La décentralisation territoriale au Maroc : Cas d’un imbroglio de gouvernance.
La décentralisation territoriale au Maroc : Cas d’un imbroglio de gouvernance. Hicham BERJAOUI Doctorant à la FSJES Ain Chok - Université Hassan II Juriste à la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) – Rabat. hichamberjaoui@hotmail.fr Résumé. Beaucoup de réformes ont affecté la décentralisation territoriale dans notre pays. Le constituant de 2011 a opéré, dans ce sillage, un changement notoire en impartissant au législateur organique la mission de production des normes appelées à régir le droit des collectivités décentralisées. Néanmoins, les réformes mises en œuvre ont foncièrement mis l’accent sur le dispositif proprement juridique et relégué, par voie de conséquence, les questions se rapportant à la gestion opérationnelle de l’intérêt général territorial au second rang. Les faits observables ne cessent de montrer que la modernisation et la fructification de la décentralisation territoriale, repose non seulement sur la règle de droit, mais également sur l’amélioration des capacités de gestion des entités décentralisées. Par conséquent, l’enjeu du développement territorial ne se confine pas dans la fonction normative. Bien au contraire, il s’étend à la mise en place d’un système de gouvernance, répondant aux postulats d’efficacité, de durabilité et d’équité. Mots-clés : Décentralisation territoriale – Aide publique – Intérêt général territorial – Inflation institutionnelle. Abstract. Morocco has undertaken several reforms in decentralization. The most prominent of these reforms was the revision of the Constitution in 2011, where the power to produce decentralized legal rules was transferred from ordinary legislators to organic legislators. However, these reforms have given priority to changing the legal structure at the expense of developing local governance and introducing good governance tools to institutions responsible for local decision-making. The facts show that the development of decentralization is not only related to the production of legal norms, but also to the creation of a governance system that is consistent with the principles of efficiency, sustainability and equity. Keywords. Decentralization - Social assistance programs - Local public interest - Institutional inflation. Introduction. Plusieurs formules de développement territorial peuvent être mobilisées. Leurs structures et leurs moyens diffèrent, en fonction des atouts économiques et des données politico-culturelles des Etats. Le professeur Rémy PRUD’HOMME remarque, dans ce sens, que « la décentralisation sert des objectifs politiques au moins autant que des objectifs économiques. La décentralisation n’est pas seulement un moyen institutionnel à des fins économiques mais est une fin en soi, et/ou un moyen d’atteindre des fins politiques »1. Il en ressort que les divergences doctrinales façonnent les utilités de la décentralisation. Certains auteurs estiment qu’elle se destine, foncièrement, à la satisfaction de besoins économiques, d’autres soutiennent la thèse selon laquelle elle représente un moyen de maîtrise sécuritaire des territoires. Quels que soient les objectifs et les visées qui la sous-tendent, la décentralisation demeure un instrument de gestion de l’espace étatique dont les contenus et les conditions de fonctionnement sont déterminés par des règles juridiques. Dans son acception juridique, la décentralisation se rapporte « à un phénomène général, celui de la répartition ou de la distribution des compétences et des pouvoirs entre un organe central (ou national) et des organes non centraux ou périphériques de la collectivité2 ». Plus concrètement, l’acte de décentralisation s’opère par « l’extension des compétences des assemblées par dessaisissement, à leur profit, d’attributions que l’Etat exerçait par l’intermédiaire de ses agents »3. Néanmoins, l’évolution du domaine de la décentralisation n’est pas mécaniquement le résultat du rétrécissement de l’étendue des compétences de gestion territoriale détenues par les services déconcentrés de l’Etat. Le régime juridique de la décentralisation peut, au contraire, prévoir des compétences qui s’exercent concurremment par l’Etat et les entités décentralisées. Aussi, l’Etat ne se désengage pas des matières transférées aux assemblées élues. Bien au contraire, il continue de leur fournir l’accompagnement leur permettant de mener, à bon escient, les missions qui leur incombent. Il découle des définitions, évoquées ci-dessus, que la décentralisation définit la formule distributive du pouvoir de décision entérinée par les normes juridiques fondamentales (le plus 1PRUD’HOMME Rémy, Décentralisation et développement, in Annuaire des collectivités locales. Tome 16, 1996, pp. 11 et 12. 2ROIG Charles, Théorie et réalité de la décentralisation, in Revue française de science politique, 16ème année, N° 3, 1966, p. 446. 