Dissertation de Culture Générale Conception EDHEC/ESSEC Session 2021 Sujet : Pe

Dissertation de Culture Générale Conception EDHEC/ESSEC Session 2021 Sujet : Pensez-vous, comme l’a écrit Montaigne, qu’ « il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme » ? Le sujet de cette année présentait dans sa forme une relative originalité, car il est assez rare, dans les épreuves de culture générale des différents concours d’entrée aux grandes écoles de commerce, que les candidats soient ainsi confrontés à une citation. Il faut remonter à 2009 pour trouver le dernier sujet- citation donné à l’épreuve de culture générale EDHEC/ESSEC – et probablement plus loin encore s’agissant des autres concours. Disons tout de suite que ce choix s’est avéré, aux yeux du jury, fructueux, car le traitement d’une citation comme celle de Montaigne mobilisait de la part des candidats aussi bien des capacités d’analyse pure du sens à donner à la phrase, que des connaissances philosophiques et historiques liées au thème étudié pendant l’année, « l’animal ». Quand l’auteur de la citation se trouve en outre être à la fois écrivain et philosophe, tel Montaigne, on est, semble-t-il, en plein dans l’esprit d’une épreuve de « culture générale », préparée dans les classes – et corrigée au concours – aussi bien par des professeurs de lettres que par des professeurs de philosophie. La préparation des candidats ne doit donc pas négliger cette forme de sujet. Notons d’emblée que, dans leur ensemble, ils n’ont pas été particulièrement déconcertés, même si quelques recommandations de méthode méritent d’être rappelées, comme on le verra plus bas. Il est à noter, par ailleurs, que ce sujet était un sujet de « remplacement », car l’épreuve de culture générale a dû être reprogrammée. Les candidats ont donc eu à composer deux fois. Très rares ont été les renoncements. Il faut saluer leur courage, leur abnégation, car cette pénible circonstance ne les pas empêchés de produire leur effort avec des résultats souvent honorables et quelquefois excellents – en d’autres termes, les correcteurs n’ont pas eu le sentiment de lire des copies de second choix ou des copies de candidats à bout de force, même si l’on peut imaginer que certains l’étaient et se sont surpassés pour accomplir convenablement l’exercice. Un point de philologie mérite d’être précisé. Il existe, dans les Essais de Montaigne, deux citations exprimant la même idée. La première se trouve au chapitre 42 du livre I (« De l’inégalité qui est entre nous ») : « Plutarque dit en quelque lieu, qu’il ne trouve point si grande distance de bête à bête, comme il trouve d’homme à homme. Il parle de la suffisance de l’âme et qualités internes. A la vérité, je trouve si loin d’Epaminondas, comme je l’imagine, jusques à tel que je connais, je dis capable de sens commun, que j’enchérirais volontiers sur Plutarque ; et dirais qu’il y a plus de distance de tel à tel homme qu’il n’y a de tel homme à telle bête : hem ! vir viro quid praestat ; et qu’il y a autant de degrés d’esprits qu’il y a d’ici au ciel de brasses, et autant innumérables. » L’autre, celle que nous avons retenue, se trouve dans la fameuse « Apologie de Raymond Sebond » (livre II, chapitre 12) : « Cet animal [il s’agit de l’éléphant] rapporte en tant d’autres effets à l’humaine suffisance que, si je voulais suivre par le menu ce que l’expérience en a appris, je gagnerais aisément ce que je maintiens ordinairement [il l’a en effet dit, de manière proche, dans l’autre chapitre que nous venons de citer !], qu’il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme, que de tel animal à tel homme. » Il est arrivé que certains candidats pensent que la citation donnée au concours provenait de I, 42 : nous ne les avons évidemment pas sanctionnés pour cette méprise, qui les honore presque ! Assez nombreux ont été, par ailleurs, ceux qui ont su en donner comme source « L’Apologie de Raymond Sebond ». Au reste, sur le thème de « l’animal », étudié pendant un an, on conviendra que Montaigne était une référence difficile à ignorer ; être capable de présenter quelques éléments de la pensée de cet auteur pour approfondir l’analyse de la citation faisait partie de ce que l’on était en droit d’attendre d’une bonne ou d’une très bonne copie. Les candidats ont souvent eu des difficultés à mettre en évidence le caractère paradoxal, provocant, de cette formule de Montaigne, lequel a tout à fait conscience de sa radicalité et du fait qu’elle heurte non seulement le sens commun, mais des croyances, des dogmes, des principes