La loi organique du 1er août 2001 n’est pas une réforme budgétaire : c’est une

La loi organique du 1er août 2001 n’est pas une réforme budgétaire : c’est une révolution de la gestion publique dans son ensemble. Si l’on en croit l’expérience internationale, ce n’est que dans une dizaine d’années que nous en pren- drons toute la mesure, qui dépendra évidem- ment en partie de la qualité du travail d’élabo- ration des programmes et des indicateurs de résultats et de l’autonomie réelle qui sera, in fine, laissée aux gestionnaires. Mais ce qui lui donne son caractère de révolution est déjà à l’œuvre et résulte de la modification radicale des règles du jeu qui, dans le système adminis- tratif, conditionnent le comportement des acteurs. Cette modification radicale, c’est celle qui fait porter la responsabilité des gestionnaires, non sur le respect de la règle et de la norme, mais sur l’obtention des résultats attendus de leur action : facteur de moti- vation, mais aussi de tension, elle va les conduire à réclamer les moyens qui leur manquent encore pour obtenir ces résultats. Fonction publique de carrière, fonction publique d’emplois : vraies et fausses distinctions Certes, la LOLF organise cette autonomie et sa logique porte en elle un relâchement significatif des contrôles qui pèsent sur les gestionnaires en matière d’exécution de la dépense, grâce à la globalisation des crédits des programmes. Mais les choix d’un gestion- naire ne se limitent pas à des variations dans l’affecta- Anne-Marie Leroy est conseiller d’Etat. Jusqu’en 2001, elle a fait partie du cabinet de Lionel Jospin, comme conseillère pour la réforme de l’Etat et la fonction publique : elle a participé active- ment à l’élaboration de la Loi organique relative aux lois de finances. 23 CADRES-CFDT, N°407. OCTOBRE 2003 Anne-Marie Leroy Une révolution peut en cacher une autre La LOLF et la gestion de la fonction publique tion des ressources financières, à des arbitrages entre investissement, fonctionnement ou subvention. Ils por- tent aussi, et souvent principalement, sur la gestion de ses ressources humaines, qu’il s’agisse de changements d’affectation, de motivation des équipes, ou du choix des agents qui contribueront le plus efficacement à l’ob- tention des résultats demandés. Or, en ce domaine, la LOLF n’apporte qu’une réponse partielle. Il est à parier que sa mise en œuvre verra, à partir de 2006, la mon- tée de la revendication, de la part des gestionnaires de programmes, d’une autonomie accrue de manière signi- ficative en matière de gestion individuelle des agents. Or, cette revendication est de nature à faire naître un questionnement fondamental de notre systè- me de fonction publique, sur lequel il est grand temps que nous ayons enfin un débat dépassionné, en sachant que nous serons, de tous les pays développés, quasi- ment le dernier à l’aborder, puisque presque tous nos voisins ont procédé à des réformes de fond de leurs fonctions publiques au cours de ces dernières années. Il ne faut pas en déduire hâtivement que le sys- tème de fonction publique de carrière serait condamné, et que nous n’aurions d’autre perspective que celle d’une fonction publique d’emplois dans laquelle l’avenir professionnel des agents, voire leur garantie d’emploi, seraient subordonnés à l’arbitraire d’une hiérarchie souveraine. Tout d’abord, la distinction entre fonction publique de carrière et fonction publique d’emplois est, on le sait, artificielle : dans toutes les grandes organi- sations, y compris les grandes entreprises privées, des éléments du système de la carrière existent, tout sim- plement parce qu’on ne motive pas le personnel, et qu’on ne le « fidélise » pas, sans lui offrir des perspec- tives. Ensuite, parce que dans aucun pays étranger on n’a perdu de vue la nécessité de conserver une fonction publique de qualité, dont l’indépendance à l’égard du pouvoir politique et le dévouement à l’intérêt général soient assurés, ce qui suppose le maintien des garan- ties fondamentales, sous le contrôle du juge. Enfin, parce que l’Etat employeur se doit de donner l’exemple, par exemple pour la promotion des femmes. Vers une remise en cause du système des corps La remise en cause qui est en germe dans la LOLF, c’est celle d’une fonction publique organisée en 24 une multiplicité de corps à statuts particuliers et à ges- tion centralisée. Déjà, la réflexion sur la mise en œuvre concrète de la globalisation de la masse salariale, si l’on veut lui donner tout son sens avec, à terme, une pleine autono- mie de décision des gestionnaires en matière de recru- tement, entraîne un questionnement du système des corps. En effet, on ne saurait imaginer que le ministère des Finances accepte de renoncer aux contrôles a prio- ri sur des décisions