À quelles conditions peut-on parler de « matière » dans le Timée de Platon ? Au
À quelles conditions peut-on parler de « matière » dans le Timée de Platon ? Author(s): Luc Brisson Reviewed work(s): Source: Revue de Métaphysique et de Morale, No. 1, Matière et devenir dans les philosophies anciennes (JANVIER-MARS 2003), pp. 5-21 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40903911 . Accessed: 28/09/2012 23:02 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale. http://www.jstor.org À quelles conditions peut-on parler de « matière » dans le Timée de Platon ? Résumé. - Dans le Timée, V hypothèse de la khóra, qu'il faut se garder d'identifier avec la húle aristotélicienne, permet de rendre compte du fait que les choses sensibles sont radicalement différentes de leur modèle intelligible. Or, la constitution mathémati- que des éléments à partir de la khóra mène à la contradiction suivante : dans Γ univers platonicien, il faut tenir compte à la fois du continu qui doit caractériser la khóra, et du discontinu qu 'instaurent inéluctablement les polyèdres réguliers auxquels sont asso- ciés les éléments. La physique platonicienne η 'est donc ni un atomisme, comme celui proposé par Leucippe et Démocrite, ni une physique du continu, comme celle admise par Parménide et Zenon. Abstract. - In the Timaeus, the hypothesis of khóra, which we must refrain from identifying with Aristotelian húle, enables us to account for the fact that sensible things are radically different from their intelligible model. Yet the mathematical constitution of the elements from khóra leads to the following contradiction : in the Platonic universe, we must take into account both the continuity that must characterize khóra and the discontinuity inevitably introduced by the regular polyhedra with which the elements are associated. Platonic physics is thus neither an atomism, like that proposed by Leucippus and Democritus, nor a physics of continuity, like that held by Parmenides and Zeno. Vouloir parler de « matière » dans le Timée de Platon, c'est se heurter à deux difficultés majeures : le terme « matière » est un terme d'origine latine matéria, dont la racine est différente du terme grec húle ] qu'il est censé traduire ; de plus, le terme grec húle, qui désigne en son sens propre le bois de construction et, par extension, le matériau dont se sert l'artisan, ne se trouve doté de son sens philosophique que par Aristote. Chez Platon, où húle n'est utilisé que dans son sens propre, c'est khóra qui sert à désigner la notion qui, dans le Timée (le seul dialogue où elle apparaît en un sens philosophique), tient un rôle similaire, mais non identique, à celui que tiendra la notion désignée par húle chez Aristote. Pour Aristote, la notion désignée par húle permet d'apporter une solution au 1. J'ai utilisé le système de translitération suivant : êta = e ; oméga = o ; dzêta = ζ ; thêta = th ; xi = χ ; phi = ph ; khi = kh ; psi = ps. L'iota souscrit est adscrit (par exemple ei) ; et lorsqu'il s'agit d'un alpha, cet alpha est long (= ai). L'esprit rude est noté h, et l'esprit doux n'est pas noté. Tous les accents sont notés. Revue de Métaphysique et de Morale, N° 1/2003 6 Luc Brisson problème du mouvement, alors que chez Platon, la notion désignée par khóra répond au problème que pose la participation du sensible à l'intelligible. À ces deux premières difficultés vient s'en ajouter une autre : la khóra est à la fois « ce en quoi » apparaissent les choses sensibles et « ce de quoi » elles sont faites. L'HYPOTHÈSE DES FORMES INTELLIGIBLES Dans l'histoire de la philosophie, Platon est connu comme celui qui a proposé l'hypothèse de l'existence de réalités intelligibles, à la fois distinctes des choses sensibles et en rapport avec elles. Cette hypothèse, Platon l'a faite pour expliquer comment ce monde, où tout ne cesse de changer, présente pourtant assez de permanence et de stabilité pour que l'homme puisse le connaître, y agir et en parler. Convaincu que cette stabilité et cette permanence ne pouvaient dériver du sensible, Platon posa donc qu'il devait exister une réalité d'une autre sorte qui réponde à ces exigences, et qui explique pourquoi, dans tout ce changement, il est quelque chose qui ne change pas. Il ne fait aucun doute en effet que l'hypothèse de l'existence de Formes distinctes des choses sensibles est bien admise dans le Timée. Elle fait même l'objet