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1 Conférence Tâche et activité en didactique du français : contribution de la psychologie ergonomique Roland Goigoux Professeur des Universités, I.U.F.M. d’Auvergne, France Introduction En plaçant les tâches au centre du débat, la didactique du français souhaite « se situer au cœur des pratiques en classe » (cf. le texte de présentation du colloque). Ce choix reflète une évolution des recherches qui accordent une place croissante à l’analyse de l’activité d’enseignement, passant en quelques années d’une problématique de « l’intervention » à une problématique de « l’explication » (Canelas - Trevisi, Moro, Schneuwly et Thévenaz, 2000). Ce changement de paradigme n’est sans doute pas étranger à notre intérêt pour les tâches. La recherche en didactique du français, en effet, a pris son essor il y a une trentaine d’années autour d’un projet de rénovation de l’enseignement : elle a donc été conduite à élaborer de nouvelles tâches d’enseignement cohérentes avec ses propres cadres théoriques et adaptées à l’évolution des enjeux sociaux de la scolarisation. Didactique d’ingénierie, elle s’interroge aujourd’hui sur ce qu’il advient de ses propositions, transformées en prescriptions plus ou moins officielles, et sur les écarts entre celles- ci et les réalisations effectives des enseignants (Nonnon, 1999). L’interrogation est d’autant plus vive que la plupart des chercheurs en didactique ont également en charge la formation des maîtres et qu’ils participent, à ce titre, à la définition de ce qu’il est bon que ceux-ci fassent en classe. En d’autres termes, il nous semble nécessaire de réfléchir, tant du point de vue de la conception que du point de vue de l’analyse des usages, à deux ensembles de tâches didactiques : celles qui sont prescrites aux maîtres (tâches d’ordre 1) et celles que les maîtres prescrivent à leurs élèves (tâches d’ordre 2). Dans les deux cas, la réflexion sur les tâches ne peut être tenue comme une fin en soi : elle n’est qu’une porte d’entrée pour accéder à l’analyse de l’activité d’enseignement et de l’activité d’apprentissage. Notre propre contribution s’inscrit dans ce courant de recherche en prenant appui sur la psychologie ergonomique, science qui étudie l’activité des sujets humains en situation de travail (Leplat, 1980 ; Hoc, 1991 ; Rabardel et al., 1998). Nous nous réfèrerons à la définition que cette discipline donne de la notion de tâche, et qu’elle oppose à celle d’activité : « la notion de tâche véhicule avec elle l’idée de prescription, sinon d’obligation. La notion d’activité renvoie, elle, à ce qui est mis en jeu par le sujet pour exécuter ces prescriptions, pour remplir ces obligations » (Leplat et Hoc, 1983, p. 50). Cette distinction entre tâche et activité n’est pas habituelle dans l’univers scolaire : les maîtres et la plupart des didacticiens – y compris dans la présentation du colloque – parlent volontiers des « activités » qu’ils proposent aux élèves pour évoquer ce que nous désignons ici par le terme de tâche (dans le même contexte nous parlerions de « tâches proposées aux élèves » ; Rogalski, 2000). Comme nous l’avions déjà avancé lors des journées d’étude D.F.L.M. de Cartigny à propos des tâches d’ordre 2 (Goigoux, 1998), il nous semble que cette différence terminologique masque souvent une confusion entre ce que l’élève a à faire (tâche) et ce qu’il fait réellement (activité)1 (cf. figure n°1). 1 Cette confusion est parfois entretenue par l’usage de la notion fourre-tout « d’enseignement / apprentissage » qui conduit le plus souvent à ignorer les différences entre tâches à réaliser, tâche prescrite et tâche effective, à confondre tâche et activité, voire à ne pas distinguer l’activité du maître de celle des élèves sous prétexte de s’intéresser à leurs interactions. Conférence Tâche et activité en didactique du français : contribution de la psychologie ergonomique Roland Goigoux 2 Figure n°1 : L’activité, vecteur des apprentissages (Légende : lire a Ł b comme « b dépend de a ») Au delà d’une différence de lexique, l’amalgame tâche / activité révèle une différence de conceptualisation qui peut avoir des conséquences importantes sur le plan de la recherche en didactique. Selon nous en effet, les travaux qui font l’impasse sur la boîte noire constituée par l’activité des élèves (flèche en pointillés de la figure n°1) se privent des moyens de comprendre quels sont les principaux déterminants des apprentissages et pourquoi tous les élèves ne bénéficient pas également d’un même dispositif didactique. Ils ne sont donc guère utiles pour analyser les réussites et les échecs de la diffusion des innovations, notamment parce qu’ils éludent ce que Bautier et Rochex (1997) appellent des « malentendus sociocognitifs » entre maîtres et élèves. Pourquoi recourir à la psychologie