3MAZEL Jacques, Un préfet devant la décentralisation, in Autres Temps. Les cahiers du christianisme social, N°12, 1987, p. 16. souvent, les textes constitutionnels) d’un Etat. Elle détermine, de ce fait, les modalités et les conditions conformément auxquelles les périphéries contribuent à l’élaboration et à l’implémentation des politiques de développement. Il est loisible de mentionner que la corrélation entre la décentralisation et le développement résulte du fait que l’élargissement des pouvoirs transférés aux entités décentralisées leur confie « le principal souci du développement économique »4. Comme soulevé auparavant, les modes d’organisation territoriale sont rattachables aux dynamiques et cataclysmes qui marquent l’histoire politique de chaque Etat et, par voie de conséquence, des Etats à tradition décentralisatrice peuvent être distingués de ceux, dont les affluents culturels favorisent la genèse et le renforcement d’un espace étatique centralisé. En guise d’illustration, « la conduite centralisée de l’action publique remonte loin dans la tradition française. Jusqu’à une période récente l’organisation administrative du territoire était pour l’essentiel héritée de l’époque révolutionnaire et napoléonienne. Un important train de mesures législatives et réglementaires a été entamé depuis le début des années 1980. Il dessine aujourd’hui un nouveau cadre de l’action publique, marquée par une plus grande autonomie des collectivités territoriales5 ». En propos succincts, la gestion des territoires obéit à deux modèles, modulés, chacun, conformément aux particularités émanant de l’histoire, de la culture et des potentialités économiques. D’une part, il y a le modèle accordant la prévalence au pouvoir central. Les incertitudes qui résultent de ce modèle sont toujours commuées par le recours à la déconcentration. D’autre part, se présente le modèle centrifuge qui, lui, privilégie le développement d’une formule libérale et décentralisée, de distribution et de répartition du pouvoir décisionnel entre le centre et les périphéries. Selon l’approche, ou l’optique, à partir de laquelle la décentralisation territoriale est appréhendée, on peut, sommairement, soutenir que celle-ci vise le développement des territoires au moyen, entre autres, de la modernisation de leurs structures organisationnelles, c’est-à-dire, en mettant en œuvre un modèle de gouvernance, répondant aux exigences d’efficacité, de durabilité et d’équité. Etant un des moyens utilisés en vue de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques de développement, la décentralisation repose non seulement sur les règles juridiques qui en 4MENGIN Jacqueline, Les associations face à la décentralisation, in Economie rurale, N° 202-203, 1991, o. 107. 5GERARD-VARET Louis-André, La décentralisation de l’action publique en France, in Les Annales de la recherche urbaine, N° 68-69, 1995, p. 212. fournissent le cadre de fonctionnement mais aussi sur la mise en place d’un système propice de gouvernance garantissant la participation des acteurs concernés tant à la définition qu’à la mise en corps des intérêts publics territoriaux. Nous ferons dans une première partie le diagnostic des tares ligotant la fructification du processus décentralisateur au Maroc en les plaçant dans les contextes historiques les ayant nourries, avant de nous intéresser, en seconde partie, aux scénarii de réforme. I. Un renouveau limité. Au Maroc, le choix de la décentralisation, en tant que mécanisme de fructification du territoire, dispose d’un ancrage anté-colonial considérable. Toutefois, l’adoption des textes juridiques et l’instauration des outils institutionnels régissant la décentralisation territoriale, sont essentiellement une œuvre post-coloniale. Ainsi, les premiers textes relatifs à l’organisation de la Commune qui constitue, faut-il le mentionner, le barycentre de l’administration de proximité, remontent à 19606 puis 19767. Le texte de 1960 énonçait, dans des termes notoirement vagues8, que le Conseil communal réglait au moyen de ses délibérations les affaires de la Commune. La venue du texte de 1976 n’avait opéré qu’un renouveau limité, en ajoutant, à celui de 1960, que le Conseil communal décidait des mesures à prendre pour assurer à la population concernée « son plein développement économique, social et culturel »9. Bien que l’intérêt de l’ajout de l’expression, sus-indiquée, reste restreint, en raison de son généralisme et de son imprécision, il est indéniable que la réalisation du développement de la collectivité communale était, et l’est encore, tributaire de la valorisation de son administration et de la modernisation de ses capacités de gestion. En outre, l’inexistence de dispositions particulières et individualisées, dévolues à la gouvernance, ne signifie pas, machinalement, que le législateur refusait de transférer de tels rôles aux entités communales dans la mesure où les textes, pré-cités, ont été adoptés sous l’égide d’un Etat qui venait de se libérer du joug colonial et qui, par conséquent, s’intéressait foncièrement à la mise en place des institutions administratives élémentaires, destinées à la maîtrise du territoire et, plus tard, à la canalisation des demandes et des aspirations des populations. 6Dahir n° 1.59.315 du 23/06/1960 relatif à l’organisation communale, B.O. n° 2487 du 24/06/1960, p. 1230 7Dahir portant loi n° 1.76.583 du 30/09/1976 relatif à l’organisation communale, B.O. n° 3335 bis du 01/10/1976, p. 1051. 8Section II du dahir portant loi n° 1.76.583 du 30/09/1976 relatif à l’organisation communale, B.O. n° 3335 bis du 01/10/1976. 9Chapitre IV du Dahir portant loi n° 1.76.583 uploads/Management/1-pb 19 .pdf
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- Publié le Jul 14, 2022
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