VULNERABILITE ET DROIT DE LA CONSOMMATION (Colloque sur la vulnérabilité et le
VULNERABILITE ET DROIT DE LA CONSOMMATION (Colloque sur la vulnérabilité et le droit, organisé par l’Université P. Mendès-France, Grenoble II, le 23 mars 2000) Jean-Pascal CHAZAL Professeur à l’Université Jean Monnet (Saint Etienne) Le consommateur est-il vulnérable ? La question semble superfétatoire, car c’est un lieu commun d’affirmer la nécessité de protéger le consommateur, personne vulnérable face au professionnel. Lorsque l’on réfléchit sur la vulnérabilité en droit, il y a au moins deux catégories de personnes dont la vulnérabilité ne fait guère de doute : les incapables et les consommateurs. Pourtant, la difficulté de la question ne doit pas être sous-estimée car la vulnérabilité du consommateur, si elle est véritablement établie, ne se confond pas avec celle de l’incapable. Certes, des auteurs ont qualifié le consommateur de « semi-débile » d’« incapable en mineur » 1. A cet égard, force est de reconnaître que le droit de la consommation participe d’une infantilisation des individus, « d’un rétrécissement de l’homme »2. Pour preuve cette motivation de Cour d’appel suivant laquelle « le consommateur moyen, au regard notamment du Code de la consommation, ne peut plus être considéré comme l’homme actif, instruit, diligent, avisé qu’était le bon père de famille, dans le Code Napoléon, mais comme un être plus vulnérable auquel doivent être présentés de façon claire tous les termes du marché et tous les risques auxquels il s’expose »3 Par vulnérable, on entend la personne ou la chose qui peut être blessée . Pourtant, il serait excessif de croire que la vulnérabilité, qui affecte le consommateur, commande l’application d’un régime d’incapacité. Le consommateur n’est pas vulnérable au point d’être un incapable. Mais toute la difficulté ne réside pas tant dans la définition de la notion de vulnérabilité que dans celle de consommateur. 4 1 H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, T. 2, 1er vol., Obligations, Théorie Générale, 2ème éd. 1998, n° 32-3. 2 P. Bruckner, La tentation de l’innocence, Grasset 1995, p.15 : « l’infantilisme combine une demande de sécurité avec une avidité sans bornes, manifeste le souhait d’être pris en charge sans se voir soumis à la moindre obligation ». 3 CA Bourges, 5 octobre 1998, JCP E.1999, p.1417 ; juris-data n°043611. 4 Emprunté au latin vulnerabilis à compter du XVIIème siècle, et dérivé de vulnerare, qui signifie blesser. . Dans un premier sens, la blessure (vulnus) est un synonyme de plaie, c’est à dire de lésion corporelle. Mais rapidement, y compris en latin classique, vulnerare revêt un sens figuré. On l’utilise, par exemple, pour l’atteinte portée à l’ordre public. Dès lors, le vulnérable est celui qui peut être blessé, au sens physique du terme, mais aussi au sens imagé, c’est à dire celui qui est susceptible d’être victime d’une atteinte portée à son patrimoine, à ses biens, à ses intérêts. Le consommateur semble être vulnérable sous ces deux sens. Dans son activité de consommation, il peut subir une blessure corporelle à l’occasion de l’utilisation d’un bien défectueux. Il peut également subir une lésion pécuniaire, ce qui sera le cas le plus fréquent en 2 pratique. Dans les deux cas, l’être vulnérable n’est pas tant l’être blessé, que celui qui peut l’être en raison de sa faiblesse. L’idée de lésion potentielle doit ici être privilégiée. Si le consommateur doit être protégé par le droit, ce n’est pas parce qu’il est systématiquement lésé, mais parce qu’il est susceptible de l’être pour la simple raison qu’il se défend mal, qu’il n’est pas bien armé pour faire face à son partenaire-adversaire qu’est le professionnel. Encore faut-il s’interroger sur cette affirmation qui, bien que constituant le postulat fondamental du droit de la consommation, n’est pas aussi évidente qu’il y paraît. Les origines de la notion de consommateur n’accréditent pas l’idée d’une vulnérabilité consubstantielle. S’agissant des origines étymologiques, consommateur vient d’une double racine : d’une part consummo (-are), qui signifie faire la somme, achever, accomplir, et, d’autre part, consumo (- ere), qui signifie employer, épuiser, détruire. