PSEUDO-SYNONYMES EN LANGUE DE SPECIALITE Christine DURIEUX C.I.E.L., Université
PSEUDO-SYNONYMES EN LANGUE DE SPECIALITE Christine DURIEUX C.I.E.L., Université de Caen S'il y avait des synonymes parfaits, il y aurait deux langues dans une même langue. César Chesneau, Sieur du Marsais Des tropes ou des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, 1730. INTRODUCTION Ce thème de recherche, qui s'inscrit dans une relation entre la description de la langue, en particulier du lexique, et son application à la traduction a été motivé par l'observation d'erreurs de traduction imputables à la pseudo-synonymie, et cela tant en milieu pédagogique que dans le cadre de la traduction professionnelle. Or, précisément dans les langues de spécialité, l'idée même de synonymie - fut-elle pseudo - semble d'emblée être exclue. En effet, les langues de spécialité font largement appel à des nomenclatures dont les éléments ont pour caractéristique majeure d'être monoréférentiels. Toutefois, bien que la notion même de langue de spécialité semble concerner exclusivement la traduction technique, à cet égard, il serait bien imprudent d'exclure la traduction littéraire. En effet, le texte littéraire n'est pas forme pure. En littérature romanesque, par exemple, le texte raconte une histoire, il met en scène des personnages qui évoluent dans un décor qui, même s'il est fictif, évoque des réalités relevant de diverses disciplines, empruntant ainsi constamment à différentes langues de spécialité. A ce propos, introduire une typologie des textes, et notamment une distinction entre texte technique et texte littéraire, est tout à fait inapproprié, le critère de dichotomie étant très incertain, approximatif et Cahier du CIEL 1996-1997 90 flou. C'est pourquoi, le présent développement se situe dans le cadre de l'application à la traduction, lui conférant une validité pour tous les types de textes. Dans l'énoncé ci-dessus, la qualification de la césure entre texte technique et texte littéraire fait appel aux adjectifs incertain, approximatif et flou, auxquels d'ailleurs il serait possible d'ajouter brouillé, indistinct, nébuleux, vaporeux, confus, indéfini, indiscernable, précaire, etc. ; en effet, ces synonymes proposés par les dictionnaires pourraient s'appliquer "presque" indifféremment. 1. DEFINITIONS 1.1. Langue de spécialité "Sous-système linguistique qui utilise une terminologie et d'autres moyens linguistiques et qui vise la non-ambiguïté de la communication dans un domaine particulier" (AFNOR, Norme ISO 1087, 1990). "On appelle langue de spécialité un sous-système linguistique tel qu'il rassemble les spécificités linguistiques d'un domaine particulier. En fait, la terminologie, à l'origine de ce concept, se satisfait très généralement de relever les notions et les termes considérés comme propres à ce domaine. Sous cet angle, il y a donc abus à parler de langue de spécialité, et vocabulaire spécialisé convient mieux" (Dubois, 1994 : 440). C'est cette dernière position qu'adopte P. Lerat (1995) qui considère qu'il ne peut exister à proprement parler des langues de spécialité parce que les activités humaines ne sont pas strictement cloisonnées ni cloisonnables. Rejetant de même la notion de technolecte, il suggère qu'il y aurait avantage à parler de langue spécialisée. Néanmoins, il précise : "Une langue spécialisée ne se réduit pas à une terminologie : elle utilise des dénominations spécialisées (les termes), y compris des symboles non linguistiques, dans des énoncés mobilisant les ressources ordinaires d'une langue donnée. On peut donc la définir comme l'usage d'une langue naturelle pour rendre compte techniquement de connaissances spécialisées" (1995 : 21). Quoi qu'il en soit, spécialisée ou de spécialité, il s'agit d'une langue servant à véhiculer des connaissances spécialisées. A ce titre, elle peut être opposée à la langue usuelle. Toutefois, il semble que, dans une C. DURIEUX - Pseudo-synonymie 91 taxinomie des discours, il n'y ait pas opposition mais plutôt coexistence dans la continuité. Aux fins de la présente étude, il importe de positionner la notion de langue de spécialité par rapport à la langue usuelle. Il apparaît pertinent ici de distinguer, à l'intérieur de la langue usuelle, entre langue commune normalement partagée par tous les membres de la communauté linguistique et langue courante enrichie d'emprunts à des champs d'expérience spécialisés et utilisée surtout par les classes socio- professionnelles favorisées (Galisson, 1979) ou les plus cultivées. Une présentation schématique en strates superposées semble bien convenir pour le présent développement. Spécifique langue spécialisée de vulgarisation banalisée zone mixte courante langue usuelle commune Cette représentation graphique est nécessairement heurtée pour montrer les principaux niveaux de langue. De fait, ni la langue usuelle, ni les langues de spécialité ne sont des ensembles homogènes bien délimités. Dans chacun d'eux, il existe plusieurs niveaux et registres. En réalité, il s'agit d'un continuum avec l'existence d'une zone mixte intermédiaire, passage obligé de l'injection