tout en soulignant une distinction entre deux groupes socio-professionnels : les employés revendiquent une augmentation du temps libre, pour s’adonner à des loisirs, tandis que les ouvriers militent pour une augmentation de salaire. La pénibilité du travail, chez les ouvriers, rend ceux-ci beaucoup moins réceptifs à l’attrait de l’activité sportive à la veille du XXe siècle et la CGT, fondée en 1895, ne s’intéresse pas encore au sport des travailleurs. 1 ASPTT Bordeaux. 1898-1998, Centenaire, Plaquette illustrée (26 p.). 5Toutefois, la catégorie des « employés » peut s’avérer trop large, regroupant alors cadres administratifs et simples employés. La monographie réalisée sur l’ASPTT Bordeaux, issue de l’Union cycliste des Postes et Télégraphes de la Gironde qui voit le jour en 1898, peut être abordée sous cet angle1. Le constat vaut également pour le sport dit « sport cheminot », dont le club : l’ASPOM (Bordeaux), est officiellement fondé en 1907 au sein de la Compagnie des Chemins de fer Paris Orléans et de celle du Midi réunies. Deux types d’engagement y sont perceptibles : celui qui procède de la logique des cadres de l’entreprise ferroviaire, celui qui procède des « cheminots », « roulants » ou non (le travail pour l’entretien des voies, le travail ouvrier en ateliers). Le compromis tacite, mais tardif, qui s’appuie sur une identité d’entreprise (pyramidale) se double d’identités stratifiées. Les créations de ce type de groupements multisports lié au monde du travail, les sociabilités et les appartenances qui s’y développent sont aussi une expression, voire une transposition des appartenances de classe sociale. 6Très tôt, le creuset du travail est donc propice à des pratiques athlétiques (défis de force avec des soulevés d’enclume ou d’essieu) qui marquent l’attachement des ouvriers à la « communauté d’usine » et à la « camaraderie d’atelier » au sein d’un tissu industriel plus ou moins composite (Lamoureux, 1994, dans le prolongement d’une thèse soutenue en 1987). La mémoire ouvrière (des forges, chantiers navals, arsenal…) y fait encore référence jusqu’à une époque récente... 7Le « système professionnel » (comme principe d’identité sectorielle) et le « système technique » (comme principe de différenciation des tâches), rapportés à des métiers précis au sein d’une hiérarchisation des niveaux de qualification dans l’entreprise, tendent progressivement à reconstituer des groupements sportifs homogènes et auto-organisés, sous la forme de sections par exemple (à l’ASPOM Bordeaux, le tennis, ou plus tard le judo « réservés » aux cadres ; et le football, la course à pied, la lutte, l’haltérophilie investis par les ouvriers…). Et sans doute la structure « omnisports » des clubs d’entreprise est-elle un moyen de résoudre un compromis de cohabitation (proximité spatiale) qui met provisoirement en retrait les rapports de classe (distance sociale). Le militantisme politique et syndical au service d’un sport émancipateur 8La traduction du fait sportif en enjeu revendicatif d’émancipation culturelle des salariés prôné au titre de la mobilisation politique et syndicale – révolutionnaire ou réformiste – est affirmée avec la création officielle de la Fédération sportive athlétique socialiste (la FSAS), le 6 décembre 1908 (voir L’Humanité du 18 décembre 1908). Ce modèle d’organisation marque le refus d’abandonner le sport aux clubs « bourgeois », réunis au sein de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques uploads/Management/ theorie.pdf
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- Publié le Jan 17, 2021
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