qui engagent les finances publiques pour plus de 40 ans, sans disposer de la part du minis- tère gestionnaire d’un plan de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC). La plupart des minis- tères se sont déjà atte- lés à l’élaboration de ces plans, souhaités et réclamés d’ailleurs depuis des années dans le cadre de la réforme de l’Etat, mais sans grand succès tant que les incitations n’étaient pas en place. Or un plan de GPEEC ne se construit pas sur des corps statutaires, mais sur des filières de métiers, et la structure actuel- le des corps des ministères ne correspond que rarement à celle des métiers qui y sont exercés : réfléchir aux besoins du ministère en termes de métiers, et traduire ensuite cette réflexion en termes de recrutements par corps, c’est une gageure qui risque dans bien des cas d’aboutir à une impasse. Impasse technique, mais aussi impasse en termes de dialogue social, puisque les orga- nisation syndicales, structurées par corps, n’ont aucune raison d’accepter la logique d’un plan de GPEEC axé sur les métiers réels. Les obstacles à la réforme Mais au-delà de cet effet immédiat, la logique de la responsabilité des gestionnaires sur leurs résultats aura à mon avis des conséquences dans au moins trois domaines de la gestion de la fonction publique, et dans ces trois domaines on retrouve l’obstacle que constitue la structuration en corps. Le premier domaine, c’est bien sûr celui de la ges- tion individuelle des agents. La demande prévisible d’une plus grande latitude de choix des agents d’un ser- 25 La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences ne se construit pas sur des corps statu- taires, mais sur des filières de métiers, et la structure actuelle des corps des ministères ne correspond que rarement à celle des métiers qui y sont exercés. vice par le gestionnaire de ce service, qu’il s’agisse de les recruter ou de les attirer par mutation en fonction de profils de poste préalablement définis, comme celle d’une capacité de redéploiement en fonction des impé- ratifs des programmes, de leurs priorités relatives, de leurs changements éventuels de nature ou de péri- mètre, est difficilement compatible avec un système de recrutement par concours nationaux aboutissant à des écoles où les premières affectations se décident en fonc- tion du rang de classement, et avec des systèmes de mutation où les besoins du service ont depuis long- temps cédé la place à des barèmes impersonnels appli- qués aux vœux des agents. La demande prévisible d’une plus grande capaci- té à encourager et à remercier les agents, y compris celle de sanctionner les abus, n’est guère compatible avec un système de promotion et de disci- pline centralisé, dans lequel les décisions reviennent à des acteurs, administra- tifs et syndicaux, plus soucieux de gérer leurs relations et l’équilibre de leur rapport de forces que d’assurer la motiva- tion et l’efficacité des équipes de terrain. Elle n’est guère compatible non plus avec un système indemnitaire qui dépend de l’appartenance à un corps et non de la réalité des responsabilités exercées ou de la difficulté de la tâche, et qui ne laisse aucune place à la gratification en cas d’effort exceptionnel. Or, la centralisation du système n’est pas un effet du hasard : elle résulte de l’éparpillement des corps, qui ne permet que rarement la mise en place de CAP1 au niveau local, faute d’effectifs suffisants, ou, lorsque ces effectifs sont suffisants, de la résistance d’organisa- tions syndicales catégorielles qui savent avoir un meilleur rapport de forces avec des interlocuteurs éloi- gnés des réalités du terrain. Il faudrait encore mentionner les choix redou- tables qui se posent pour la mise en œuvre de la LOLF en matière de déconcentration : si la synthèse des pro- 26 La demande prévisible d’une plus grande capacité à encourager et de remercier les agents, y compris celle de sanctionner les abus, n’est guère compatible avec un système de pro- motion et de discipline centralisé, dans lequel les décisions reviennent à des acteurs plus soucieux de gérer leurs relations et l’équilibre de leur rapport de forces que d’assurer la motivation et l’efficacité des équipes de terrain. 1. Les Commissions administratives pari- taires sont des instances consultées automatique- ment ou de façon faculta- tive, selon les cas, sur nombre de problèmes par- ticuliers relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires : titulari- sation, promotions, muta- tions, notation, sanctions disciplinaires. Elles sont élues par corps, même si plusieurs niveaux de CAP peuvent uploads/Management/la-lolf-et-la-grh-2.pdf

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  • Publié le Dec 11, 2022
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