de termes et de phraséologismes spécialisés dans la langue courante et de l'aspiration de termes appartenant à la langue usuelle dans des langues de spécialité, de même que du retour dans la langue courante de termes initialement empruntés à la langue usuelle par des domaines spécialisés, après transformations résultant de leur emploi dans une ou plusieurs langues de spécialité. On observe que les mouvements entre langue usuelle et langue spécialisée se font à double sens. Or, le transit des unités lexicales ne se fait pas par sauts quantiques et il n'existe pas de bande interdite entre les niveaux de langue comme celle qui sépare la bande de valence de la bande de conduction d'un atome. Au contraire, les migrations terminologiques se font en continu, passant de la langue usuelle à la langue spécialisée et inversement par une zone mixte où des unités de la langue usuelle se chargent de valeurs spécialisées et où des unités d'une Cahier du CIEL 1996-1997 92 langue spécialisée, étant devenues tellement banalisées, sont prêtes à s'intégrer à la langue courante. De plus, cette zone mixte intermédiaire subit une évolution dans le temps. Elle peut d'abord se démarquer de la langue spécialisée, d'une part, et de la langue usuelle, d'autre part, acquérant un statut indépendant parfois éphémère mais qui, en tout état de cause, n'a pas pour mission de perdurer. Ensuite, elle assure la transition entre langue spécialisée et langue usuelle avant d'être l'agent support de l'intersection entre les deux. On observe finalement un recouvrement partiel de la langue usuelle courante par la langue spécialisée banalisée au point qu'il soit impossible de distinguer l'une de l'autre, sinon dans la nuance de tel ou tel usage. Ce phénomène de fusion diachronique garantit, en quelque sorte, l'existence d'un continuum dans l'échelle des niveaux de langue. 1.2. Synonyme Etymologie grecque : sun (avec) + onoma (nom). Chez Aristote1, la notion de synonyme est appliquée aux noms (onoma) dont la signification est liée (sun) dans le cadre d'une structure générique commune, mais qui dénotent des réalités - qui peuvent être des objets concrets ou abstraits - différentes. Ainsi, vert et rouge étaient considérés, en logique, comme synonymes par rapport au concept de couleur. A l'heure actuelle, pour désigner cette relation d'intersection des sèmes génériques des noms, on parle d'hétéronymie. "On trouve souvent des mots de la même espèce, qui semblent exprimer la même idée fondamentale et le même point de vue analytique de l'esprit : on donne à ces mots la qualification de synonymes, pour faire entendre qu'ils ont précisément la même signification ; et on appelle synonymie la propriété qui les fait ainsi qualifier" (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, art. Grammaire, 1751-1772). "Mot qui a la même signification qu'un autre mot, ou une signification presque semblable" (Vocabulaire françois, 1771). "On est convenu d'appeler synonymes des mots dont le sens a plus de rapports que de différence" (Boissonade, 1806). 1 Aristote, qu'on ne peut considérer comme ayant fait œuvre de linguiste, a néanmoins contribué aux sciences du langage en étudiant en profondeur la logique. Le recueil des traités d'Aristote sur la logique, appelé Organon, comprend six parties. La cinquième, intitulée Topiques, se compose de huit livres consacrés à l'étude du raisonnement dialectique. Dans le Livre I des Topiques, il traite le problème de l'analyse des signes lexicaux et, en particulier, de l'analyse du contenu des mots. C. DURIEUX - Pseudo-synonymie 93 Dans son célèbre Cours de linguistique générale, F. de Saussure (1916) traite la synonymie en termes d'opposition. "Dans l'intérieur d'une même langue, tous les mots qui expriment des idées voisines se limitent réciproquement : des synonymes comme redouter, craindre, avoir peur n'ont de valeur propre que par leur opposition ; si redouter n'existait pas, tout son contenu irait à ses concurrents." "On appelle synonymes des termes de même sens ou plus exactement de sens équivalent, c'est-à-dire substituables dans certains contextes. On ne trouve pas de synonymes parfaits appartenant à la même classe, ayant la même distribution, donc interchangeables dans n'importe quels contextes. La synonymie parfaite ou totale serait un luxe inutile du langage, en contradiction avec la loi d'économie" (Galisson, 1976 : 543). "Désignations de même langue qui représentent la même notion" (AFNOR, 1990). "Désignation parfaitement substituable qui jouit de conditions d'utilisation totalement identiques" (Gouadec, 1990). "Sont dites synonymiques, deux entités dont les valeurs sont rigoureusement identiques. Ces deux entités ont une même valeur de référenciation et des conditions d'utilisation rigoureusement identiques. Elles sont donc en tout point substituables l'une à l'autre" (Gouadec, 1993 : 69). "L'idée de synonymie repose sur au uploads/Philosophie/ 4-durieux.pdf
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- Publié le Jui 26, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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