d'une preuve qui s'appuie sur la distinction intellect/opinion (Timée 5 Id3-e6). Si on est forcé de reconnaître en l'être humain deux facultés cognitives distinctes, il faut bien admettre l'existence de leurs objets respectifs qui doivent appartenir à des niveaux de réalités distincts : le sensible et l'intelligible. Même séparé de lui, l'intelligible joue un rôle essentiel en ce monde sensible. En l'homme, il assure la rectitude des noms, la validité des propositions, la justification du discours, la justesse de la conduite, et un mode de vie acceptable. Par suite, l'hypothèse de l'existence des formes intelligibles oriente l'action de l'homme et l'organisation de la cité, comme on le constate dans la République, et se situe même, selon le Timée, au principe de l'univers. Mais alors, de quelle façon les formes intelligibles interviennent-elles dans le sensible ? La question est cruciale, car elle revient à s'interroger sur les types de causalité exercés par l'intelligible sur le sensible. On ne peut aborder la question de la participation des choses sensibles aux formes intelligibles sans admettre les cinq prémisses suivantes, que l'on peut discerner dans un passage bien connu du Phédon (100c9-d9) : 1) formes intel- ligibles et choses sensibles ne se situent pas au même plan de réalité, elles sont séparées ; 2) les choses sensibles doivent pourtant entretenir une relation avec les formes intelligibles ; 3) cette relation est assimilée à une imitation, car le sensible entretient avec l'intelligible le rapport de copie à modèle ; 4) dans le À quelles conditions peut-on parler de « matière »... 7 cadre de la métaphore de l'imitation, l'intelligible tient le rôle de cause et le sensible celui d'effet ; 5) par suite, la relation entre sensible et intelligible n'est pas une relation symétrique, le sensible dépendant pour son existence et pour sa structure de l'intelligible qui, lui, est en soi. C'est la première prémisse qui donne tout son sens aux autres. En effet, si le sensible se trouvait au même niveau que l'intelligible, on serait confronté à un problème de ce type : la représentation d'une main serait elle-même une main, ce qui est absurde. L'HYPOTHÈSE DE LA « KHÓRA » C'est en vertu de leur statut de modèles que les formes intelligibles rendent compte de la ressemblance que présentent les choses sensibles par rapport à elles. Mais la notion de ressemblance est à double face ; elle implique à la fois identité et différence. Aussi faut-il expliquer comment les choses sensibles diffèrent des formes intelligibles, et donc pourquoi en définitive elles sont multiples, et distinctes les unes des autres. D'où la nécessité de faire l'hypothèse d'un « milieu spatial » qui ait rang de principe comme les formes intelligibles et où elles apparaissent comme multiples et distinctes, et d'où elles disparaissent. Une image, en effet, du moment que ne lui appartient pas cela même dont elle est l'image, et qu'elle est le fantôme toujours fugitif de quelque chose d'autre, ne peut pour ces raisons que venir à l'être en quelque chose d'autre et acquérir ainsi une existence quelconque, sous peine de n'être rien du tout. Pour ce qui existe réellement en revanche, nous avons le secours de ce raisonnement que l'exactitude rend vrai : en effet, tant que de deux choses l'une est ceci et l'autre cela, l'une ne peut jamais venir à l'être en l'autre, puisqu'une chose ne peut être en même temps deux choses. [Timée 52c2-dl.] Même si tous deux sont des principes, les formes intelligibles et la khóra diffèrent radicalement. Les formes intelligibles qui ont en elles-mêmes leur être ne peuvent, pour cette raison même, se trouver dans la khóra qui ne peut rien leur apporter. À l'inverse, c'est cette situation dans la khóra qui donne aux choses sensibles le peu de réalité qu'elles ont ; elles y existent en tant qu'images distinctes et donc multiples tant et aussi longtemps qu'elles se trouvent quelque part dans la khóra. La khóra donne donc son mode d'existence à la chose sensible, en lui fournissant un lieu où elle apparaît et d'où elle disparaît ; ainsi située en un lieu, une chose sensible est toujours distincte de toutes les autres, y uploads/Philosophie/ a-quelles-condition-peut-on-parler-de-matiere-dans-le-timee-luc-brisson.pdf
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- Publié le Nov 26, 2021
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