ergonomique ? D’abord parce que la problématique du colloque se réfère « à une théorie de l’action plus qu’à une théorie du langage » (cf. présentation du colloque) et que la psychologie est l’une des sciences qui contribuent à cette théorisation. La didactique, lorsqu’elle s’efforce de transformer le monde pour mieux le comprendre, apporte son concours à la psychologie : elle permet, par exemple, de mieux connaître les apprentissages enfantins en étudiant leur dépendance à l’égard des pratiques d’enseignement. À ce titre, on peut soutenir que « la didactique est l’une des disciplines majeures de la psychologie » (Bronckart, 2001, p.19). Mais on peut également renverser l’assertion et affirmer que la psychologie est l’une des disciplines majeures de la didactique, si l’on considère que le but premier de la didactique est de mieux comprendre le monde pour le transformer. Ensuite pour suppléer aux insuffisances des recherches en didactique du français qui délaissent l’étude du « pôle enseignant » dans le système didactique (Reuter, 1995). Au terme d’une revue de questions réalisée pour préparer nos journées d’étude de Poitiers (Goigoux, 2001-b), nous avons montré que les recherches sur l’enseignement de la lecture se focalisent sur les objets de savoir (codes linguistiques, nature du savoir lire, place du littéraire...) et sur les apprentissages des élèves (le développement de leurs compétences langagières) au détriment de l’analyse de l’activité des maîtres. Selon nous, cette orientation est la conséquence de leur inscription dans un paradigme dominant en didactique du français (Halté, 1992 ; Chiss, David et Reuter, 1995) organisé autour de ce que Michel Dabène (1995) nomme le « continuum didactique » (p. 26) : - les descriptions de la langue et du fonctionnement des textes et des discours oraux et écrits, - les activités cognitives mises en jeu par les apprentissages langagiers. Nous faisons l’hypothèse que cette structuration bi-polaire conduit la didactique, que nous qualifierons de « classique », à ne pas considérer l’enseignant comme un sujet à part entière. Si elle incite bien le didacticien « à nouer entre elles une théorie de l’apprentissage (théorie du sujet et de la genèse des conduites nouvelles) et une théorie de la connaissance (une théorie des savoirs institués, une théorie de l’universalité) » (Develay, 1992, p.88), elle ignore toute théorie de l’activité d’enseignement. Le « sujet » pris en compte par la didactique, et dont parle ici Michel Develay, c’est l’élève, pas le maître. Tâche (ordre 2) Activité Apprentissage Conférence Tâche et activité en didactique du français : contribution de la psychologie ergonomique Roland Goigoux 3 Pour reprendre les termes de Jean Houssaye (1993), le troisième pôle du système didactique (l’enseignant) occupe très souvent « la place du mort », c’est-à-dire, par analogie avec le jeu de bridge, que ses cartes sont étalées sur la table et qu’on le fait jouer plus qu’il ne joue2. Cette manière de conduire la recherche est sans doute inévitable pour des raisons méthodologiques car il est difficile de prendre simultanément en compte les trois pôles du système didactique. Mais cela ne doit pas conduire à exclure systématiquement l’enseignant : chacun des trois sous-systèmes doit être étudié (de préférence en les prenant deux à deux) si l’on veut éviter « que le mort ne se mette à faire le fou » (Houssaye, 1993, p.15). En disant cela, nous ne contestons pas l’intérêt ou la portée des recherches antérieures. Nous affirmons seulement que, si l’on veut pouvoir comprendre ce qui se joue dans les classes, il faut procéder à un rééquilibrage du paradigme didactique et attirer l’attention des chercheurs sur les deux sujets humains, l’enseignant et l’élève, sans perdre de vue qu’ils sont reliés par un enjeu d’apprentissage (Robert et Rogalski, 2000). Figure n°2 : deux points de vue complémentaires Point de vue Point de vue de la bi-polaire psychologie de la didactique ergonomique « classique » du français La didactique « classique » du français et la psychologie ergonomique s’intéressent à l’activité d’enseignement selon deux points de vue différents mais complémentaires : alors que la première place au premier plan le continuum didactique, la seconde se focalise sur l’étude de l’activité du maître (cf. figure n°2). La première, l’approche didactique « classique », reste extérieure à l’activité du professeur puisqu’elle ne la considère, au second plan, que comme un moyen de faciliter les apprentissages des élèves. C’est pourquoi il nous paraît utile de la compléter par une seconde approche, celle de la psychologie ergonomique qui place l’activité3 de l’enseignant uploads/Management/confgoigoux.pdf
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- Publié le Mai 03, 2022
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