moraux anciens et très établis. Certains l’ont perçu mais n’ont pas su le formuler – il était par exemple maladroit de dire au commencement que la citation de Montaigne était « absurde », même si l’on pouvait présumer que le candidat avait été sensible à la radicalité troublante de la phrase et qu’il lui en avait manqué une caractérisation rhétorique précise. Or cette perception de la radicalité du propos permettait non seulement d’affiner sa compréhension, mais d’ouvrir une voie possible de mise en question dans le cadre de la dialectique de la dissertation. Les copies les plus abouties ont souvent mis en évidence que cette citation impliquait des thèses sur l’humanité : d’un côté, le fait qu’elle soit en puissance de différences considérables, qu’elle n’ait pas d’essence (d’une manière presque sartrienne !), qu’elle soit libre, perfectible, capable du pire comme du meilleur ; mais d’un autre côté, on pouvait s’interroger sur les éventuelles conséquences morales du propos de Montaigne, qui pourrait impliquer d’accorder moins de valeur à certains hommes qu’à d’autres hommes et même qu’à certains animaux – en marquant bien qu’il s’agit d’implications de ce que dit Montaigne, et non de ce qu’il dit littéralement. Radicale, la pensée de Montaigne pouvait aussi apparaître inquiétante, voire scandaleuse – et des copies l’ont relevé. Elisabeth de Fontenay, philosophe reconnue pour ses travaux sur l’animalité, a formulé ainsi cette potentielle face sombre du propos : « Nous, les amis et les défenseurs des animaux, apprécions beaucoup la pensée de Montaigne, parce qu’il relève les bêtes du mépris dans lequel la philosophie rationaliste les a tenus et les tiendra encore longtemps. Mais la leçon qu’il en tire apparaît un peu inquiétante puisqu’il qu’il en vient à placer certains hommes au-dessous de certaines bêtes, dans la hiérarchie des êtres vivants. À l’inverse, Descartes, un siècle plus tard, sera méprisant et cruel envers les animaux, certes, puisqu’il établira une coupure radicale entre la matière, les animaux et l’esprit, les hommes. Mais, du coup, Descartes affirmera que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée entre les hommes, ce qui est quand même la première profession de foi démocratique de l’histoire. La politique se mêle de cette affaire et il faut être conscient des enjeux. Il ne s’agit pas de choisir entre Montaigne et Descartes mais de ne pas se laisser entraîner là où l’on ne veut pas aller1. » Il est intéressant de voir comment l’on met en évidence ici des enjeux, des implications, des conséquences potentielles qui apparaissent dans une lecture de la citation allant au-delà de sa « lettre », passant de ce qu’elle dit à ce qu’elle pourrait vouloir dire – c’est la capacité à formuler ce passage qui a souvent manqué. Rares ont été les copies qui ont pris le temps d’entendre la citation dans sa lettre précise, et en particulier de s’attacher au « tel » : « tel animal », « tel homme », ce n’est pas « l’animal » ou « l’homme » en général, ce sont des individus ; et ce n’est pas non plus n’importe quel animal ou homme, ce sont des cas précis, singuliers : la notion de « cas-limite » aurait pu apparaître ici. On aurait pu noter aussi que la notion de « différence » n’implique pas a priori de jugements de valeurs, de thèse sur la supériorité ou l’infériorité des hommes ou des animaux (ou plus précisément, de certains hommes ou de certains animaux). Deux traits caractéristiques de la pensée de Montaigne, de son scepticisme, qui privilégie le divers de l’expérience aux généralisations eidétiques, à l’égard de l’histoire naturelle aussi bien que de la morale. Le thème de la supériorité et de son renversement est bien sûr impliqué ici (et n’est pas non plus absent de la pensée de Montaigne), mais il aurait été apprécié qu’on le fasse apparaître après avoir dans un premier temps considéré les termes de la citation tels qu’ils sont, à la lettre. La réflexion aurait souvent gagné à être mise en perspective par des connaissances minimales en histoire des idées. 1. Texte d’une chronique radiophonique, disponible en ligne : https://www.franceinter.fr/info/tout-betement-philosophie-montaigne La remarque a déjà été faite concernant les sessions précédentes du concours : les candidats en appellent souvent à une abondante juxtaposition d’auteurs appartenant à des univers historiques très différents ; être capable de les situer dans l’évolution des idées uploads/Philosophie/ 252-2021-culture-gererale-edhec-essec.pdf

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