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le verbe consommer, en ancien français, dérive du latin consummare. Ce n’est que par l’usage du latin chrétien que consommer (consummare) et consumer (consumere) vont peu à peu se rapprocher jusqu’à se confondre en devenant synonymes5. Cette évolution s’explique par la contiguïté, dans la religion chrétienne, entre les idées d’accomplissement des temps et de destruction du monde. Dans le contexte de la Parousie, les idées de fin, d’achèvement et de destruction sont intimement liées. A la fin du ème Les origines étymologiques du terme consommation expliquent en grande partie les origines économiques de cette notion. Le consommateur, en satisfaisant ses besoins par l’achat de biens ou de services, achève le cycle économique. On retrouve ici le sens de consummare. La consommation est donc une fonction économique, au même titre que la production, la distribution ou le financement. Elle participe au circuit économique en tant que source de développement de la richesse, comme l’avait montré Boisguillebert dès 1697 siècle, le sens dominant du verbe consommer est «faire disparaître par l’usage », ce qui donnera ensuite le terme juridique consomptible. Au fil des siècles, le langage courant a peu à peu abandonné le sens d’achèvement, d’accomplissement, pour lui préférer une signification économique : consommation signifie alors l’usage que l’on fait d’une chose pour satisfaire ses besoins. D’une destruction matérielle du bien lui-même, on passe à une destruction immatérielle du besoin par le bien, à la satisfaction d’une utilité. 6. La fonction de consommation est donc l’un des pôles du circuit économique tel que Quesnay l’a imaginé dans son analyse du tableau économique7. Par la suite, certains économistes vont exacerber le rôle de la consommation dans le fonctionnement de l’économie. Pour Sismondi8 et Malthus9, la fonction de consommation prend le pas sur la production. Ils soutiennent que l’essor de la production est subordonné à l’augmentation préalable de la consommation. C’est cette analyse que Keynes reprendra, plus d’un siècle après, en élaborant le concept de demande effective10 5 Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, page 480. 6 Le détail de la France, In Economistes financiers du XVIIème siècle, Paris 1843, p. 180 : « ainsi pour trouver les causes de la ruine de la France, il ne faut que découvrir celles de la ruine de la consommation… ». 7 F. Quesnay, Œuvres, éd. Oncken, Paris 1898, p. 305 et suiv. 8 Nouveaux principes d’économie politique, Nouvelle édition Genève-Paris 1951-1953, publié en 1819 9 Principes d’économie politique, trad. Franç. Nouv. Ed., Paris 1969, publié en 1920. 10 Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936. : la production est fonction de la demande globale effective, les producteurs ne fabriquant que dans la mesure où ils ont la certitude de pouvoir écouler leur produit. Chez les néo-classiques, le consommateur n’est aucunement cet être faible et influençable, mais cet homo oeconomicus, être d’une parfaite rationalité, bien informé, capable de déterminer seul l’ophélimité que présente pour lui tel ou tel bien économique. Walras, dans ses Eléments d’économie pure (1874) a pu déduire sa théorie de l’équilibre général, des postulats de rationalité des choix du consommateur et du producteur et d’égalité des agents économiques. 3 Dans cette théorie, le consommateur ne souffre que d’une seule contrainte : le budget dont il dispose et qui n’est pas extensible à l’infini. Mais il n’est affublé d’aucune idée de vulnérabilité ou d’infériorité par rapport au producteur. Ni les sources étymologiques, ni les sources économiques de la notion de consommateur ne révèlent la vulnérabilité de celui-ci. Ces idées ne naîtront qu’au ème siècle, lorsque les économistes modernes inversèrent le schéma traditionnel de Malthus ou Keynes en soutenant qu’en raison de l’opacité des marchés et de la puissance des producteurs, les consommateurs sont conditionnés. Il existe une véritable « création des besoins » à laquelle le consommateur isolé et mal informé ne peut que très difficilement résister11. Galbraith parle de « filière inversée ». Ce renversement d’analyse, dans les sciences économiques, s’explique en grande partie par les bouleversements sociaux américains. Les premières ligues de consommateurs sont apparues, selon certains, dès le début du siècle. Mais, le mouvement consumériste n’a véritablement éclos qu’en 1936 aux Etats-Unis avec la création de la Consumers Union, spécialisée dans l’information, le comparatif et la diffusion des résultats d’analyse des biens de consommation. Le mouvement consumériste va se transformer en une véritable lutte pour la défense des droits des consommateurs à partir de la publication du rapport Unsafe at any speed, de Ralph Nader. Ce dernier gagnera le procès qui lui a été intenté par la General Motors, celle-ci étant dans l’obligation de retirer du marché un modèle de voiture qui ne présentait pas les garanties suffisantes de sécurité. Le mouvement prend alors une ampleur considérable, de sorte qu’une nouvelle notion de consommateur émerge : le consommateur devient cet être vulnérable par rapport aux professionnels et assumant la lutte pour la défense de ses droits. C’est ainsi que certains auteurs ont cru pouvoir écrire que la modification du système économique, par la distribution de masse, a sécrété une forme nouvelle uploads/Marketing/ vulnerabilite-et-droit-de-la-consommation-pdf.pdf
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